La Paillasse, un laboratoire très ouvert

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« Silence, on invente ! »

Nichée au cœur de Paris, La Paillasse décloisonne, innove, met les sciences à portée de tous, mais se refuse à déposer un brevet… Reportage

Avant même de pousser la porte, le lieu étonne. « Sacré projet. – Ils ne manquent pas d’idées », conversent deux étudiants près de l’entrée principale. Quelques curieux en sortent. D’autres arrivent, comme Jérôme, un dessinateur industriel. « Je travaille sur le logiciel Autocad depuis de longues années pour une entreprise. Je cherche de nouvelles pistes pour me relancer différemment », confie-t-il. Il ne le sait pas encore, mais a frappé à la bonne porte.

La Paillasse est un laboratoire ouvert qui permet aux communautés créatives de prototyper à moindre coût et déployer des innovations de tous genres. Dans le prolongement du comptoir de l’accueil, une immense salle permet de recevoir les membres. Autour des tables éparpillées, des généticiens, des informaticiens, des designers, échangent, proposent, confrontent les points de vue. Des profils parfois très opposés, mais animés par un même élan : le goût d’innover.

Embrouillamini fertile

Le but est de croiser les compétences d’étudiants, de chercheurs, de jeunes entrepreneurs au service de l’innovation et de la création d’emplois, en formant des « labs » autour de thématiques comme la bioproduction, l’épidémiologie, les textiles intelligents, les drones, l’intelligence artificielle ou encore les sciences cognitives. « L’idée est de se nourrir de la pluridisciplinarité de la société. En facilitant l’accessibilité aux moyens de production scientifiques et techniques, nous accélérons la réalisation de projets professionnels ou amateurs sélectionnés par notre association sur des critères d’impact sociétal ou d’intérêt scientifique », explique Adrien Clavairoly, cofondateur et trésorier de La Paillasse. Cette vulgarisation des sciences passe par la réalisation d’ateliers pratiques sur ce qu’est la génétique, ou l’agriculture urbaine par exemple. Pendant que des visiteurs viennent simplement s’informer, des passionnés passent la porte, un projet sous le bras. « On trouve toutes sortes d’initiatives. Certaines sont très avancés, d’autres à un stade embryonnaire », poursuit-il.

La règle d’or de tous les projets est de libérer un maximum de données en open source. Celles-ci sont documentées en ligne pour permettre à tout le monde de se réapproprier la technologie, l’améliorer, la partager. « Nous sommes focalisés sur l’échange des connaissances et l’accessibilité des techniques de production. Rien n’est breveté. Nous voyons le brevet comme un frein à l’innovation plus qu’un système de protection », souligne Adrien Clavairoly. Déposer un brevet peut vite coûter d’emblée 50000 à 100000 dollars. En cas de piratage, une armée d’avocats est nécessaire pour faire valoir ses droits. « Cette machinerie est très intéressante pour les industriels, mais plus souvent un frein pour les jeunes entrepreneurs. » La Paillasse cherche à démontrer que l’open source n’empêche pas un modèle de rentabilité. Il existe des licences open source pour ce qui est logiciel, mais pour ce qui est matériel tout est à inventer en France. « Pour autant, nous ne demandons pas aux nouveaux arrivants de libérer toutes leurs innovations de manière inconsidérée », ajoute le cofondateur du lieu.

Se tourner vers des besoins d’avenir

Au bas d’un long escalier, changement d’atmosphère. Les bureaux, les dossiers, laissent place à de l’électronique, du matériel de biologie. D’anciennes caves sont devenues le ventre de La Paillasse où grouille une myriade d’expérimentations, de tests. Dans un espace reculé se trouve le HallCouture qui mène des réflexions sur les textiles connectés, les biomatériaux utilisables pour les vêtements du futur. Plus loin, des travaux portent sur une bactérie qui synthétise un pigment bleu à partir duquel il est possible de fabriquer une encre biodégradable. Encore quelques pas, et voici une capsule géante qui semble tout droit sortie d’un scénario de science-fiction. « C’est un caisson d’isolation sensorielle. Un cocon dans lequel on peut flotter et profiter d’une sensation d’apesanteur », explique Maïté Breger, cofondatrice de la start-up Meiso qui développe ce projet. Le principe consiste à remplir le caisson de 1000 litres d’eau et 500 kilos de sel, afin de pouvoir flotter deux fois plus facilement que dans la mer Morte. L’isolation est également phonique. Il en résulte des bienfaits sur le sommeil, des vertus anti-stress. Le prototype est en passe d’être activé. « De nombreux centres de soins et instituts se montrent déjà intéressés », se réjouit Maïté Breger.

Les sous-sols créatifs de La Paillasse conduisent aussi aux projets de FlyLab, une start-up qui fabrique des drones en impression 3D. Un autre travail concerne la mise au point d’un échographe portatif low-cost dont l’impact social peut être majeur en matière de santé mère-enfant dans les pays en voie de développement. Adrien Clavairoly a le sourire. L’association vient de signer un partenariat avec l’entreprise pharmaceutique Roche qui cherchait une équipe pour mener une étude épidémiologique sur le cancer, à partir de données qui ont été libérées par la Sécurité sociale. Avec l’appui de data scientists, le but est de tirer du sens des informations des bases de données au sujet des dépenses publiques dans ce domaine. « Nous nous positionnons également comme une plateforme de services pour des entreprises à la recherche de compétences, afin de répondre à un besoin particulier. Ce volet figure dans notre modèle de rentabilité », indique Adrien Clavairoly.

Actuellement, La Paillasse est financée par les espaces de coworking mis à disposition, l’hébergement d’événements traitant du Big Data, de l’intelligence artificielle, de la génétique, ou encore par l’organisation de conférences et par les subventions accordées par la ville de Paris et la région Île-de-France. Mais l’association entend surtout passer à la vitesse supérieure et cherche des mécènes, des sponsors, capables de l’accompagner sur la durée….

Mathieu Neu

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