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Oui, il a créé, dirige et agrandit une entreprise européenne capable de vendre 1 million de « repas » par jour sous forme de snacks. Oui, c’est un « millionnaire » à l’abri du besoin, lui qui a passé son adolescence à mener de petits boulots pour éviter la rue. Mais à l’âge du Christ, cet ange du business dépasse de loin l’appât du seul gain. Avec feed.back, il accompagne des enfants défavorisé·es, des étudiant·es paumé·es, des jeunes femmes en danger. En pensant à l’avenir nutritionnel de l’humanité. Rencontre avec un jeune humaniste.
On a deux mots à en dire…
Anthony Bourbon apparaît sur cette terre le 22 mai 1988 à Bordeaux. Très vite prié de se débrouiller seul, il enchaîne les petits business sans perdre de vue sa scolarité, passer un bac et commencer en 2007 des études de droit privé général avant un master en sciences de l’immobilier. Il explique : « Poursuivre mes études me donnait droit à une bourse, m’assurait un toit. Les études en soi me donnaient le moyen d’un raisonnement construit et légitimait mes démarches d’entrepreneur. » Il élargit ses « business » au point d’investir, avec des associés, l’achat d’appartements à refaire pour les revendre. Ce boulimique du travail organisé qui avait recours aux « snacks » pour ne pas perdre de temps recherche ce qui n’existe pas vraiment : des barres-repas nutritionnellement complètes et saines. Il va les créer et créer… Feed.
Vous créez en 2017 une entreprise de foodtech qui vend aujourd’hui 1 million de repas par mois ! Des snacks et des barres-repas conçus par des experts en nutrition, des barres protéinées dont vous êtes le 1er consommateur et ça se voit à votre silhouette à 33 ans. Mais d’abord, l’histoire, la vôtre, celle que vous racontez sur votre site, reprise par Wikipedia et un jour prochain dans les livres d’histoire… Très jeune, vous quittez la maison de vos parents…
Je viens d’une famille relativement pauvre, quand on compare avec le niveau moyen des start-uppeurs parisiens, je viens d’une famille compliquée. Je me suis retrouvé à la rue assez jeune et me suis confronté à la réalité du monde, à commencer par des soucis de nutrition. Dans la 5e ou 6e puissance mondiale, j’ai été étonné de voir que c’est compliqué de se nourrir quand on est seul. Pas de RSA avant 25 ans, aucune aide car rattaché au domicile fiscal de mes parents, pas pupille de la nation, c’était une galère pour me nourrir. Ce fut mon premier contact avec la faim. À 26 ou 27 ans, j’avais de l’argent mais moins de temps. Je me nourrissais mal, beaucoup de sandwichs. Je me sentais faible, je manquais de nutriments.
Feed s’est imposé, d’abord pour répondre à mes besoins. Puis j’ai réalisé que beaucoup de gens étaient dans le même cas de figure. J’ai alors commencé à travailler sur ces recettes qui rassemblent l’intégralité des besoins nutritionnels d’une personne classique tels que les définit l’Agence européenne de l’alimentation, avec les protéines, les lipides, les glucides, les vitamines, les fibres, les oligo-éléments, dans des repas en poudre ou en barres. Puis nous avons créé une gamme fonctionnelle de snackings. Eux ont vocation à remplacer, non des repas, mais des moments de la journée, du petit-déjeuner à la pause de 10 heures pour être focus, avec des neurotropiques pour être plus concentré, des post-repas pour une digestion de pro et prébiotiques, des barres de protéines pour le sport, etc.
Impressionnant ! On peut vraiment se nourrir toute sa vie à coups de snacks et de barres repas ?
Avec les barres-repas, d’un point de vue scientifique, vous pourriez vivre en ne mangeant que ça, mais ce n’est pas du tout notre objectif ! Feed, c’est une option, un bonus de temps en temps, quand tu es pressé, dans le train, dans l’avion, que tu as une grosse journée de travail, dans la salle de sports entre deux rendez-vous. Ça vient se glisser dans ta boîte à gants, dans ton sac, un tiroir de bureau, mais bien sûr aucun client ne se nourrit que de Feed ! Si l’on aime les pâtes à la carbonara, trois fois par jour au bout de trois semaines, on en aura marre aussi ! Il s’agit de venir piocher dans les briques de nutrition. Les Français·es et leurs trois repas par jour ont tendance à se rapprocher du modèle américain avec ses cinq prises alimentaires par jour, plus nomade mais plus sain…
Feed en chiffres
Cet « obsessionnel des chiffres » tel que se définit Anthony Bourbon n’en dévoile que fort peu. Inutile de lui demander ne serait-ce qu’un chiffre d’affaires. Sur son site, vous glanerez…Une dizaine d’experts en nutrition
40 millions levés en 3 ans (dont 500 000 euros au démarrage auprès du business angel Senseii Ventures
3 millions chez Otium Capital, d’autres bien sûr et le tout dernier en lice, le mystérieux « énorme » groupe américain sur lequel le patron de Feed reste discret).
4 000 points de vente en Europe
1 million de repas vendus par mois
En cherchant un peu, ajoutons des chiffres de 2019
Une valorisation de quelque 200 millions d’euros
Un chiffre d’affaires de plus de 10 millions, mais Anthony Bourbon parlait de 30 millions dans une interview du magazine Forbes… Objectif à terme, 1 milliard.
Il a investi dans 45 « boîtes » dont une a fait défaut
Pardon, des Américain·es pas réputé·es pour la finesse de leur ligne…
Regardez les chiffres ! Un·e Français·e sur trois est obèse, un·e sur trois en carence de nutriments, un·e sur deux ne fait jamais de sport, un·e sur deux mange de manière nomade au moins une fois par jour, donc il faut être capable de s’adapter. L’objectif n’est ni de stigmatiser un mode de consommation versus un autre, mais plutôt de marier le monde traditionnel et la culture de la cuisine avec celui de la smart food dont Feed est l’un des représentants pour que les deux viennent se compléter.
Quand Feed débarque, le produit n’est pas seul. On a du Mars, du Kellog’s, du Danone, du Nestlé, le marché se montre hyperconcurrentiel…
Le marché de l’agroalimentaire, le FMCG* en termes de business, comporte effectivement énormément de marques détenues par d’énormes acteurs, Kellog’s, Pepsi, Coca côté boissons, Danone, Unilever, Otsuka**… Sauf que chez eux, il s’agit de snacks plaisir. À aucun moment on ne vous parle de bonne santé. Ce sont des barres bourrées de sucre ou d’aspartame. Je ne critique pas, je dis simplement que c’est du plaisir. Quand on est arrivé, on a proposé 100 % de nutriments dans des barres complètes.
Nous sommes les seuls, et le sommes toujours, à proposer ça en France. Nous offrons d’abord de la science et ensuite nous améliorons les recettes. Il y a cinq ans, nos barres se révélaient très simples sur le plan organoleptique, un peu bourratives, un peu « étouffe-chrétien », comme on le disait sur les réseaux sociaux. En attendant, tu n’avais plus faim. Leur taux glycémique très bas répartissait les nutriments au fil des heures.
L’objectif de satiété, on y répondait très bien. C’est après que l’on a mis des recettes. Nous avons pris le problème à l’envers, d’où notre légitimité à sortir des snackings et des barres fonctionnelles, scientifiquement élaborées, mais désormais améliorées par des goûts vraiment sympas.
Plongeons-nous dans Feed. Si vous vendez 1 million de barres par mois, suffit-il de multiplier le prix moyen d’une barre, 3,50 euros, pour obtenir votre chiffre d’affaires ?
Depuis le début, je communique sur trois chiffres seulement, en partie parce qu’un énorme groupe américain est entré au dernier tour de table, sur lequel nous n’avons pas communiqué non plus pour éviter les débats, avec des informations qui ne viennent pas de nous. Nous avons réalisé 3 millions de chiffre d’affaires la première année, 7 la seconde et plus 10 millions la troisième année.
Pour la suite, il est compliqué de projeter des hypothèses dans la mesure où certains mois sont très forts. En Q1, Q2, on percute parce qu’après les fêtes les gens veulent se reprendre en mains, puis jusqu’à la fin de l’année on est en dégressif, avec un mois de décembre catastrophique pour nous, contrairement à la plupart des ecommerçants. Ce qui nous arrange ! Un ecommerçant dépense beaucoup de budget à la période de Noël, son coût d’acquisition s’envole parce qu’il est submergé par les vagues de publicité, avec un système d’enchères sur les réseaux sociaux, quand nous communiquons en début d’année où très peu de monde se positionne sur les réseaux.
Vous nous avez vanté la composition nutritive des snacks et des barres Feed, vous évoquez 50 nutritionnistes, sont-ils eux même français et les ingrédients qui entrent dans la composition de vos produits le sont-ils ?
50 nutritionnistes, on devait parler à l’époque du nombre de gens dans l’équipe, avec une dizaine d’ingénieurs au pôle produits, chiffre variable selon les époques, mais effectivement tous français. Nous avons travaillé avec des spécialistes qui ont œuvré au sein de grands groupes américains, avec cette sensibilité d’innovation foodtech.
Imaginez, quand j’ai dit on va manger des repas complets en poudre, j’ai suscité un tollé général. Mais c’est sympa : un tollé apporte de la notoriété.
Or en France, nous sommes à la ramasse. Il est très dur de trouver des marques de food arrivées quelque peu innovantes sur le marché. C’est compréhensible : le marché français est très difficile à aborder, à pénétrer parce que l’on reste sur nos acquis, la gastronomie française dans nos tête est l’état de l’art, si bien que sitôt que l’on propose quelque chose de nouveau on a des levées de boucliers… Imaginez, quand j’ai dit on va manger des repas complets en poudre, j’ai suscité un tollé général. Mais c’est sympa : un tollé apporte de la notoriété.
Que les gens soient pour ou contre votre solution, à partir du moment où ils en parlent sur les réseaux sociaux, sur Tweeter, etc., ça vous génère un buzz organique, des discussions assez saines. Sur dix personnes contre Feed a priori, une au moins allait essayer en passant devant un Franprix ou un Monoprix. Moralité : n’ayez pas peur de faire des produits qui soient subversifs, clivants, ça vous permet de raconter quelque chose de fort et de prendre la parole parce que les gens ont envie de profils atypiques qui vont remuer les lignes et secouer le système établi.
Vous avez levé 40 millions d’euros en trois ans. Question incontournable, à quel horizon la rentabilité de l’entreprise ?
Au début d’une aventure, la rentabilité n’est pas le plus important. Un exemple : si vous êtes retable et que vous générez 1 million de chiffre d’affaires, vous avez 20 % d’ebitda bottom line***, ça vous fait 200 000 euros dans les caisses. Mais si votre objectif est d’atteindre les 200 millions de chiffre d’affaires très rapidement, et à ce moment générer ne serait-ce que 10 % d’ebitda en bottom line, ça vous fait 10 millions dans les caisses.
C’est le pari que font les investisseurs, ils se disent plutôt que d’aller chercher de la dividende tout de suite, pour parler grossièrement, on parie sur l’avenir, ne pas regarder ce qui s’est passé il y a un mois, six mois, mais on va parier sur le marché et la réponse que l’on va lui apporter. Du coup, ils vont parier sur des profils humains plus que des entreprises, cette personne me semble assez folle pour réaliser quelque chose de grand. Raison pour laquelle on se concentre sur l’équipe fondatrice plus que sur le produit qui va être amené à pivoter, plus que sur la société que l’on pourra modifier, changer de nom, son branding, mais sur la vision de l’équipe fondatrice.
Évoquons votre autre vie de business angel . Et d’abord pourquoi l’être devenu ?
La première raison, ne nous voilons pas la face, c’est parce que l’on gagne beaucoup d’argent. L’intérêt est d’avoir les deals que j’appelle off market en priorité et en avant-première. Les gens m’envoient leur dossier d’investissement avant même de contacter les banques d’affaires, les fonds d’investissements. Donc j’ai la primeur sur les meilleurs dossiers de Paris. Ce qui, avec l’habitude, me donne l’occasion de détecter signaux faibles et signaux forts. Comme je me concentre en priorité sur l’humain et sur le marché, je peux lancer des paris sur ce qui s’est révélé jusqu’à présent plutôt payant. Sur 45 boîtes, j’en ai une qui est morte, mais j’ai récupéré 70 % de ma mise pour avoir vu très tôt que ça ne prenait pas.
Ce n’est pas grave, même en cas de perte totale car nous sommes là pour financer l’échec. Nous ne sommes pas des obsédés de la rentabilité comme va l’être un banquier ou un fonds parce qu’ils investissent l’argent des autres. Nous, c’est notre argent. Je considère que quand je mets 100 000 euros dans une boîte, ils sont perdus. S’ils me rapportent quelque chose, je serai content, mais je suis là pour accompagner le fondateur quel que soit le débouché de son histoire.
Deuxième raison, le plaisir. C’est vraiment une chance de toucher à toutes ces verticales, j’investis dans le monde la beauté, des animaux, de la finance, de l’assurance, des voitures, de la blockchain, de la cryptomonnaie, ce qui garde mon esprit en alerte, de connaître tout ce qui se passe aujourd’hui dans le pays, en Europe, dans le monde. C’est une nourriture intellectuelle que d’être au contact de tous ces entrepreneurs, de leurs compétences. Au board de toutes ces start-up, on fait des debriefs ensemble, je m’inspire de leurs idées, de leurs outils. Troisième raison, c’est revivre les moments du début de l’aventure, qui ne reviendront plus jamais, les meilleurs moments.
Qu’êtes-vous allé chercher sur le plateau de Qui veut être mon associé de M6 ? D’autres start-up ou un peu de notoriété au passage ?
Ce qui est intéressant, c’est d’abord parce qu’il s’agit du prolongement naturel de ce que je faisais. Je suis un juré légitime. J’y prends beaucoup de plaisir et j’essaie d’y apporter un regard authentique et proche de la réalité business, ce qui avait manqué selon moi à la saison une, un peu gentille, trop bienveillante. On faisait croire aux téléspectateurs et aux entrepreneurs que c’est facile. La réalité, c’est que je suis dans ce monde-là au quotidien, que c’est un monde de requins et c’est normal, il y a beaucoup d’argent en jeu. Je veux montrer aux Français·es que quelque soient leurs origines, leurs études, leurs familles qu’ils et elles peuvent s’en sortir et raconter une histoire qui les extraira de leurs conditions initiales.
Chez Feed, j’ai créé des fonds de dotation, un programme de solidarité tournée vers les jeunes défavorisés. Et c’est ce message-là que je veux faire passer. En France, l’examen très froid de l’écosystème renvoie à un élitisme consanguin avec une reproduction sociale très forte à travers les grandes écoles, Polytechnique, HEC… Les fonds d’investissements viennent de ce sérail et investissent auprès de gens qui leur ressemblent, ce n’est pas une critique, c’est un fait. Mais ce qui ferme les portes à tous ceux et celles qui comme moi n’ont pas eu la chance de naître au bon endroit, au bon moment pour se diriger vers ces cursus.
Vous Président, que changeriez-vous dans l’Éducation nationale ?
C’est le sujet clé si l’on veut changer la société parce que malheureusement les enfants qui ne partent pas avec le même bagage culturel, et au-delà les codes mêmes, ne peuvent réussir. Je recommande la lecture d’un livre, Enfances de classe de Bernard Lahire**** qui démontre qu’en fonction de ton milieu, le jeu est déjà plié. J’ai envie de montrer qu’il existe parfois des erreurs statistiques comme moi, mais il ne faut pas croire qu’il s’agit d’une possibilité ouverte à tous, hélas. Plus je réussis, plus je suis énervé, plus j’ai d’argent, plus je vois l’injustice de ce que j’ai vécu quand j’étais jeune parce que je réalise qu’il y avait une chance sur un million pour que j’en arrive là.
L’Éducation nationale, c’est quelque chose qui nous permettra de rebattre les cartes. Il faut réussir à repenser son fondement. Une idée que je livre, un peu pris de court, c’est, plutôt que ne cohabitent des écoles publiques et des écoles privées où les enfants bénéficient de la meilleure éducation, parlent trois langues quand nous, dans le public, on en parle à peine une correctement, on fasse une école globale, payante pour qui en a les moyens, gratuite dans le cas contraire, et que tout le monde bénéficie de bonnes conditions d’études… J’ai été dans des collèges de banlieue où l’on était contents quand les profs étaient là. J’avais le goût de la lecture, mais si je m’étais contenté de suivre les cours, je serais analphabète. Il faut réussir à remettre de l’égalité dans les chances.

Question incontournable : les 3 conseils que vous donnez à un·e aspirant·e entrepreneur·e ?
Un, trouver votre passion, ce qui vous anime pour ne pas avoir l’impression de travailler. Deux, résilience, vous allez échouer des dizaines de fois, mais il suffit d’avoir raison une seule fois pour être très riche.
Trois, travailler extrêmement dur, il n’y a pas de réussite facile, on est dans une génération où tout nous paraît immédiat avec les réseaux sociaux, mais heureusement seuls le travail et la détermination vous feront réussir quelque chose de grand.
* Fast Moving Consumer Goods, les produits ou biens de grande consommation.
** Otsuka Pharmaceutical, le numéro 2 japonais du médicament et de l’alicament.
***Bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement, soit l’excédent brut d’exploitation.
**** Le seuil, 2019.
Propos recueillis par Olivier Magnan
À retrouver également dans ce numéro :
Notre grand dossier : le Métavers.
Parmi nos autres sujets : la crise des matières premières, le boom de l’apprentissage, ou encore notre Œil décalé : milliardaires imaginatifs.