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La bureaucratie est un mal invisible, dont il est difficile de mesurer précisément les effets.
Râler contre la paperasse est une habitude française. François Mitterrand voulait « changer la vie ». Si au moins Emmanuel Macron pouvait un peu la simplifier…
« Laissez parler les p’tits papiers », chantait Régine. Aujourd’hui, les Français voudraient surtout qu’ils se taisent. Le poids de la bureaucratie pèse sur l’économie, sur le moral, pour tout dire sur la vie. Chacun d’entre nous a une anecdote à raconter sur la lourdeur de l’administration, l’absurdité de certaines normes, le poids des taxes, des réglementations et maintenant des « process ». Puisque nous remplissons en ce moment notre déclaration d’impôts – et qu’Emmanuel Macron nous promet de les baisser de 2 milliards d’ici à 2027 – c’est l’occasion de revenir, plus en détails, sur l’organisation administrative. Voyages dans les strates nébuleuses… Le fantôme de Kafka semble avoir élu domicile en France !
Moins on fait, plus on réglemente
Citer Jérôme Fourquet, directeur de l’Ifop, n’est jamais inutile. Ce sondeur doté d’une solide vision politique, auteur de L’Archipel Français (Albin Michel), reste le meilleur analyste des tensions sourdes qui agitent la société française. Dans un récent entretien à L’Express, il revient sur le problème bureaucratique. Ce mal invisible, pieuvre vorace, semble survivre à tous les présidents et se répandre dans toutes les strates de la fonction publique. État, hôpital, collectivités territoriales…
Même les entreprises privées semblent succomber ! Jérôme Fourquet remarque d’ailleurs qu’à la bonne vieille suradministration française, s’est ajoutée l’espèce de novlangue américaine façon McKinsey. « On a importé de la novlangue managériale sans aucune vertu d’efficacité. On a même encore un peu compliqué le problème, en prétendant simplifier les choses par tableurs Excel ! ».
Ces vocations brimées par le schéma administratif
Fourquet résume : « Nous voyons revenir très souvent cette question des normes, des procédures, de la paperasse, du contrôle et autres process qui, petit à petit, grignotent les motivations, découragent les bonnes volontés, et dévitalisent le sens même du travail dans de nombreuses corporations. Infirmières, maires ruraux, policiers ».
Trois vocations souvent brimées, déçues, découragées par la pesanteur du « travail administratif ». En France, selon l’OCDE, 1 personnel hospitalier sur 3 (33,7 %) n’exerce pas de profession médicale. C’est 25 % en Allemagne et en Italie, 24 % en Espagne. L’hôpital français, d’évidence, est suradministré. Quant aux policiers, on sait qu’ils consacrent en moyenne 26 % de leur temps de travail à… remplir des papiers (Fondation Ifrap). Et les maires, notamment en zone rurale, vivent pour leur part une véritable « crise civique », selon les mots de David Lisnard, président de l’Association des Maires de France (AMF). Depuis 2020, plus de 1 300 maires ont ainsi démissionné.
Vers un « État profond » à la française ?
Dans Le Point, Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, va jusqu’à pointer du doigt un « État profond » qui, sur le modèle états-unien, tisserait sa toile en France. « Un État profond s’est constitué avec une administration qui s’est autonomisée du politique, voire politisée avec ses propres objectifs ».
Agnès Verdier-Molinié, directrice de la fondation Ifrap, revient sur cette « inflation normative » qui saisit la France. Comme si notre pays, face au déclin, tentait de réagir en réglementant tous azimuts.
La gardienne des finances publiques sonne l’alarme : « Dans l’industrie, seulement 30 % des projets d’implantation d’usines se concrétisent dans les deux ans à cause des procédures exigées sur la faune, la flore et les fouilles. De la taille des fruits vendus en supermarché à la fiscalisation des abris de jardin, tout est encadré par une norme ». Souvenir de Jean Castex, alors Premier ministre, qui voulait nous interdire de « boire notre café debout ».
Dilution des responsabilités : qui fait quoi ?
Quelles sont les racines de ce mal français ? Outre la méfiance traditionnelle de l’État central, désireux, depuis la Révolution, d’abattre les féodalités et les corps constitués, il y a la dilution des responsabilités.
En France, tout le monde s’occupe un petit peu de tout. Agnès Verdier-Molinié prend l’exemple du RSA. L’allocation est sous le contrôle des départements, mais elle est versée par la CAF. Pôle emploi se charge (en théorie) de l’accompagnement. Sans oublier l’État, qui le verse lui-même dans certains départements ; en Seine-Saint-Denis et en Outre-Mer.
Tout ce beau monde se renvoie la balle. C’est la patate chaude… On pourrait réitérer l’exemple de la dilution avec la politique ferroviaire, celle du logement, de l’apprentissage, du tourisme, du sport… Autant de mille-feuilles administratifs où chacun veut mettre son grain de sel. Bonjour les doublons !
Et paradoxalement, les papiers utiles disparaissent !
David Lisnard, dans sa chronique tenue pour L’Opinion, pointait récemment la dernière lubie de l’administration. Là où il faudrait moins de papier, elle impose la paperasse. Et là où il faudrait conserver le papier, elle impose le numérique et le dématérialisé ! Le remède est parfois pire que le mal. « Acheter des timbres-poste avec un billet de banque en demandant un ticket de caisse au buraliste est devenu un acte hautement transgressif », indique le maire de Cannes, défenseur du paiement en espèces, du ticket de caisse et du document physique, concret, palpable.
Fondamental dans une France où une personne sur six n’utilise pas Internet. Pour ceux-là, l’enfer administratif est une double peine. Terrible de voir le sentiment d’exclusion de beaucoup de nos aînés, qui doivent désormais batailler pour prendre un billet de train. Tâche presque impossible à effectuer sans Internet…