Temps de lecture estimé : 3 minutes
À travers son podcast « Bienvenue dans l’Ascenseur », l’ancienne rédactrice en cheffe du magazine Elle et actuelle présidente d’Actually, met en avant des femmes et des hommes qui réussissent et dont on ne parle pas ou très peu.
Les discours ne sont-ils pas trop binaires lorsqu’il s’agit d’évoquer l’ascenseur social en France ? Avec d’un côté un certain fatalisme, voire déterminisme où votre naissance vous condamnerait à ne pas pouvoir gravir les échelons. De l’autre une parfaite méritocratie où les efforts individuels finiraient toujours par payer. Au milieu, un podcast de la nuance est né en avril 2024, « Bienvenue dans l’Ascenseur ». Son objectif ? tendre le micro à des voix trop silencieuses. Des femmes et des hommes, issus de milieux modestes, se confient sur leur parcours, les épreuves qu’ils ont traversées et comment ils ont pu les surmonter.
« Leur réussite est remarquable et pourtant on ne parle jamais d’eux ». Voilà pour le constat. Parce que la grande majorité des ascensions sociales se font via l’entreprise, de toutes tailles, loin des succès populaires que peuvent connaître les humoristes, footballeurs, top-modèles, etc. Quelque part ces femmes et ces hommes qui ont su déjouer les lois de la reproduction sociale exercent des métiers qui font moins rêver, plus classiques, comme chefs d’entreprise, responsables marketing, juristes. « Mon podcast donne la parole à des gens qui viennent de tous les horizons, aussi bien par rapport à leurs origines ethniques que géographiques […] Des parcours d’immigration et de réussite sont relatés, des personnes issues de milieux modestes des campagnes reviennent aussi sur leurs obstacles et succès », explique Anne-Cécile Sarfati, créatrice du podcast, qui cumule plus de 60 000 écoutes depuis son lancement.
Retrouver la nuance
Ces réussites peuplent les entreprises. « Échangez avec des DRH, et vous verrez que ces parcours de réussite remarquable existent et sont nombreux […] L’enjeu étant donc d’en parler davantage. Je le crois, l’entreprise est le lieu par excellence de l’ascenseur social, de l’intégration », défend Anne-Cécile Sarfati. Et toutes les études le montrent, une plus grande diversité au sein des entreprises contribue à plus de créativité et d’innovation, et donc à de meilleures performances économiques. Évidemment les services publics, au premier chef l’Éducation nationale, ont un rôle majeur à jouer en matière d’égalité des chances.

Est-ce si simple de faire parler ces femmes et hommes de l’ombre ? « Ce n’est pas forcément dans leur habitude de se mettre en avant mais ils ont compris l’urgence du problème. À l’heure où la parole raciste se libère, amplifiée par les réseaux sociaux et les chaînes de télévision où l’opinion prime de plus en plus sur l’information… il est grand temps de décrire la réalité », précise Anne-Cécile Sarfati. La journaliste l’affirme, son podcast ne doit pas beaucoup plaire aux extrêmes, à droite comme à gauche. « D’un côté, montrer des personnes issues de l’immigration qui réussissent en France et qui ont su parfaitement s’intégrer dérange l’extrême droite […] De l’autre, l’extrême gauche n’aime guère que tant de parcours d’ascension sociale soient possibles au sein d’un système capitaliste qu’elle dénonce et qu’elle souhaite abattre », résume la présidente de la société de conseil éditorial et événementiel Actually. Par ailleurs, ces femmes et ces hommes ont cette « envie de renvoyer l’ascenseur », d’aider celles et ceux qui aspirent à une trajectoire semblable.
« Susciter des rencontres »
La saison 1 du podcast était essentiellement constituée de témoignages. Julie Martinez, directrice générale de France Positive aux côtés de Jacques Attali, en fait partie, elle qui a grandi à Sarcelles (95) dans une famille modeste. D’autres, moins connus, racontent leur histoire. C’est le cas de Farah Elamrani, passée d’un lycée de ZEP à un poste de cadre chez L’Oréal. Tous ont dû surmonter les épreuves, les obstacles. Vaincre l’autocensure ou défier le plafond de verre. Certains luttent encore aujourd’hui contre le syndrome de l’imposteur ou du bon élève. Mais tous ont un point commun : « leur réussite est le fruit de rencontres, qu’ils ont su suscitées », pointe Anne-Cécile Sarfati. Travailler plus que les autres pour s’en sortir, évidemment. Mais combien de bourreaux de travail issus des milieux modestes ne sont pas parvenus à s’offrir une vie meilleure ? L’individuel ne s’oppose pas au collectif. Des rencontres font souvent la différence.
« Il ne faut surtout pas hésiter à demander de l’aide. Tant d’associations formidables existent, comme Article 1, ou Les Déterminés pour l’entrepreneuriat. Être accompagné d’un mentor favorise la réussite de ces femmes et hommes partis de zéro », souligne Anne-Cécile Sarfati. Ces structures d’accompagnement prennent d’ailleurs la parole dans le podcast, via des formats plus courts. La réussite n’est jamais complètement acquise. L’ascenseur social produit aussi de « l’ascenseur émotionnel », il n’est jamais simple de naviguer entre des univers complètement étrangers, celui dans lequel on a grandi et celui au sein duquel la réussite les propulse.
Depuis la saison 2, encore en cours, des experts viennent également parler d’ascenseur social. Élisabeth Moreno (ex-ministre déléguée à l’Égalité femmes-hommes) a notamment partagé ses réflexions sur la méritocratie, la puissance du lien humain, et la nécessité de valoriser tous les talents. Alors que les inégalités persistent, que l’égalité des chances patine, ce podcast est une des réponses à la possibilité pour toutes et tous de se bâtir un avenir meilleur.