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Il est des hommes dont la bonté d’âme saute aux yeux. Comme une absolue évidence. Jacques Genin est de ceux-là. Doux comme ses créations, qu’il conçoit dans son superbe atelier de la rue de Turenne, au coeur du Marais à Paris. Aujourd’hui pâtissier et fondeur en chocolat mondialement reconnu, Jacques Genin fut autrefois un enfant battu.
Le monde entier en rêve la nuit. Sa tarte au chocolat aux câpres est une espèce de tornade sensible, légère, tellement audacieuse. Celle au citron vert et basilic, estivale à tomber, est du même acabit. On dit qu’il fait le meilleur Paris-Brest du monde. Un superlatif qui tient en bouche. Alors, nous le savons, les plus grands génies sont ceux qui parviennent à conserver, envers et contre tout, quelques éclats de l’enfance, serrés contre le coeur. L’enfance de Jacques Genin fut un enfer sans parenthèses. Il devait grandir sous les coups, les humiliations et les violences de ses propres parents, unis dans un processus de destruction particulièrement barbare.
Une enfance en enfer
Dans le huis-clos de Saint- Dié-des-Vosges, Jacques Genin fut la victime expiatoire, le souffre-douleur de ceux-là mêmes qui l’avaient mis au monde. Il y avait deux violences : celle des coups bien sûr, celle aussi de l’absence de tendresse, ce bonheur, ce droit, dont il fut absolument privé. Un jour, il croise une psychologue scolaire, laquelle contemple ses bleus : « Une raclée, ça fait circuler le sang. » Tout n’était pas mieux avant. Ainsi, à douze ans, ses parents l’envoient travailler dans les abattoirs. Du sang, encore.
Frappé par tant de carnages, Jacques Genin aurait pu à son tour reproduire la violence, son mécanisme terrible. Mais il rêvait, entre les raclées et les sévices, d’une vie meilleure. Ailleurs, loin de toute cette fureur. La muse de la beauté devait finalement exhausser ses prières… Un jour, à dix-neuf ans, il part sans bagages. Le hasard le conduit vers les lumières de Paris, capitale de toutes les renaissances. Il se débrouille. Travaille aux Halles et donc au noir. Plus tard, il est embauché comme barman, découvre le jazz… Ensuite, ce sera la littérature : Zweig, Yourcenar, Kundera. Autant d’éclairs dans sa nuit noire. Peu à peu, grâce à certains sourires, il délaisse sa méfiance et comprend que tous les adultes ne sont pas des salauds. Ainsi, il s’immerge dans la gastronomie d’abord, la pâtisserie ensuite. Et atteint l’excellence.
L’important c’est d’aimer
Il travaille avec acharnement, parvient à convaincre les plus grands… Et dompte le chocolat, cette matière si capricieuse et revêche. Son talent se déploie à l’état pur, doté d’un indiscutable supplément d’âme, d’une singularité impalpable. Lui, autrefois privé de tout, s’évertue à émerveiller les autres par la gourmandise généreuse de ses créations. Jacques Genin n’a jamais eu la chance de vivre un anniversaire… Mais s’emploiera à réaliser les plus beaux gâteaux pour ceux de sa fille. Aujourd’hui, Jade travaille d’ailleurs avec lui. La talentueuse vient d’ouvrir sa propre chocolaterie dans la capitale, avenue de l’Opéra, et envisage de reprendre un jour la maison familiale. L’histoire de Jacques Genin est une quête de l’ombre à la lumière. Aujourd’hui, cet homme bon peut enfin reprendre à son compte le mot d’Isabelle d’Orléans-Bragance, comtesse de Paris. Il le clame : « Tout m’est bonheur. »
VALENTIN GAURE