Plongée entrepreneuriale dans le fromage avec Yann Lavigne

Temps de lecture estimé : 3 minutes

From’ Dijon

Les commerces de bouche sont aussi un terreau d’entrepreneuriat et d’innovation. Plongée inattendue dans le fromage avec Yann Lavigne, au cœur de la capitale des ducs de Bourgogne.

Boulette d’Avesnes, Chabichou du Poitou, Mont d’Or de brebis… mais aussi Brillat Savarin ou Cîteaux, Bourgogne oblige. Les papilles du visiteur s’affolent, lui qui s’est aventuré dans la fromagerie Porcheret, véritable institution près des Halles. Trompé par la devanture au charme désuet, il anticipait une pause gourmande mâtinée de nostalgie en déambulant entre les vieux étals recouverts de grosses tomes odorantes et peu esthétiques. La convivialité d’une raclette entre amis un soir d’hiver, le réconfort d’une tartiflette au ski, les questions existentielles de l’enfance sur l’absence de trou dans le Comté, contrairement à l’Emmental… Que nenni. La diversité des produits savamment valorisés par un jeu d’éclairage sur les vitrines, dans un espace carré finement décoré, seront plutôt pour lui une ode au voyage. Les vendeuses affublées du tablier Porcheret ne manqueront pas de lui présenter dès 7h30 le « Shropshire Blue », intrigant par sa couleur et sa forme, le « Pecorino Toscano », tomme de brebis sèche, ou encore l’Irlandais « Porter Cheese » à base de bière brune. Quête d’originalité ? « Trois salariées en activité et une en arrêt maladie longue durée… Il nous faut sans cesse varier les offres, innover pour ne pas licencier », explique plus prosaïquement Yann Lavigne, nouveau propriétaire de 33 ans.

Silence, on affine !

Un professionnel-restaurateur salue en emportant son carton hebdomadaire de fromages, faisant tinter la sonnerie caractéristique du passage d’un visiteur. Il foule des pieds une trappe vitrée, dévoilant en contrebas le caveau creusé où de grosses meules de Comté et autres tomes vieillissent doucement. Derrière la boutique, une cave plus moderne permet d’affiner les chèvres, camemberts et autres pâtes molles, une pièce réfrigère les produits qui ne doivent plus évoluer tels mozzarellas, parmesans ou bleus. Une troisième pièce, où s’amoncellent tables, fours et un matériel hétéroclite de cuisine, sert de coin à pause-café, mais aussi de « laboratoire » pour élaborer de nouvelles recettes. Sur un tableau accroché au mur objectifs et « super-objectifs » griffonnés viennent rappeler que des primes au résultat ont été introduites. « Elles ne changent pas la manière d’agir des salariées, mais les impliquent plus dans l’esthétique de la boutique, l’administratif, la vie de l’entreprise », précise le jeune fromager, plaçant sous des cloches les chèvres qui ont la fâcheuse tendance de sécher en boutique. Contrainte des produits frais, un chèvre frais de 200 grammes peut « fondre » à 50 grammes après avoir séché. Du poids et donc du revenu en moins.

Marketing mix réinventé

Yann Lavigne a repris le fonds pour 120000 euros. Une bonne affaire. Mais si le Dijonnais pure souche a ainsi le souci du détail, caressant presque amoureusement ses fromages en affinage, c’est parce que la boutique de la rue Bannelier n’était pas en bonne santé, malgré sa grande réputation. Il a fallu se retrousser les manches dans cette SARL – où il ne s’est pas versé de salaire la première année –, pour rajeunir la clientèle et augmenter le panier moyen, avoisinant aujourd’hui les 15 euros. Sur les produits tout d’abord, en allant solliciter de nouveaux fournisseurs et en soignant l’affinage. Quelques dames âgées achètent du Comté, analysant avec précision la météorologie passée et à venir avec les vendeuses. Car une fromagerie a ses classiques indéboulonnables : Comté, Epoisses, Cîteaux, Morbier… « La plupart des clients achètent quelques fromages, quand les 150 autres relèvent bien souvent de l’anecdotique. » L’entrepreneur est donc passé à l’offensive par des mets cuisinés. Dans le laboratoire sont concoctés tzatziki, yaourts, Pana cotta, cheese cakes, chèvres aromatisés avec coulis de fruits… « L’univers du fromage se découvre. A nous de tisser des liens, d’organiser des dégustations gratuites, de solliciter la curiosité. Nous essayons aussi d’instaurer des à-côtés comme les crackers anglais, bricelets suisses, bières et cidres, confiture du Pays Basque pour accompagner Brebis et Chèvres… », décline le dirigeant créatif et gourmant, escomptant bien proposer fondues et autres aligots cet hiver. Il a aussi élargi les horaires et revu la politique de « pricing », le propriétaire précédent n’ayant pas changé ses tarifs en six ans. « La vie de l’entreprise s’avère extrêmement riche, ne se résumant pas à découper et vendre du fromage. L’effort intellectuel est constant. Il faut songer aux problématiques de produits, marge, gestion du personnel ; obtenir des salariés le maximum tout en maintenant une bonne ambiance n’est pas une sinécure », précise le fromager fraîchement diplômé, coupant prestement des morceaux de Comté avec son fil à couper.

Renaissance explosive

Une salariée boit un café en riant avec celle qui prépare les tartelettes à l’Epoisse, qui seront présentées sur l’étal installé devant la boutique les jours de marché. Yann Lavigne sélectionne les fromages les plus mous dans la cave, tout en s’enthousiasmant sur le secteur. « C’est devenu un milieu effervescent. Les fromageries ont connu une explosion après-guerre, puis les grandes surfaces ont petit à petit tué le métier. Une nouvelle génération de fromagers émerge, quand justement la population, avide de proximité, revient dans les boutiques. » Un renouveau façonné par l’internationalisation des produits, les manières de présenter les étalages, le retour des fromages au lait cru qui ont plus de goût. « Il est possible de pousser l’affinage, et même de frotter certains fromages à l’eau. Reste ensuite un arbitrage à opérer entre le goût et le risque sanitaire », énonce ce passionné qui va concourir au titre de Meilleur Ouvrier de France. Il est 19h30, quelques habitués passent en coup de vent, plaisantant avec les salariées, pour acheter œufs, lait ou beurre, comme le veut la tradition dans une fromagerie. « Un respect de la tradition, qui n’empêche surtout pas l’innovation », note l’entrepreneur, dégustant une bière spécial fromage du Nord Pas de Calais, la Frometon.

Mathieu Camozzi

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