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Opération séduction
Pour réussir leurs premiers pas, certaines start-up multiplient les ingéniosités pour accorder plus de privilèges à leurs premiers clients. Une stratégie gagnante pour créer une première communauté active ?
L’écosystème des start-up françaises a progressé de manière spectaculaire ces dernières années : plus de créations, plus de croissance, l’émergence de nouveaux leaders internationaux, plus de capitaux investis et plus d’emplois créés. 9400 start-up ont été recensées en France par l’Agence du numérique dans son rapport 2015-2016. Pour autant, la vie n’est pas rose pour nos jeunes pousses. « D’après l’INSEE, le taux d’échec des start-up est de 49% après cinq ans, mais lorsqu’on sillonne les incubateurs, le taux de transformation est probablement supérieur à 99% car beaucoup de personnes travaillent pendant plusieurs mois pour finalement abandonner avant leur projet de création, devenant ainsi invisibles sur le radar des créations d’entreprise, et évitant ainsi d’entrer dans ces statistiques… », indique Jean-François Cunniet, formateur Big data à l’EfreiTech, l’Académie du numérique. Et selon le site 1001Startups, ce taux d’échec serait de 90%.
Le bouche-à-oreille, meilleur système de recommandation ?
Pour éviter de mettre la clef sous la porte, les start-up doivent notamment mettre au point une stratégie marketing qui soit à la fois la moins coûteuse possible et la plus efficace. A cet égard, considéré comme la plus ancienne stratégie du monde, le bouche-à-oreille continue de faire ses preuves. Connu également sous le nom de marketing viral, il garde une place importante dans le cadre de l’optimisation des ventes malgré l’émergence des solutions marketing de plus en plus pointues, basées notamment sur le Big data. Les experts sont unanimes pour assurer que le bouche-à-oreille fonctionne aussi bien que la publicité. D’ailleurs, son résultat demeurerait plus pertinent que celui généré par les campagnes publicitaires. L’entreprise ayant en effet fait l’objet de la recommandation d’un client profite en effet d’une excellente notoriété. Le client qui vient vers elle par le biais du bouche-à-oreille constitue un client déjà conquis. Il ne fait plus partie des clients potentiels qui exigent l’établissement d’une stratégie marketing particulière. Dans la majorité des cas, il connaît les atouts, les avantages et les points faibles des produits et services fournis par l’entreprise. Le client, source de recommandation, manifeste une confiance incontestable à l’entreprise qu’il n’hésite pas à transmettre à ses contacts. N’oublions pas qu’aujourd’hui, une recommandation sur les réseaux sociaux possède la même valeur que les cooptations d’antan. Le bouche-à-oreille représente donc un élément marketing clef pour les start-up, mais comment amorcer la pompe ?
Osez la disruption
Créée avec succès il y a neuf ans par deux anciens de l’agence Publicis Net/Marcel, l’agence de communication digitale Addiction Agency a choisi dès le début de se confronter aux grandes agences parisiennes en proposant une offre disruptive. « Alors que les grandes agences ont tendance à imposer à leurs clients des partenariats de long terme en contrepartie d’honoraires parfois flous, Addiction Agency a fait le choix de fonctionner au projet », explique Mathieu Galloux, co-fondateur. Cette stratégie est à double tranchant. Soit la collaboration se passe bien et le client devient un fidèle de l’agence, voire la recommande à ses partenaires ou filiales, soit l’expérience tourne court. « Pour nous, cela s’est vraiment bien passé. Nous avons bénéficié à plein du bouche-à-oreille. Les clients se sont montrés satisfaits à la fois de la flexibilité que nous proposons, et de la transparence de nos tarifs. Et bien sûr de la qualité de nos prestations », se félicite Mathieu Galloux. Pour preuve, neuf ans après l’agence travaille encore avec son premier gros client, Eurosport. Désormais bien installée, Addiction Agency continue de marcher « au projet » mais signe également depuis quelques années des contrats d’accompagnement stratégiques avec les annonceurs dont elle s’occupe afin de bénéficier de revenus récurrents, à l’image des géants du secteur, tout en apportant clarté et transparence sur les prestations vendues.
Codes promotionnels, mode d’emploi
Comment transformer les premiers clients en ambassadeurs de la marque ? La Foodtech est riche en enseignements, comme en témoigne le succès d’applications comme Foodora, Uber Eats ou Deliveroo, plébiscitées par les consommateurs. Autre exemple celui de Lunchr. Pour lancer en janvier dernier Lunchr, un service de commande de repas à venir chercher au restaurant ou à consommer à table, Loïc Soubeyrand, cofondateur de Teads, a initié une vaste campagne en beta. Les 250 clients sélectionnés, des amis, des connaissances, des voisins, etc., ont bénéficié pendant plusieurs semaines de codes promotionnels lors de chaque commande. En échange, ils étaient invités à faire remonter leurs expériences auprès du management, et s’ils étaient satisfaits, à en faire la promotion autour d’eux. « Cette campagne a été un réel succès », assure Loïc Soubeyrand. « Nos clients beta ont joué le jeu et certains se sont même transformés en ambassadeurs de la marque ». Réellement opérationnel depuis la mi-avril, Lunchr a conservé la même formule pour le grand public. Chaque premier client reçoit ainsi un bon de réduction de cinq euros à valoir sur sa commande. « Cette stratégie constitue dans le secteur un élément clef pour acquérir de nouveaux clients et se faire connaître », confirme l’entrepreneur montpelliérain. Ce dernier ne dispose pas encore de statistiques pour confirmer la pérennité de son modèle, mais assure que les commandes sont, en tout cas, chaque jour plus nombreuses. Affaire à suivre.
Lancé par Mathieu Robbe en octobre 2014, L’Etoile des Gourmets est l’unique service en ligne qui compose des menus gastronomiques livrés à domicile. Cette start-up, qui livre partout en France en un temps record, mise sur la qualité et… les prix, pour se développer. « Notre carte est 30% à 50% moins chère que celle d’un restaurant gastronomique », révèle Mathieu Robbe. Le groupe offre également des réductions sous la forme de codes promotionnels pour élargir sa clientèle. « Nous offrons un code promo de 5 euros à chaque nouveau client. Mais nous organisons également des campagnes de promotion lors d’évènements importants, comme la Saint-Valentin », précise Mathieu Robbe. Dans un secteur ultra-concurrentiel, le groupe peut aussi proposer un repas offert pour trois commandés ou prendre en charge les frais de livraison. En fin d’année, pour toute commande d’un repas de fêtes (Noël ou Saint-Sylvestre), le site offrait une petite boîte de véritable caviar d’Esturgeon blanc dès 90 euros d’achats. « Ces promotions pèsent sur notre rentabilité à court terme, mais nous espérons qu’elles nous permettent d’acquérir rapidement de nouveaux clients afin de réaliser des économies d’échelle et de relever nos marges », explique Mathieu Robbe. L’enjeu est de taille pour cette start-up parfois comparée aux acteurs de la food delivery (livraison de repas), alors que c’est n’est pas son cœur de métier. L’Etoile des Gourmets est un véritable restaurateur en ligne : sa différence réside dans l’intégration de la chaîne de valeur. Sa croissance est donc, par nature, différente des plateformes entre restaurateurs, clients et coursiers.
Visez d’abord les économies d’échelle
A rebours de cette stratégie d’acquisitions de clients via des offres attractives, d’autres start-up misent sur le développement permanent de nouvelles offres pour gagner en volume, générer des économies d’échelle pour réduire leur point mort et baisser, ensuite, leurs prix. C’est le pari réussi de Pangée Conseil par exemple. Créée en 2014 par Julien Guiraud et Stéphane Jakubyszin, cette start-up toulousaine a développé une plateforme de financement permettant l’agrégation de biens et de services. Pangée souhaite promouvoir l’usage plutôt que l’acquisition des biens en offrant aux consommateurs l’accès à des abonnements sur mesure avec une souscription simplifiée. En plus d’étudier et de développer des offres sur mesures, Pangée propose aujourd’hui une gamme d’offres packagées autour de plusieurs univers : LizBike (cycle et écomobilité), ConnectLiz (objets connectés), HandiLiz (matériel pour personnes à mobilité réduite). « Notre offre est tellement disruptive qu’il n’a pas été nécessaire de tirer les prix vers le bas pour démarrer », explique Julien Guiraud. Grâce à l’accompagnement sur mesure, la start-up a rapidement ajusté ses offres pour coller au mieux aux attentes et besoins de ses clients. La plateforme développe le concept du leasing d’objets connectés et de multiples services qui y sont associés (assistance, assurance, e-santé…). « Les volumes que nous traitons nous permettent désormais de négocier au mieux les prix avec les différents intervenants : fabricants, assureurs, banquiers, courtiers. Les économies que nous réalisons sont répercutées dans nos prix. A titre d’exemple, la location d’un vélo connecté coûte chez nous 25% de moins aujourd’hui qu’il y a un an », note Julien Guiraud.
A la tête du client
Autre cas original, le prix bas comme engagement sociétal. Aurélie Giraud, la fondatrice de LouerUnManager.com, système collaboratif de managers qui agissent en entreprise en mode « mission » applique des tarifs différenciés. LouerUnManager.com distingue ainsi les start-up en pré- ou en post-levée de fonds. « Nous pratiquons des tarifs préférentiels pour celles qui sont en pré-levée de fonds ou qui sont incubées, soit 650 euros par jour en moyenne, contre 1000 euros pour une entreprise bien installée » commente Aurélie Giraud.
En adoptant cette politique de prix différentiée, LouerUnManager.com prend moins de risques qu’une start-up ayant adopté une stratégie de pénétration massive à prix cassés. En effet, cette dernière n’est pas sans danger puisqu’elle repose sur des prix bas, donc des marges réduites, et nécessite la conquête rapide d’une clientèle importante.
Pierre-Jean Lepagnot