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Drouot, l’une des plus anciennes institutions de vente aux enchères publiques au monde, attire grands collectionneurs, amateurs et néophytes. Mais dans cette ruche les activités sont multiples, même quand les portes ne sont pas encore ouvertes à ces publics.
Avant l’ouverture
10h. Les portes de l’institution, rue Drouot, sont encore, pour une heure, fermées. Pourtant, on s’active déjà à l’intérieur du mythique hôtel des ventes. L’entrée se fait à quelques pas de là, rue de la Grange Batelière. Va et vient de camions, et de cartons. Matin et soir, c’est ici que sont déposés et embarqués marchandises et autres objets d’art. Le décor de cette zone de transit : béton et portes – rouges – de garage, ambiance dépôt ; pas exactement celle, feutrée, des 16 salles de ventes ouvertes au public, pourtant toutes proches. Dans l’une d’entre elles, ce jour-là : des œuvres d’art primitif ; masques, totems, lances, parchemins… Perché sur un escabeau, un technicien s’active, il ne reste que quelques dizaines de minutes avant l’arrivée du public. « Le commissaire nous a demandé de mettre les trois plus belles pièces en avant, explique-t-il. Nous réglons les lumières de façon à ce que celles-ci sautent tout de suite aux yeux des visiteurs. » Installer une exposition est un travail de mise en scène et de lumières avant tout. Qu’importe qu’elle ne se tienne qu’un jour et demi, tout doit être parfaitement réglé. Une question anime en permanence la dizaine de techniciens, et plus largement le personnel : comment valoriser les œuvres ? Lorsque les portes s’ouvriront, les visiteurs – collectionneurs ou amateurs, spécialistes ou touristes – pourront observer, admirer, toucher, ces objets d’art ; et, pourquoi pas, déjà proposer une enchère. Pour la vente, rendez-vous le lendemain en début d’après-midi. Même lieu, des chaises en plus.
Une place pour le numérique
Passer d’une salle à l’autre, c’est passer d’un univers à l’autre : objets d’art primitif, photos, tableaux, meubles, montres… Il y a bien ici de quoi rêver, et jamais devant les mêmes objets. Une vente, une salle, deux jours ; et ça tourne ! Cela, grâce au travail des salariés de l’entreprise Chenue, chargés de la manutention des œuvres d’art, qui ont remplacé les mythiques Savoyards après une affaire de vol organisé en 2010. Avec 5000 visiteurs par jour, Drouot est ainsi une sorte de musée éphémère. Un musée qui se visite à Paris, mais aussi sur Internet. Deux photographes profitent de ce que le public n’a pas encore investi les lieux pour naviguer de salle en salle, appareils à la main. Objectif : offrir aux internautes une vue à 360° de toutes les expositions publiques. Pas de jaloux : la mise en ligne de cette visite virtuelle est raccord avec l’ouverture des portes de Drouot. 11h la veille d’une vente : où que vous soyez, vous pouvez visiter les expositions publiques. En 2013, ce sont 1500 visites de salles et 500000 photos qui ont ainsi été rendues accessibles sur Internet. Une telle offre s’inscrit dans une stratégie numérique chère à Drouot. Les ventes sont toutes, aujourd’hui, filmées. Derrière son ordinateur, n’importe qui peut ainsi participer à distance à des enchères publiques (DrouotLive). Dans la salle, lors de la vente, un professionnel se fait leur relais. « 50 % des adjudicataires sont étrangers, les nationalités les mieux représentées étant les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Suisse, la Chine et le Japon », explique le directeur Olivier Lange. Soucieux de se développer plus encore sur la toile, Drouot propose également des enchères exclusives à internet (DrouotOnline). Et cela semble fonctionner : le montant total adjugé entre le 1er semestre 2013 et le 1er semestre 2014 a progressé de 45%. Plus haute transaction enregistrée : 360000 euros, pour un tableau de Serge Poliakoff, vendu en avril 2014. « Avec 800000 visites par mois sur ses différents sites, Drouot compte bien ne pas laisser passer le train du numérique », affirme le directeur.
Maison d’intermédiaires
Mais à Drouot, ce sont bien des commissaires-priseurs en chair et en os qui dirigent, avec un sens aigu de la théâtralité, les ventes aux enchères. Aujourd’hui, Drouot travaille avec 72 maisons de vente. Quand un commissaire-priseur effectue une vente à Drouot, il loue à l’hôtel des ventes l’une de ses salles, et les services afférant. Pour certaines ventes, des demandes bien spécifiques sont formulées : une salle entièrement tapissée de vert, par exemple. Tout est possible – moyennant finances, bien entendu. C’est par le prélèvement d’un pourcentage du prix d’adjudication sur les vendeurs que se rémunère ce professionnel des enchères. « A part les ventes judiciaires, qui constituent 10% de nos ventes environ, et sur lesquelles nous prenons 7%, tout est déréglementé », explique maître Ferri. A cela s’ajoutent les frais supplémentaires imputés aux acheteurs. « A Drouot, nous sommes tous aux alentours de 25% », indique maître Ferri. « Adjugée vendue » à 100 euros, cette jolie tasse en porcelaine – que vous aviez savamment repérée – vous reviendra ainsi à 125 euros. Ce jour-là, maître Ferri attend l’ouverture des portes de l’hôtel des ventes entouré de meubles. Au sol : des caisses pleines de vaisselle ; plus proche du vide-grenier que de la salle de musée. C’est une vente de succession qu’il s’apprête à diriger. « Nous avons vocation à accueillir toutes les ventes. Je fais une trentaine de ventes par an, ce qui n’est pas énorme. Nous sommes en contact avec les notaires, les particuliers… Le plus compliqué, pour un commissaire, ce n’est pas la vente, c’est de se faire contacter, de se faire connaître, souffle maître Ferri, saluant dans la foulée un visiteur moustachu, visiblement un habitué. Nous en connaissons bien 1500-2000, sur les 5000 qui passent tous les jours. Nous sommes des intermé-diaires, des passeurs, entre vendeurs et acheteurs. »
Apprendre à Drouot
Les portes sont à peine ouvertes que les visiteurs commencent à affluer, en masse. A contre-courant, un petit groupe quitte l’hôtel des ventes ; dans le calme de la matinée, ces étudiants ont eu le loisir d’observer, étudier, estimer, de nombreux objets. Car oui, Drouot, c’est aussi une formation professionnelle pour devenir consultant, explique Clémence de Joussineau, chargée de développement à Drouot Formation : « 9600 euros, pour une durée de neuf mois, à temps plein, suivie par 40 étudiants par an. Ils ont cours le matin à Drouot et l’après-midi, ils sont en visite sur le terrain : galeries, ateliers d’art, experts… Avant l’ouverture des portes, ils font des tours de salles, surtout au premier trimestre : le professeur, commissaire-priseur diplômé, ouvre les vitrines, leur fait toucher les objets, spécifier le style, dater, observer les indices, regarder les poinçons ; ils parlent prix, estimations… » Une manne intéressante de revenus pour Drouot ? « Pas du tout. C’est une formation qui coûte cher à mettre en place », nuance Clémence de Joussineau. Devenir une véritable institution culturelle, voilà aujourd’hui le défi du mythique hôtel des ventes, qui sont au nombre de 1500 par an.
Article réalisé par Sonia Déchamps