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Roulent-ils ensemble ?
Grâce au Big Data, la gestion de flotte peut aujourd’hui espérer parvenir à une précision et une efficacité jamais atteintes. Mais les différents acteurs du marché doivent s’entendre…
Les flottes de véhicules d’entreprise ont la cote. En 2016, les sociétés ont pesé plus lourd que les particuliers dans les immatriculations neuves ; et la part des immatriculations pour entreprises est en croissance continue. La gestion de flotte est maintenant un service proposé par la plupart des acteurs du secteur, notamment ceux de la Location longue durée (LLD). Et, de plus en plus, des solutions intégrant la télématique voient le jour – et séduisent.
La télématique change la donne
Car les données qui en découlent ouvrent beaucoup de nouvelles opportunités. Il faut dire qu’il y a de quoi faire, entre la consommation de carburant, le comportement routier tout au long du trajet, les heures d’utilisation, la marche, l’arrêt… Et encore, cela ne concerne que la mécanique de la voiture : il faut aussi y ajouter la géolocalisation, l’exploitation des données de trafic… L’afflux de nouvelles informations, correctement exploitées – ce qui est simple à dire, mais moins à faire –, permet d’optimiser la gestion de sa flotte à plusieurs niveaux. Mieux encore, « la télématique apporte de la valeur ajoutée, quelle que soit la taille de l’entreprise et celle de son parc », souligne Karen Brunot, directeur marketing d’Arval France. Les données récoltées servent de levier pour trois objectifs principaux : l’optimisation des coûts – sujet éminemment transversal –, l’amélioration de la productivité, et la sécurité. D’ailleurs, les gestionnaires de flotte se montrent assez vite conquis : le marché, selon l’Observatoire du véhicule d’entreprise, serait en croissance de 10 à 15% par an, et le taux d’équipement – 23% – est assez élevé compte tenu de la relative nouveauté du service, même si la France semble en retard par rapport à l’Europe. Par ailleurs, « on s’oriente vers un marché automobile connecté, en première monte par le constructeur (les véhicules sont équipés dès la sortie d’usine, NDLR), dès 2020, souligne Sylvain Derrien, directeur produits & services chez Coyote. Et le marché de la seconde monte présente lui aussi des perspectives fortes de croissance. »
Optimisation des coûts
« La première demande des gestionnaires est d’optimiser les coûts, souligne Emmanuel Mouton, CEO de Synox. Cela passe par l’utilisation, le carburant, la maintenance ou l’assurance ». Il y a donc matière à économies. Mais l’idée n’est pas de simplement mesurer exactement, par exemple, le carburant consommé, mais d’étudier le comportement routier (accélération, freinage brusque, vitesse, RPM…) et de corréler le tout avec la consommation, pour ensuite pouvoir donner des conseils d’économies de carburant (freiner plus doucement, ou passer par telle autre route qui a moins de montées, par exemple). Sur un autre plan, surveiller l’utilisation des véhicules (lesquels sont en sous-roulage, en sur-roulage…) aide à gérer ses contrats de LLD et à minimiser ses coûts de maintenance en étant le plus possible dans l’anticipation ; une gestion fine du parc de véhicules permettant d’en optimiser le partage, et donc de réduire la taille de la flotte.
RSE et sécurité
La deuxième raison majeure qui pousse les gestionnaires à s’intéresser à la télématique est la sécurité (eux-mêmes étant poussés par leur département RH). « Le développement de la RSE, qui veut assurer la sécurité des collaborateurs, concerne aussi les conducteurs », explique Karen Brunot. L’idée est, dans la plupart des cas, d’anticiper les sinistres en se plaçant très en amont, le plus souvent en identifiant les conducteurs à risque grâce à leur conduite. Cela permet de leur proposer des formations avant qu’ils n’aient un accident. Mais ce genre de mesure peut aussi être utilisé en temps réel : « Selon les conditions de la route, les accidents, etc., nous travaillons sur des alertes contextualisées », explique Sylvain Derrien. Une solution dont plusieurs prestataires disposent : « Nous proposons, en option, un buzzer, qui sonne dans le véhicule quand le conducteur a un comportement dangereux », décrit Amandine Christolhomme, porte-parole de Fleetmatics. Par ailleurs, l’optimisation de la maintenance évoquée plus haut ne sert pas qu’à rogner sur les coûts. Cela assure aussi que chaque véhicule est dans un état d’entretien minimal, défini par le gestionnaire.
Améliorer la productivité
La plupart des solutions de gestion de flotte fonctionnent sur un principe similaire : une plateforme ou application rassemble les informations voulues, sous la forme d’un tableau de bord paramétrable. L’accès permanent à ces données permet, par exemple, de pratiquer des ajustements à la volée. En poussant l’analyse plus loin, il est aussi possible d’améliorer la productivité de la flotte : optimisation d’itinéraires (en diminuant le nombre de kilomètres parcourus), diminution du temps de conduite moyen (ce qui influence aussi à la baisse le risque d’accidents), mise au point d’un partage des véhicules pour optimiser les achats… Les points sur lesquels agir sont légion. Mais de tels services, qui demandent des algorithmes performants, sont plutôt réservé aux parcs de grande taille ; l’optimisation d’itinéraire, particulièrement, est surtout intéressante pour ceux qui font des tournées (typiquement les services commerciaux).
Et plus tard/maintenant : voitures électriques, météo…
Le plus prometteur sans doute est que cette première volée de services n’est que le début. Avec la démultiplication des données et l’augmentation de leur précision, l’idée est d’être toujours plus fin dans l’analyse – et surtout, d’arriver, sinon à anticiper, du moins à réagir en temps réel. Par exemple, « on travaille à l’intégration des données météorologiques : la température, le brouillard, la pluie…, énumère Emmanuel Mouton. Mais pour prendre en compte ces influences, il faut améliorer les algorithmes ». En effet, une voiture connectée génère déjà plus de 25 gigas de données par heure… Un monitoring en continu demande donc des moyens technologiques considérables. Mais le jeu en vaut la chandelle. Le passage à des services plus prédictifs, tels que préparation d’itinéraire, etc., présente ainsi, par exemple, un intérêt en termes énergétiques. L’un des freins à l’adoption des véhicules électriques est la crainte – de tomber à plat, notamment. « L’un des enjeux est d’amener des informations au conducteur pour lui donner confiance dans sa tournée, par exemple planifier le trajet avec des bornes de recharge », explique Emmanuel Mouton.
Kyrielle d’acteurs
Pour offrir tout ce panel de services, le secteur de la télématique pour gestion de flotte présente plusieurs catégories d’acteurs. Il y a, tout d’abord et bien évidemment, les constructeurs, qui produisent les véhicules et, de plus en plus souvent, les équipent d’un boîtier de mesure. Ensuite, il y a les prestataires de gestion de flotte, les prestataires en géolocalisation, ceux qui analysent les données, les fabricants des boîtiers qui récoltent les données, les loueurs longue durée… Pour que tout le système fonctionne correctement, tout ce beau monde doit s’entendre. C’est aujourd’hui le cas, mais pas de façon systématique : chaque prestataire aura individuellement des accords avec d’autres. Par exemple, « nouer des partenariats avec les constructeurs nous permet de collecter des informations complémentaires, et ainsi de pouvoir proposer encore plus de services », détaille Karen Brunot. Si certains acteurs débordent parfois sur les activités des pure players (la plupart des loueurs longue durée proposent maintenant des services de gestion de flotte), le fait que la plupart garde une certaine indépendance est plutôt à l’avantage du consommateur. « Disposer d’une solution de gestion distincte de celle de géolocalisation, elle-même indépendante du constructeur, permet de ne pas se limiter à une seule marque de véhicules dans sa flotte », souligne Amandine Christolhomme chez Fleetmatics. Et les exploitants aiment ne pas se sentir tributaires d’un constructeur. Le problème est qu’une multitude d’interlocuteurs traitent et transmettent des données. On ne sait plus du coup qui en est propriétaire. Il est fort possible que l’on s’oriente vers « une interconnexion de ces données, réalisée par un opérateur agnostique », estime Sylvain Derrien. L’arrivée de l’eCall – fonctionnalité d’appel d’urgence prévue pour 2018 – sur toutes les voitures pour particuliers pourrait bien accélérer le processus.
À qui appartiennent les données ?
Et, de fait, il n’existe pas de réponse systématique… La question de la propriété des données fait l’objet d’âpres discussions : si tout le monde s’accorde sur l’intérêt de les récolter et de les exploiter, savoir qui en est le légitime propriétaire est une autre question. Car, comme elles valent de l’or, tout le monde (ou presque) veut en être. En théorie, les données appartiennent au propriétaire de la voiture. Mais que se passe-t-il alors en cas de location longue durée ? Ou si un prestataire ajoute un boîtier ? Cela voudrait dire que les données produites par l’entreprise sont éparpillées en plusieurs endroits… De plus, selon la Fédération internationale de l’automobile, 90% des automobilistes estiment que leurs données leurs appartiennent. Les constructeurs, notamment, sont intéressés : l’ACEA et le CLEPA, associations regroupant en Europe respectivement les constructeurs et les équipementiers, ont présenté une architecture technique qui dirigerait toutes les futures communications et données à travers le serveur appartenant au constructeur automobile. Une partie serait ensuite mise à disposition des acteurs tiers. Mais ceux-ci, évidemment, ont un autre avis, et leur coalition européenne a émis un avis contraire… Une piste – évoquée dans un rapport parlementaire – pourrait être la construction d’une plateforme de services à l’échelle européenne. Mais tout cela est dans le futur ; dans le présent, ces questions se règlent au cas par cas, selon les contrats et les partenariats. En plus de tout cela – il faudrait même dire en deçà –, demeure le problème de la protection des données personnelles. C’est même, et de loin, la première raison citée par les gestionnaires de flotte pour expliquer leur désintérêt devant la télématique (selon le Baromètre CSA OVE 2016). En effet, bon nombre de collaborateurs utilisent leur véhicule professionnel pour, par exemple, rentrer chez eux le soir… Il existe pourtant des solutions. « Pour chaque boîtier de géolocalisation, il faut faire une déclaration à la CNIL, explique Amandine Christolhomme. Il faut également que le mécanisme de géolocalisation dispose d’un bouton pour passer en mode vie privée. » Une autre solution consiste à pouvoir classer ses trajets sur la plateforme du gestionnaire. Mais, là encore, se pose la question de savoir à qui, exactement, appartiennent les données…
Jean-Marie Benoist