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Le monde de l’enseignement et de l’éducation sauront-ils bientôt travailler en bonne intelligence avec les start-up? Premiers éléments de réponses avec l’émergence timide mais avérée d’une EdTech made in France.
L’Ecole 42, sacrée meilleure école du code au monde. Superbe ! Openclassrooms, leader européen dans les MOOC (massive open online courses). Bravo. Digischool, leader de l’E-éducation qui lève 14 millions en 2016 pour se développer à l’international. Magnifique ! Autant d’exemples qui nous font croire à une révolution numérique dans le secteur de l’éducation. Pourtant, il s’agirait davantage de quelques arbres robustes qui cachent une forêt de start-up en peine face à un marché difficile d’accès. Les lignes bougent-elles assez vite ?
Un marché mondial en croissance
Trois grands marchés se distinguent à l’échelle mondiale: l’Amérique du Nord, de loin, le plus important et le plus mature. La taille de son marché et l’organisation décentralisée permettent d’allouer du budget pour de nouvelles pratiques scolaires et pédagogiques. Ce faisant, les quelques 13 000 districts possèdent tous un budget EdTech. Et surtout, les Etats-Unis ont depuis longtemps adopté un système de gestion des facultés qui s’apparente à celui des entreprises favorisant l’accélération des cycles d’innovation, l’apport de nouvelles solutions et l’externalisation de certains coûts d’exploitation. Ce qui a bien évidemment entrouvert la porte aux start-up. Une maturité qui s’explique enfin chez l’Oncle Sam par une culture économique de la spécialisation plus prégnante qui a facilité l’émergence de nouveaux écosystèmes. L’Europe des 27 et l’Asie du Sud complètent ce podium. « Côté segments de marchés, la principale locomotive en B to B partout dans le monde, c’est le corporate learning pour attirer les profils, les faire monter en compétences et fidéliser les talents. Les entreprises sont matures au sujet du learning car elles ont nécessairement besoin de recruter et former les meilleurs pour garder un avantage compétitif», tranche Victor Wacrenier, fondateur d’Appscho et président d’Ed21. Ensuite le marché de « l’Higher éducation », seconde part la plus grande du gâteau, dépend selon les pays du mix public privé. « L’ Higher éducation se développe en France et s’explique en raison de la forte prépondérance des établissements privés », ajoute le startupper.
Un environnement toujours trop pesant pour prospérer ?
Cependant le bonnet d’âne nous guette en matière d’écosystème. La France se distingue par l’environnement contraignant qu’elle propose aux « édupreneurs ». L’éducation n’a pas beaucoup évolué dans son mode de fonctionnement bien que tout le monde s’accorde à vouloir dégraisser ce fameux mammouth, secteur perçu comme non rentable et sclérosé par l’inertie de son système.
Les entrepreneurs de l’EdTech sont nombreux et très dispersés. Et les barrières sectorielles et le manque de visibilité du secteur limitent les modes de monétisation des nouvelles start-up malgré une diversification des concepts proposés. Certains segments de marché semblent presque impossibles à atteindre. « Le marché du K12 (Kindergarden to 12th grade) français est inatteignable en B to B pour la grande majorité des start-up françaises car les écoles possèdent peu de ressources pour conduire des projets pilotes. La question du « qui paye ? » est cruciale », constate Victor Wacrenier.
La filière est trop faiblement structurée et doit surtout faire face à un code des marchés publics poussiéreux et indivisible. Les pratiques désuettes se perpétuent sur le sujet des services technologiques. Par exemple, leur processus d’achat n’a pas évolué depuis 30 ans même si les partenariats d’innovation, dispositif corrélé au code des marchés publics, permettent depuis peu d’expérimenter des solutions innovantes issues de la R&D.
Les mentalités et le manque de compétences en interne aussi n’aident pas à ventiler l’innovation. De là à dire que le monde de l’éducation ne comprend pas celui des start-up… Il n’y a qu’un pas. « Dans l’enseignement supérieur, le marché est également considéré comme impénétrable. Les tunnels de vente sont longs, à peu près six mois. Et nous avons dû beaucoup batailler pour développer notre produit en co-construction avec l’ESCP Europe. Nous avons réussi à obtenir un terrain d’expérimentation gratuit au sein du MBA qui nous a ensuite permis de nous développer à l’échelle de l’école. Mais en définitive, ce cas de figure fait preuve d’exception. Grosso modo, l’enseignement supérieur ne sait pas travailler avec les start-up, renchérit Victor Wacrenier. Il faut aussi ajouter que la nature conservatrice de notre système ne permet pas de changement de paradigme notamment dans la pédagogie de professeurs ». Pour preuve dans un autre segment : en 2017, nombreux sont les parents à vouloir inscrire leurs enfants en école Montessori alors que la figure emblématique de cette nouvelles pédagogie éponyme a commencé ses travaux à la fin du XIXe siècle… Imaginez alors former le corps enseignant à la culture start-up. Mission impossible ?
Autre frein également à évoquer, celui du manque de compétences. L’impérieuse nécessité de sensibiliser et de former concerne tout autant les enseignants que les gestionnaires des établissements. Et pour le monde du supérieur, « les DSI sont aujourd’hui plus dans la réactivité opérationnelle que dans la proactivité », estime Victor Wacrenier. Une liste d’obstacles dépassable ?
L’émergence d’un écosystème
Rassurez-vous. Tout n’est pas si sombre pour les édupreneurs. D’abord au niveau des institutions, les mentalités bougent avec la récente législation. La structuration reste lente mais indéniablement à l’oeuvre. En atteste, la loi dite Fioraso du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche qui exige des établissements la désignation d’un vice-président chargé des questions et ressources numériques. A ce titre, Angers est devenue en une poignée d’années, une place forte du numérique grâce au concours de Stéphane Amiard, son vice-président chargé du numérique, qui siège dans le conseil d’administration et milite via son association qui fédère les vice-présidents dans le numérique, pour qu’un pourcentage fixe du budget soit alloué spécifiquement au numérique partout en France, comme cela se fait déjà à l’Université d’Angers.
Lancé en 2015, le Plan numérique pour l’éducation ambitionne de permettre aux enseignants et aux élèves de profiter de toutes les opportunités offertes par le numérique. Sa mise en oeuvre repose sur quatre piliers : la formation, les ressources, l’équipement et l’innovation.
Hors du monde de l’enseignement, les choses évoluent en ce début d’année. « Il y a six mois : il n’y avait pas d’accélérateur privé, de fonds d’investissements privé dédié, de club d’entrepreneurs. Aujourd’hui, les lignes bougent», remarque Victor Wacrenier. Ed21 Angels ou encore EduCapital, un fonds EdTech à ambition européenne procède à ces premiers tours de tables tout en aidant les start-up à remporter des appels d’offres publics, trop souvent accaparés par des acteurs historiques de l’édition. Ailleurs, le CRI (Centre de Recherche Interdisciplinaire) a créé un Master EdTech en partenariat avec Paris V et Paris VII. Le Lab de l’éducation organise des hackhatons pour imaginer l’éducation de demain. Sans oublier la création de Schoolab. « Schoolab est un Innovation Studio qui fait interagir et collaborer grands groupes, start-up et acteurs de l’enseignement supérieur. Nous proposons des programmes d’accélération et des formations à l’innovation. Nous sommes d’ailleurs en plein recrutement pour la quatrième promotion de notre accélérateur de start-up pour étudiants et jeunes diplômés », présente Diane Taieb, Starter Manager de Schoolab. L’observatoire de l’EdTech piloté par la caisse des dépôts, l’edfab en partenariat avec la région Île-de-de France, le News Tank Education ou encore le prix des technologies numériques organisé par ParisTech qui met à l’honneur l’EdTech pour son édition 2017 qui aura lieu en avril circonscrivent petit à petit l’écosystème.
L’EdTech : entre élargissement et approfondissement
« En France, l’on dénombre aujourd’hui entre 300 à 350 start-up. Le marché est très dynamique et en pleine structuration. Il n’y a pas de parcours fléché pour réussir ou se lancer. Aujourd’hui, le décollage a lieu même si le ration des start-up qui parviennent à lever de l’argent est encore trop faible (de l’ordre de 10%, NDLR) » , s’enthousiasme Victor Wacrenier. « L’éducation connait une montée en puissance dans le monde des start-up. En France, il y a une prise de conscience qu’il faut faire bouger les lignes. Mais on ne sait pas encore comment résoudre toutes les problématiques. Nous voyons de gros efforts de la part des acteurs académiques et des grands groupes pour travailler avec des start-up, même si les modèles de collaboration sont encore à construire, d’autant plus que l’entrepreneuriat, l’éducation et les grands groupes sont sur des cycles de vie différents», complète Diane Taieb
Entre autres, Philippine Dolbeau, 16 ans, alors en classe de seconde a créé une application, New School, pour faire l’appel et lutter contre l’absentéisme des élèves grâce à une application utilisable par les enseignants qui détecte via capsule, un peu comme sur le mode du bluetooth pour éviter la géolocalisation, la présence des potaches qui ont alors fixé le dispositif sur un porte clé. Autre exemple avec AppScho : « pour pénétrer le marché, il fallait avoir des certitudes sur nos capacités d’exécution . Il fallait développer un produit qui réponde aux problèmes de la digitalisation de la vie scolaire de façon interopérable, facilement déployable et customizable. Nous agrégeons les infos (ENT, ENE, ERP…) et fournissons un canal de communication unique pour les établissements, explique Victor Wacrenier, fondateur et CEO d’Appscho. Ce qui est nouveau c’est le côté pure tech. Avant, les nouvelles solutions et l’innovation provenaient des éditeurs ou des personnes qui faisaient du knowledge. Aujourd’hui, on s’aperçoit que les besoins ne concernent pas seulement la pédagogie .
Par ailleurs, l’analyse des modèles de l’EdTech en France confirme l’hégémonie des solutions web-based. A peine 17% des projets seulement sont mobile-first. Et les produits physiques sont développés dans une mesure encore plus faible. Une opportunité que certaines start-up ont déjà commencé à saisir, sur le segment des box Pre-K12 comme l’illustrent Chouette Box, box avec activité Montessori de 3 à 7 ans, ou encore, Pandacraft, kit créatif pour la même tranche d’âge.
« Côté corporate learning, « l’émergence de champions tels que CoorpAcademy et 360Learning sur le secteur du Corporate Learning peut freiner les velléités des entrepreneurs souhaitant se lancer sur cette verticale, malgré la très grande taille du marché. Aussi, et comme me l’expliquait récemment Antoine Amiel de Learn Assembly, le marché de la formation français est très spécifique, réglementé, ce qui représente un gros potentiel mais aussi un frein car le marché reste domestique ou francophone, pas anglophone, donc finalement assez petit », décrypte le fondateur d’Appscho.
Autre sujet qui semble encore balbutiant, celui de l’innovation pédagogique en lien avec les technologies dernier cri : Domoscio, spécialiste de l’Adaptive Learning, semble être l’un des précurseurs mondiaux sur ce sujet et le champion français. « Nous avons voulu développé une solution Saas qui utilise le Big Data et le machine learning pour créer des parcours personnalisés afin d’apprendre plus facilement et surtout de créer un parcours de révision sur mesure », présente Ivan Ostrowicz, co-founder et CEO de Domoscio. Benoît Praly, l’autre co-fondateur, ajoute : « l’apprentissage adaptatif s’adresse aux institutions et entreprises qui possèdent déjà un référentiel d’éducation ou un système de compétences métier. Notre solution travaille indépendamment du contenu et de l’utilisateur. Mais il faut se poser la question de son insertion dans un dispositif plus large. Nous travaillons avec des entreprises du CAC 40, des étudiants, des élèves de CM1. Nous proposons un système d’alerte quand la remédiation est nécessaire. Mais le relai humain doit ensuite se faire ». Une innovation de taille à l’heure où l’individualisation des parcours devient une priorité tant dans le primaire que dans la formation continue. Finalement le mammouth est peut-être en train de maigrir…
Geoffroy Framery