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Start-up, votre client est roi, uniquement s’il paie !
De la version bêta au MVP (Minimum Valuable Product), jusqu’où faire confiance avec ses premières expériences client ?
Pour une start-up, plus encore sans doute que pour une entreprise traditionnelle, la culture de la relation client est primordiale. Naviguant sur une mer d’inconnues et d’incertitudes, au milieu de magnifiques innovations plus ou moins avortées, les jeunes pousses doivent s’appuyer sur leurs futurs clients afin de s’assurer un écho favorable au moment de la commercialisation de leur produit ou service. Parmi les outils à leur disposition, prédomine le MVP, le fameux Minimum Viable Product, si cher aux pépites en devenir. Mais attention, la méthode a ses limites. A trop prendre en compte l’avis de ses clients, on peut en oublier l’essentiel, faire entrer de l’argent dans les caisses.
Parfaitement inconnu il y a encore quelques années, le concept de Minimum Viable Product est aujourd’hui sur les lèvres de tous les startuppers. Le MVP, associé à la lean start-up attitude inventée par Eric Ries il y a une dizaine d’années, fait fureur dans les cours des incubateurs et autres accélérateurs. Pourquoi ? Hormis l’amour inconsidéré des startuppers pour ces barbarismes linguistiques, l’exploitation de la relation client est devenue incontournable dans un monde où les innovations se démultiplient à une vitesse incroyable. « Les start-up sont, par définition, positionnées sur des marchés innovants. Il est difficile de connaître vraiment les besoins des utilisateurs, puisqu’eux-mêmes ne les connaissent pas encore ! , sourit Philippe Silberzahn, spécialiste de l’innovation et de l’entrepreneuriat à l’EM Lyon. Dans les secteurs innovants, les études de marché donnent régulièrement des résultats qui s’avèrent faux. Le consommateur, face à une offre qui n’existe pas encore, est déstabilisé. » Le spécialiste rappelle le cas de Nespresso confronté à des années d’études de marché catastrophiques et qui avait eu le bon goût de s’entêter. « Tous les startuppers ne sont pas des visionnaires. Dans ces conditions, la seule solution pour appréhender le marché est de s’y confronter par le réel. »
Gérald Crescione, cofondateur du studio Start-Up maker insiste : « Il faut absolument éviter le syndrome du garage c’est-à-dire le startupper restant enfermé pendant un an pour développer un super produit grâce à de la love money. Il risque de se ramasser une claque monumentale le jour où il décide de montrer son bijou technologique dont personne n’a besoin. »
Se confronter rapidement au marché
Les jeunes entreprises doivent donc aller très vite à la rencontre de leurs clients. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’elles doivent investir des millions d’euros. Car cette idée qu’elles trouvent si chouette fera peut-être «pshitt» très vite. D’où le concept du Minimum Viable Product. « L’idée du MVP est de mettre très vite dans les mains de l’utilisateur le produit minimum pouvant être commercialisé, en investissant un minimum d’argent donc », détaille Philippe Silberzahn. « Le MVP est primordial, il sécurise le parcours et chaque pivot », complète Gérald Crescione.
« Le MVP, finalement ce n’est que du bon sens. On vérifie le marché avant d’investir. C’est logique non ? », questionne Guilhem Bertholet, fondateur de la Cuisine du web.
Un produit minimum avec un minimum d’investissements
« Elaborer un MVP n’est pas si facile car l’entrepreneur doit accepter de ne pas développer l’ensemble des fonctionnalités. Il doit faire un choix, ne garder que ce qui est absolument essentiel et tant pis s’il n’est pas joli, ce n’est pas le problème du moment. La bonne méthodologie étant d’établir un cadre très strict, avec des hypothèses précises à vérifier », conseille Guilhem Bertholet.
En la matière, le Parisien Clément Mauguet semble un bon élève. Cofondateur en 2016 de la start-up Agicap, il a développé une application permettant aux dirigeants d’entreprise d’anticiper leurs problèmes de trésorerie. L’appli est commercialisée depuis six mois, elle est le fruit d’un long parcours de vérifications croisées auprès de potentiels clients. Grâce à un sondage sur les réseaux sociaux auprès de 400 dirigeants, Clément Mauguet et ses associés ont validé le besoin en pilotage de trésorerie. Puis, pendant six mois, ils ont élaboré des maquettes de leur future appli. « Nous avions un échantillon d’une trentaine de personnes. Il fallait que ce soit suffisamment large pour ne pas prendre pour argent comptant l’avis possiblement isolé d’une personne », raconte le jeune entrepreneur. « Quand la maquette a semblé convenir, nous avons sorti notre MVP. Nous étions sur des itérations très courtes, deux/trois semaines. Toute évolution était validée avant d’aller plus loin. » Grâce à cette méthode, Agicap peut se prévaloir d’avoir déjà 150 clients. « Mais il faut être prêt psychologiquement à se remettre en question chaque jour, à tout renverser en permanence. D’ailleurs, le process n’est jamais terminé, même avec une version aboutie, le client est au cœur de nos développements. »
A Nantes, Pascal Fourtoy a une expérience similaire. Il a fondé Uprigs, il y a un an et demi. Son idée : une plateforme faisant jouer des algorithmes pour mettre en relation des recruteurs et des demandeurs d’emploi. Le concept étant tourné vers des postes ne nécessitant pas d’expérience particulière, ni de diplôme. Après avoir levé 325 000 euros il y a six mois, il est aujourd’hui en version bêta. « Nous avons procédé par mode itératif. Le MVP a été créé en un mois, très rapidement donc, mais on se fichait du graphisme et des détails. Nous avons contacté 100 personnes en direct, dans notre réseau, pour tester notre produit et 6 à 7 000 par les réseaux sociaux. C’est très facile et cela coûte peu d’argent. » Pour Pascal Fourtoy, le passage par le MVP a représenté une étape cruciale du développement de sa plateforme. « Nous avons appris par exemple que les formulaires demandés aux candidats étaient beaucoup trop longs. Cela aurait pu être un frein à l’inscription. Nous avons aussi constaté que nous n’étions pas assez chers, cela ne semblait pas crédible aux recruteurs. »
Maximilien Petigenet, directeur associé de Domalys, entreprise créée en 2012 à Poitiers et spécialisée dans les produits destinés notamment aux Ehpad, est lui allé encore plus loin dans la relation clients pour mettre au point ses produits. Avec son associé, il s’est carrément immergé dans les établissements. « Nous y avons dormi, mangé, nous avons changé les couches de personnes âgées. Nous avons pu établir une liste très précise des besoins. Domalys est partie du marché, améliorer la vie des personnes dépendantes et de leurs soignants, mais sans produits. Ils sont venus après. » L’entreprise a grossi au fil des années jusqu’à atteindre 27 personnes pour un CA de 2,7 millions d’euros et une centaine d’établissements clients. Chaque année, elle sort un ou deux nouveaux produits. Tous passent par la phase MVP. « Nous sélectionnons des besoins remontés par les clients puis nous développons rapidement un produit qu’on leur met entre les mains : du mobilier, des charriots, des systèmes de prévention de chute… » Grâce à du matériel de production souple, une imprimante 3D, Domalys peut faire plusieurs MVP. La démarche s’interrompt lorsque les remontées clients négatives se tarissent. La version définitive est alors actée.
Le client, même testeur, doit payer
Pascal Fourtoy insiste sur la nécessité de faire payer son MVP. « Même si c’est un produit basique, il faut le faire payer. Moins cher que pour la version aboutie évidemment mais il faut le faire payer. D’abord parce que c’est mérité, ce n’est pas un proto, et d’autre part parce que tant que le client n’a pas payé, on n’est pas sûr qu’il le fera un jour ! » Maximilien Petitgenet, de Domalys, est sur la même ligne : « Un MVP gratuit n’a aucune valeur. On le vend moins cher mais on le vend. Et pas toujours aux mêmes. Nous essayons d’élargir le cercle de nos clients tests car une relation affective a tendance à s’installer dans la durée et les critiques sont moins fortes. »
Ne pas oublier le marché !
Thomas Guyon, spécialiste du management international de projets et expert en montage d’incubateurs, met en garde contre une démarche trop centrée sur le client et le produit. « Malgré la généralisation des méthodes de développement de produit comme le Lean start-up entre 75 et 95% des start-up se plantent. Pourquoi ? Parce les entrepreneurs se focalisent entièrement sur leur relation avec leur client testeur, sur leur développement produit. Ils s’attachent à faire un produit répondant totalement aux attentes de l’utilisateur. » En clair, trop de jeunes entrepreneurs en oublient l’essentiel, ou au moins un côté tout aussi primordial que le produit lui-même : le business model. « Pourtant, aujourd’hui développer un produit, c’est facile. En vivre, beaucoup moins. »
Attention donc à ne pas placer l’exigence client sur un piédestal en négligeant le modèle économique. D’autant que dans une start-up, le processus d’amélioration n’est jamais vraiment terminé, notamment dans le digital où les versions peuvent s’enchaîner indéfiniment. Trop attendre pour valider le business model peut s’avérer mortifère. Un excellent produit sans modèle économique n’est pas viable. Idem pour un excellent business model appuyé sur un produit ne répondant pas aux attentes de la cible.
Rodrigue Le Gall, dirigeant de Adooviz (38)
« Tous les retours du MVP étaient négatifs mais je me suis entêté »
« Adooviz a été créée sur l’idée de fournir une solution d’accompagnement de déploiements de logiciels dans les entreprises. Rapidement, nous avons décidé de nous réorienter vers du pilotage d’activités. Pour confirmer ce pivot, en 2017, nous avons décidé de chercher immédiatement une validation marché. Nous avons constitué des «focus group» avec un panel d’une vingtaine d’utilisateurs potentiels et nous avons lancé dans la foulée notre MVP. Nous avons confirmé que la finalité était la bonne mais nous avons mis beaucoup trop de temps à accepter des modifications. Nous avions élaboré une stratégie de lancement en trois étapes, avec des fonctionnalités de plus en plus élaborées. Les retours des groupes montraient, sans erreur possible, que les utilisateurs étaient intéressés par l’étape trois mais pas par les deux premières. Lorsque le constat définitif est arrivé, nous étions à la veille du lancement, nous nous étions laissés embarquer par l’affectif. Pour des questions de management, j’ai décidé d’appuyer sur le bouton quand même. Il fallait que les équipes aillent au bout de ce projet.
Dès le lendemain, nous avons tout repris de zéro. Et en adoptant une vraie démarche de lean start-up cette fois, avec une réelle validation marché. Lorsqu’on a créé une première entreprise (Bonitasoft) qui est passée de zéro à 150 salariés en deux ans, on croit qu’on a le temps et que la validation finira par arriver. C’est faux ! Aujourd’hui Adooviz est les rails. »
Stéphanie Gallo