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« Les abysses n’avaient pas d’avocat… »
À 44 ans, la fondatrice de l’association Bloom se bat sans limites pour la protection des océans et de la faune marine. Récit d’une révolte.
Il y a près de 20 ans, Claire Nouvian était journaliste, productrice et réalisatrice de documentaires animaliers. En 2001, elle « plonge ». La voilà émerveillée lors d’une visite de l’aquarium de Monterey en Californie par les images d’étranges créatures vivant à près de 4 000 mètres de profondeur. Si fragiles… Elle prend conscience que les grandes profondeurs marines sont menacées. « Peu de personnes s’étaient emparées de ce combat. J’aurais pu m’engager pour beaucoup d’autres causes, les femmes battues ou les enfants maltraités, mais j’avais vraiment le sentiment que les abysses n’avaient pas d’avocat. » Elle sera cette défenderesse. De toute sa force et de toute son âme.
« Je n’ai pas l’impression d’avoir choisi cette bataille, j’ai plutôt le sentiment d’avoir été choisie, au sens où je me suis sentie appelée. Je n’avais pas conscience de l’étendue des catastrophes environnementales, mais quand j’ai découvert que ce monde était dévasté et que personne ne s’en occupait, je me suis dit que c’était mon devoir de m’engager. » Elle réalise alors deux documentaires, tous deux primés, puis crée l’association Bloom ‒ fleurir, éclore ‒ en 2004 et publie un livre, Abysses, en 2006. Vite traduit en douze langues. Une exposition porte le même titre au musée national d’Histoire naturelle en 2007.
Bloom, faire passer des messages
On l’a compris, Claire est du genre déterminé, au mental de fer : « Je déteste la facilité. Plus c’est ingrat et plus ça me plaît. » Dans ce domaine, elle est servie, les embûches ne manquent pas. Peaux de banane, insultes et menaces de mort font partie de son quotidien. Il en faut plus pour la dompter : « J’ai envie de me battre pour un monde meilleur. Les résignés considèrent que je suis utopiste, que les hommes sont égoïstes et qu’il n’y a rien à en tirer. En réalité, je crois beaucoup à l’éducation. Il faut donner sa chance à chacun de devenir une meilleure personne. » Et si c’était la génération à venir qui changeait les choses ? Claire Nouvian, mère de famille, au sein d’une famille recomposée, veut sensibiliser l’opinion.
Celle des enfants : Bloom diffuse ses messages de protection de l’environnement au sein des écoles, des collèges et des lycées. Entre concours scolaires, spectacles et ateliers, l’association ne chôme pas.
Celle des parents : « Nous avons tous des enfants que nous avons envie de protéger. » Elle se tourne vers les médias. « Il est important que l’opinion publique se saisisse des questions et en parle sur les réseaux sociaux. » L’intégrité, elle en est persuadée, est une valeur d’avenir. Bloom séduit ? C’est avant tout grâce à son engagement total et impartial : « Nous donnons de l’espoir aux gens, nous représentons la moralité et l’honnêteté. Nous bénéficions d’un soutien citoyen appuyé, ces personnes-là ne se trompent pas. » Claire admire… la Hondurienne Berta Cáceres, assassinée chez elle parce qu’elle a pris fait et cause pour le fleuve Gualcarque. Et Anna Politkovskaïa la journaliste russe, morte pour avoir défendu les droits de l’homme en Poutinie. Jusqu’où irait-elle ? « Je suis prête à mourir pour mes idées. » C’est dit.
« Donner du sens à son existence »
La militante écologique s’engage aussi au nom de motivations morales et citoyennes. Et elle ne mâche pas ses mots. « Certaines personnes contre lesquelles je me bats sont bêtes, insultantes et violentes. Les affaires publiques ne devraient pas être gérées de cette manière, ce n’est pas une façon de se comporter. Nous pouvons être en désaccord, mais menacer les gens n’est vraiment pas un comportement que j’accepte. Je mène aussi une lutte pour une façon de vivre. C’est une forme d’engagement pour la civilité dans l’espace public », balance Claire. Ses combats quotidiens, ceux pour lesquels elle dort parfois à peine trois heures par nuit, « donnent du sens à [s]on existence. » Et elle gagne. En avril 2018, après l’interdiction en 2016 du chalutage en eaux profondes dans l’Union européenne, elle remporte le prix Goldman, une sorte de Nobel de l’environnement. Claire Nouvian et son équipe se consacrent aujourd’hui entièrement à la lutte contre la pêche électrique. « Bannie en Europe en 1998 mais rétablie en 2006, prétendument pour des raisons de recherche scientifique, cette technique est encore largement utilisée aux Pays-Bas », dénonce-t-elle. Le 16 janvier 2018, le parlement européen vote son interdiction totale. Le combat continue. Bloom reste vigilant. La guerrière n’est pas près de déposer les armes.
Ariane Warlin et Chloé Cénard