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Diffusée sur Netflix, la série « Tapie », pensée par Olivier Demangel et Tristan Séguéla (le fils du célèbre publicitaire Jacques Séguéla), revient en sept épisodes sur le parcours de l’homme d’affaires. Même si la fiction dépasse la réalité, l’on retrouve la rage d’un homme habité par l’envie de réussite, quitte à contourner les règles.
Sur la forme, personne d’autre ne pouvait mieux incarner Bernard Tapie que Laurent Laffite. Le pensionnaire de la Comédie française a su se fondre parfaitement dans le personnage : les mouvements du corps, les tics, le regard, la voix. Le double fictionnel d’un homme cash, grande gueule et sans manières. « Cela fait trois nuits que je ne dors pas. C’est très perturbant. Laurent Lafitte a su prendre des attitudes et des intonations de Bernard », révèle Dominique Tapie, même si « tous les travers de mon mari sont décrits avec excès », pointe l’épouse Tapie, jouée dans la mini-série par Joséphine Japy. Un choix volontaire de la part du réalisateur.
« Cette série est librement inspirée de faits réels », lit-on à chaque début d’épisode. Même si les traits sont évidemment grossis, Laurent Lafitte excelle dans le rôle de cet ancien pauvre devenu riche et célèbre. Un ex-prolétaire devenu l’homme d’affaires dans toute sa caricature : le bling-bling, la démesure, le pouvoir et la corruption. Bernard Tapie, c’est une ascension sociale indéniable, lui qui naît en 1943 dans un foyer où le père est ouvrier frigoriste et la mère aide-soignante. Là où certains veulent réussir dans un domaine précis, Bernard Tapie semble obsédé par le succès en soi, existe-t-il un fil rouge entre la chanson, la vente, la reprise d’entreprises, la télévision, le sport, la politique… hormis celui du désir d’être en permanence sous les projecteurs ?
Problème, la série, et c’est en partie vrai pour le véritable Tapie, dépeint le portrait d’un homme qui n’a jamais réussi vraiment complètement. D’abord parce qu’il a accumulé les déboires, mais aussi car son succès reposait souvent sur des suspicions et parfois plus. Tapie le dit lui-même dans la série, « moi d’où je viens, on est obligé de jouer des coudes », ce qu’il prône d’ailleurs à ses troupes dans le football qu’il a tant chéri. Mais l’homme d’affaires, lui, jouait un peu plus que des coudes. Ses plus grandes fiertés restent entachées par la magouille, les escroqueries. Dommage, comme si l’ascension sociale n’était possible qu’en contournant les règles. Bref, quand on creuse la légende tombe.
Mais n’est-ce pas précisément parce qu’il vient d’en bas qu’il a aussi joui d’une grande adulation ? Comme les acclamations qu’il reçoit à son arrivée à la prison de la Santé. Ce n’est pas vraiment un politicien voyou – sous-entendu comme les autres. Ce n’est pas non plus un modèle d’exemplarité. Bernard Tapie est hors-normes, dans un entre-deux entre la galère qu’il a quittée et le système qu’il n’a jamais vraiment pu intégrer, du moins à la loyale, et qu’il fustigeait. « C’est le Vieux-Port contre les p’tits gars de la porte d’Auteuil, ceux qu’ont le pouvoir et qui nous regardent d’en haut comme des merdes ! », lance-t-il à ses joueurs, ceux de l’OM.
L’on retient de ce Monsieur, qui laissera une trace indélébile dans le paysage entrepreneurial et sportif français son ambition, « toujours vouloir viser la lune », son travail et ses combats – contre tout, les affaires, la maladie. La série nous tient en haleine parce que le personnage de Tapie, le vrai, est déjà romanesque. Des projecteurs à la pénombre, des années Tapie à la prison. La scène finale, avec le procureur Éric de Montgolfier, l’un des rares à ne pas succomber au storytelling de Bernard Tapie, marque la fin d’une ère, d’un mythe ? « Croyez bien que si un jour vous deviez aller en prison, ce n’est pas vous personnellement qui seriez enfermé. C’est Tapie, c’est le mythe que vous avez incarné. C’est le rêve que vous avez mis dans la tête de milliers de mômes. Et qui vont se réveiller demain avec la sensation d’avoir été trahis ».