Deux parcours d’entrepreneurs qui confessent leurs erreurs

Temps de lecture estimé : 4 minutes

« Le rebond fait partie du business plan »

École américaine : il faut nécessairement échouer pour réussir plus tard. École française : l’échec est rédhibitoire, vae victis ! Cette dichotomie à la serpe est en train de vaciller. Nos startupeurs changent la donne : ils échouent et repartent en avant. En se nourrissant de leurs erreurs. Témoignages.

Rebondir après un premier échec entrepreneurial n’est pas chose aisée, certes. C’est pourtant l’écueil qu’ont connu un grand nombre d’entrepreneurs avant de réussir. Chiffre éloquent que la réussite de quelques jeunes pousses occulte : on admet que 90 % des start-up créées en France échouent ! Il est donc souvent plus rare de réussir du premier coup que de se « planter » une ou plusieurs fois avant de se lancer dans le projet qui va mûrir et fonctionner au-delà de ses attentes.

Remonter en selle

Or se retrouver seul(e) après un premier échec entrepreneurial n’invite généralement pas à recommencer tout de suite. Lorsqu’Isabelle Saladin a déposé le bilan de sa première entreprise, une plate-forme d’e-commerce spécialisée dans la décoration intérieure, son premier réflexe est de se tourner vers le salariat. « Il m’a fallu très vite rebondir, explique-t-elle, j’étais fichée 040 à la Banque de France et j’avais reçu les huissiers chez moi. Il fallait vite que je trouve un travail et que je fasse rentrer de l’argent. » Elle trouve à l’époque du travail au sein d’une grande entreprise américaine spécialisée dans la conception d’imprimantes. Heureux hasard, le CEO souhaite faire évoluer son modèle économique en vue d’une cession. Il recherche alors une personne capable d’acquérir une vision globale de l’entreprise pour la développer sur des marchés qui lui échappent. Le background d’entrepreneure d’Isabelle Saladin joue à son avantage. Son expérience avortée montre qu’elle a su prendre un projet à bras-le-corps et le développer. « La raison pour laquelle ils m’ont recrutée, c’est mon expérience entrepreneuriale et ma motivation à rebondir vite. C’est le rebond qui m’a valu de me faire embaucher finalement. » Mais l’échec est-il aussi « bien vu » partout ? Isabelle Saladin confirme l’état d’esprit positif du monde du business anglo-américain : « C’est vrai au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Dans le monde anglo-américain, le rebond est ressenti comme quelque chose de très positif. » Pourquoi ? « Un entrepreneur qui a “planté” sa société ne fera pas deux fois les mêmes erreurs, ce que les recruteurs d’outre-Manche et d’outre-Atlantique ont bien compris. »

Retrouver un travail en CDI n’est pourtant pas la seule façon de rebondir. Sylvain Tillon, qui avait confondé une première entreprise spécialisée dans les bijoux pour cheveux lors de ses études, voit son entreprise sombrer… six ans après sa création. Si les propositions d’emplois arrivent assez facilement pour cet ex-étudiant-entrepreneur, lui aussi fiché 040 à l’époque où cette marque d’infamie existait, il se rend compte qu’il est incapable de signer les propositions de contrat. « J’avais besoin de trouver du travail pour me rassurer à l’époque. J’en avais trouvé assez facilement, notamment parce que je possédais une vision très globale de l’entreprise. Mais je n’ai jamais pu m’y résoudre. J’ai préféré me lancer tout de suite dans une deuxième aventure, fort des enseignements du premier échec. » Cette deuxième aventure se nomme Sydo, existe toujours aujourd’hui et revendique 1,5 million d’euros de chiffre d’affaires.

Accepter d’être la source de l’échec

Car rebondir passe avant tout par une introspection et une compréhension de l’échec. Tous les entrepreneurs le martèlent : « Quand on se “plante”, c’est à cause de soi-même. » Pour autant, rien ne sert de se flageller, il est beaucoup plus constructif de chercher à comprendre ce que l’on a mal fait pour tourner la page et ne pas reproduire l’erreur. « Le travail d’introspection que j’ai réalisé sur moi-même a été très important, explique Isabelle Saladin, il m’a fallu tirer les leçons de cette non-réussite et comprendre ce que j’aurais dû faire autrement et pourquoi je l’avais fait de cette façon-là ». L’entrepreneure identifie trois erreurs déterminantes dans l’échec de son premier projet entrepreneurial. « J’ai sous-estimé l’importance de l’ambition. Mon chiffre d’affaires était en croissance et la courbe des charges l’était tout autant. J’ai eu peur et n’ai levé qu’un million d’euros là où j’aurais dû tenter plus. » Isabelle tente une analogie avec le monde du sport : « C’est comme si un sportif disait qu’il visait les championnats de France au lieu des Jeux Olympiques ! » Sa deuxième erreur ? Avoir minimisé le temps nécessaire pour fédérer autour de son projet. « Nous étions dans une époque où investir dans l’immatériel était considéré comme très risqué. Mon erreur a été d’avoir sous-estimé le temps qu’il m’aurait fallu pour convaincre. J’étais tellement sûre de mon projet que je n’ai pas écouté les réserves des financiers et leurs préoccupations. » Troisième erreur identifiée : n’avoir pas sollicité d’aide ni d’accompagnement. Une leçon qu’elle a d’ailleurs tellement retenue qu’elle en fait l’objet de la nouvelle entreprise qu’elle a créée depuis, I&S Adviser : faire accompagner les créateurs dirigeants d’entreprise par des operating partners sur les questions stratégiques. Un modèle qu’Isabelle Saladin a connu, directement importé des États-Unis, lors de ses années salariées entre deux projets : « Dans le cadre de mes fonctions j’ai découvert le pragmatisme des entrepreneurs. Je me suis rendu compte que leur apport opérationnel était l’un des éléments clés pour avancer. »

Ne pas voir trop grand, ne pas voir trop petit

Sylvain Tillon, lui, identifie plusieurs erreurs à l’origine de l’échec de sa première entreprise. « Nous partions sur un projet protégé par un brevet mondial et avec une distribution mondiale. L’aventure était très excitante, mais le brevet nous a, en réalité, davantage posé problème qu’autre chose car nous nous sommes fait attaquer par un concurrent qui souhaitait une licence alors que nous n’avions pas les moyens de nous défendre », raconte-t-il. Dans ce genre de business et de distribution, le manque de moyens au départ constitue l’autre cause d’échec : « Nous avons parcouru un chemin extraordinaire et tenu cette entreprise pendant six ans avec un capital de départ de 15 000 euros. Or ce type de projet exigeait des stocks, ce qu’il était difficile de maintenir avec un capital de départ aussi faible. » Deux autres erreurs ont vacciné Sylvain Tillon. Elles se montrent presque antinomiques : d’un côté avoir vu trop grand trop vite, et de l’autre s’être parfois freiné par peur de l’échec. « Un marché mondial s’ouvrait à nous, nous sommes donc allés vendre nos produits à l’étranger en même temps que sur le marché français. Avec le recul, c’était une erreur car nous n’avons pas investi 100 % de notre énergie sur un seul marché. » Effet trompeur, l’entreprise avait remporté bon nombre de concours dès la première année : « Fort de ces succès nous nous sommes tout de suite structurés pour faire beaucoup alors que ce n’était peut-être qu’un petit projet… » De peur de perdre trop d’argent, l’entrepreneur et ses associés limitent les investissements, notamment sur les shootings, indispensables pour la vente des bijoux. Ils n’osent pas payer à son prix des prises de vues de professionnels et jouent la carte de la photo quasi artisanale. Les budgets sont limités, mais ils le paient cher. Enfin, aveu de l’artiste : « Mon erreur a été de ne pas avoir cherché à gagner de l’argent. Ce que je voulais avant tout, c’est que mes bijoux soient portés. ». Il se souvient, Sylvain Tillon, du jour où il a, pour la première fois, croisé une inconnue dans le métro qui portait ses bijoux. Euphorie dans la tête…

Un seul objectif : gagner de l’argent

Sylvain lance alors Sydo, puis Tilkee. À bord de Sydo, il n’a qu’une idée en tête : montrer (entre autres à sa banquière) qu’il est capable de gagner de l’argent. Il s’associe avec un ami, calcule combien ils doivent chacun faire rentrer dans les caisses par mois pour vivre et développer l’entreprise, et se lance. Au départ, 8 000 euros de chiffre d’affaires mensuel à deux suffisent, puis le besoin de se staffer arrive. Pour accueillir des stagiaires, le besoin en chiffre d’affaires augmente. C’est une spirale qui va conduire Sydo dans le mur. Aussitôt, Sylvain Tillon crée Tilkee. « Je cherchais, à l’époque Sydo, un moyen d’envoyer les productions à des prospects sans qu’ils puissent les télécharger. Par hasard, j’ai ajouté une couche d’analytics dessus et pu mesurer ce que faisaient ces prospects à partir de mes propositions. Ce qui m’a donné l’idée de lancer Tilkee en juillet 2014. » Des logiciels de tracking de documents numériques ! « Tilkee révolutionne votre manière de vendre en analysant les comportements de lecture de vos documents », annonce le pitch du site. Nouvelle aventure et… nouvelles erreurs : « Mais je ne refais pas les mêmes ! » s’exclame celui qui apprend au passage que le prix le plus bas n’est pas forcément le plus adéquat. Ou encore que les CV impressionnants ne sont pas toujours adaptés à la gestion d’un projet entrepreneurial. Il en a tiré un livre : 100 conseils pratiques pour couler sa boîte (préface de Xavier Niel, Eyrolles).

Un rebond plus facile aujourd’hui

Aujourd’hui, le rebond est plus ancré dans les mœurs qu’il y a quelques années. Isabelle Saladin a par exemple créé les Rebondisseurs Français, un mouvement d’entrepreneurs pour glorifier ceux qui ont… rebondi. Le 20 septembre, les Restart Awards (où Isabelle Saladin est d’ailleurs nominée), sous le Haut patronage d’Emmanuel Macron, ont voulu changer le regard sur l’échec. L’association 60 000 rebonds propose de son côté d’accompagner les entrepreneurs post-faillite. Car si le rebond n’est pas chose aisée, Isabelle Saladin confirme qu’il est presque inhérent à la décision d’entreprendre. « Il n’y a pas beaucoup d’entrepreneuriat sans rebond. Le B.A.-BA de la création d’entreprise est de prendre des risques, dont celui de chuter. Il ne faut pas que ça freine le projet. » L’entrepreneure préfère à l’image du bébé qui chute avant d’apprendre à marcher celle du cuisinier qui ratera forcément son plat avant de le réussir. « Nous en faisons une montagne dans le monde entrepreneurial et scolaire, mais la chute n’est pas un échec, l’échec c’est de rester là où on est tombé. » Wouah ! Un aphorisme digne de figurer dans un recueil de citations ! Et plus pragmatique, ce dernier mot d’Isabelle : « Le rebond fait partie du business plan. »

Nicolas Pagniez

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