Innovations autour de la gastronomie

« Steaks en préparation… »
« Steaks en préparation… »

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Alimentation 2.0

Des innovations dans la conception, l’emballage, le service, mais aussi dans l’assiette pour la survie de l’humanité…

La technologie et la nourriture ont toujours fait bon ménage. En tant que besoin essentiel et plaisir universel, s’alimenter est à la fois la source de nombreuses innovations et un domaine d’application quasi-systématique, du feu à la soupape de sécurité (qui a donné l’autocuiseur) en passant par les progrès dans les métaux et alliages (ustensiles de cuisine, fours…). Quand on aime, on ne se prive pas… Quatre principes directeurs forts président à la grande majorité de ces évolutions : la simplification, l’hédonisme, l’écologie (au sens de préserver la planète) et le DIY (Do It Yourself, fais-le toi-même) – dans des proportions et combinaisons variées, les deux dernières étant plus récentes que les autres. Mais peu d’innovations auront un impact aussi global que celle du numérique et des ordinateurs. Cela aura pris quelques décennies, mais la tendance s’accélère – considérablement – depuis quelques années. Elle touche aussi bien le contact entre la nourriture et le consommateur, que son acheminement et sa production – voire même sa conception.

Impliquer le consommateur

Pour Monsieur Tout-le-monde, le signe le plus visible de la rencontre entre technologie et nourriture est en général la multiplication d’ustensiles de cuisine plus ou moins utiles (et souvent finissant leur carrière dans les fonds de tiroir). C’est toujours vrai (et peut-être plus encore aujourd’hui, cf. encadré), mais certains objets aujourd’hui visent plus loin, et impactent également les producteurs. C’est le cas, par exemple, de la D-Vine (récemment récompensée au CES de Las Vegas), qui permet de consommer du vin au verre, sous conditions optimales de température et d’aération. « Dans les capitales mondiales, les cadres achètent du temps, explique Thomas Jarousse, un des cofondateurs de 10-vins. Ils cherchent à vivre des expériences plaisantes, mais sans avoir à s’y investir trop. » C’est ce ratio simplicité/qualité qui a fait le succès de Nespresso. Et l’accueil chez les producteurs – 10-vins traite directement avec eux –, y compris chez les grands crus, est très positif. « Nous ouvrons un nouveau canal de distribution, plus en phase avec les usages actuels. Les deux tiers des ventes en restaurant se font au verre », rappelle Thomas Jarousse.

Mais du point de vue du consommateur – et des restaurants –, la révolution la plus importante est sans conteste l’arrivée d’Internet. L’explosion des services de commande et livraison à domicile ces dernières années en est la preuve, sans compter les solutions mises en place par les restaurateurs eux-mêmes… On voit même apparaître ce qu’on pourrait appeler de la télé-restauration, dont le pionnier est l’américain Munchery. « Les repas sont élaborés tous les jours dans nos cuisines par des chefs étoilés », décrit Tri Tran, l’un de ses fondateurs. Et les plats sont livrés (à terminer au four) à domicile, la commande se faisant – évidemment – par une application dédiée. Le succès remporté, notamment dans les levées de fonds, par la start-up, en a inspiré d’autres, y compris dans l’Hexagone (Frichti, PopChef…).

Mais ce n’est pas seulement la restauration qui a été impactée par l’arrivée du Web. Pour un certains nombre de petits producteurs également, cela a été une bénédiction. Grâce à la montée en force des valeurs green, tout d’un coup, la distribution directe au consommateur (en passant par des sites de paniers à la semaine) est devenue beaucoup plus abordable et rentable. Cela concerne principalement les agriculteurs en périphérie des grandes villes, mais c’est justement une population qui avait particulièrement besoin d’un débouché de ce genre. Certains poussent d’ailleurs la démarche un peu plus loin : on a vu fleurir nombre d’Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP), qui voit les consommateurs et les producteurs collaborer de façon plus poussée.

Rationaliser la gestion et l’acheminement

Mais la vraie révolution en matière de distribution et de gestion – particulièrement de masse – est portée par les tags RFID. Pour bien comprendre pourquoi, il faut déjà se représenter ce qui se passe quotidiennement dans une grande surface qui vend des produits frais. Il est crucial que la bonne nourriture arrive, dans la bonne quantité, au bon magasin, et une livraison quotidienne peut représenter facilement plus d’une centaine de cartons. Et le travail de vérification se produit souvent le matin, tôt, à la main, ce qui fait que le plus souvent seul le nombre de palettes est vérifié – et non leur contenu. « L’intégration d’un tag RFID sur la palette permet, en quelques secondes, avec un scanner tenu à la main, de savoir exactement quel produit elle contient, sa quantité et sa fraîcheur, sans ouvrir quoi que ce soit », souligne James Stafford, directeur du RFID appliqué à l’alimentaire chez Avery Dennison, un leader mondial dans les solutions utilisant le RFID, avec plus de 800 brevets et applications et des capacités de fabrication mondiales, qui a déjà produit plus de 6 milliards d’étiquettes et d’étiquettes RFID. Les économies résultantes – en heures de travail, meilleure gestion du stock, diminution des déchets et donc du coût – sont considérables. La technologie est déjà prête, et grâce au fait que les palettes (et les tags) sont réutilisables, l’investissement est plus rentable qu’il n’y paraît.

Mieux encore, l’utilisation de tags RFID sur les produits individuels présente elle aussi, à terme, des avantages pour les distributeurs. « L’inventaire et le relevé des dates d’expiration – tâches essentielles – sont souvent effectués à la main, rappelle James Stafford. L’utilisation, là encore, d’un scanner à main, non seulement accélère la tâche, mais diminue le risque d’erreur. » On peut même aller plus loin encore et doter les armoires et présentoirs de lecteurs, et disposer ainsi d’une mise à jour en continu de son inventaire… Mieux encore, pour certains produits frais, notamment la viande, l’utilisation de tags individualisés est l’outil idéal pour régler le problème de la traçabilité, aussi bien pour le distributeur que pour le consommateur.

Les tags RFID individualisés permettront même, à terme, l’optimisation du passage en caisse – une obsession de la grande distribution. « Grâce au NFC, les articles d’un panier pourraient être scannés avec un téléphone portable, ce dernier servant également de moyen de paiement », décrit Jean-Christophe Lecosse, directeur général du CNRFID, organisme créé pour faciliter l’adoption de ces technologies. Des expériences sont déjà en cours, mais le problème est que les tags sont encore chers pour les produits individualisés. Ils restent donc encore l’apanage de produits plutôt haut de gamme, comme les vins ou les parfums, qui s’en servent également pour donner au consommateur des informations supplémentaires.

Du coup, l’adoption généralisée des technologies RFID n’est pas encore à l’ordre du jour. « De plus, il faut que les distributeurs s’allient pour proposer des solutions ou briques de solutions communes pour atteindre un niveau minium d’interopérabilité, souligne Jean-Christophe Lecosse. Cela va certainement prendre du temps. » Sans compter que les acteurs de l’alimentaire ne sont pas nécessairement adeptes des évolutions rapides : après tout, il a fallu près de dix ans pour que le code-barres traverse l’Atlantique. Mais les avantages à la clé sont trop nombreux, et trop évidents, pour que les tags ne viennent pas accompagner les codes-barres (avant éventuellement de les remplacer).

Réinventer la nourriture

Tous ces changements, aussi importants qu’ils soient, ne constituent que la partie émergée de l’iceberg : la révolution la plus importante se prépare au tout début de la chaîne. Grâce aux progrès réalisés en génétique, physique et informatique – donc les mêmes qui servent à élaborer les OGM –, certaines start-up se sont lancées dans une mission plus qu’ambitieuse : réinventer la nourriture, en commençant par sa partie d’origine animale. « Élever du bétail est une façon incroyablement inefficace de produire des protéines, explique Ethan Brown, fondateur et dirigeant de Beyond Meat. Cela demande beaucoup de terrain, d’énergie, et énormément d’eau pour fabriquer un kilo de protéine animale. De plus, la viande que nous mangeons représente seulement 30% de l’animal ; le reste n’est pas utile. » En fabriquant la viande, il estime qu’on pourrait simultanément résoudre quatre problèmes : le réchauffement climatique, le bien-être animal, les ressources naturelles, et la santé. Beyond Meat, qui a été fondée en Californie en 2009, utilise des protéines issues de petits pois pour fabriquer – recréer serait plus exact – de la viande. Et les résultats (la start-up vend déjà du poulet et du bœuf haché) sont déjà, de l’avis presque unanime de ceux qui ont goûté, impressionnants. Ils ne sont pas les seuls à s’être lancés dans cette voie. Impossible Foods, autre compagnie californienne, va elle lancer son steak haché à la fin de l’année. Hamptons Creek Food (là encore proche de la Silicon Valley), s’est lancée dans la quête du substitut de l’œuf, omniprésent dans beaucoup de recettes. Depuis quelques années, ils commercialisaient de la mayonnaise, et ils viennent d’annoncer la sortie prochaine de plus de 40 produits (pâte à cookies, gâteaux, vinaigrettes…). Le point commun de toutes ces compagnies est qu’elles ne cherchent pas tant à séduire les végétariens qu’à trouver une nouvelle façon, plus responsable, de produire de la viande (et autres produits) à destination de tous, y compris des chaînes de fast-food et des industriels. « Nous ne signalons jamais spécifiquement que notre produit est végétarien ou sans œuf, car ce n’est pas ce que nous visons, souligne Josh Tetrick, le fondateur de Hamptons Creek Food. Nous visons à produire, avec les plantes, de la nourriture meilleure, plus saine, et moins chère. » Et ils ne sont pas seuls dans leur combat. Ces trois compagnies (il y en a d’autres) ont toutes reçu le soutien, direct ou indirect, de gros investisseurs. Bill Gates, notamment, n’avait à l’époque pas tari d’éloges sur Beyond Meat – et pour lui, les enjeux vont plus loin même que l’écologie. « Pour le dire simplement, il n’existe aucun moyen de produire suffisamment de viande pour 9 milliards d’individus*, expliquait-il. Et on ne peut pas demander à tout le monde de devenir végétarien. C’est pourquoi nous avons besoin de plus d’options pour produire de la viande sans drainer nos ressources. » Pour lui, comme pour les fondateurs de Twitter, Facebook, et autres, l’intérêt de cette réinvention en profondeur de la nourriture n’est pas juste de manger plus sainement – il s’agit d’assurer notre survie.

Electroménager du futur

Retour aux fourneaux (ou presque)

Certains pourraient dire que pendant des siècles, toute la cuisine a été du DIY, mais depuis les années 60 et l’apparition en masse des plats pré-préparés, pour une partie croissante (urbaine) de la population, faire la cuisine est une pratique qui s’est un peu perdue – mais qui revient à la mode. Le retour aux fourneaux trouve ses racines dans la montée en puissance des valeurs environnementales ainsi que dans un certain snobisme ambiant (rappelez-vous la pub Marie, avec Valérie Lemercier, qui se vantait d’avoir fait elle-même ses petits plats). Du coup, il s’est établi rapidement une tradition d’objets divers et variés, dédiés à des tâches bien spécifiques : la machine à gaufres, à croquemonsieurs, à glaces, à yaourts… La tendance s’accélère aujourd’hui, avec par exemple le Thermomix, l’objet hype qui permet de réaliser des plats complexes de façon automatique. Mais bien sûr, tous les objets n’ont pas le même degré d’utilité – mentions spéciales pour le four équipé d’une caméra (qui fait des suggestions pour la cuisson) et pour l’imprimante 3D… à pancakes. Cette dernière n’est d’ailleurs pas un cas isolée : l’impression 3D pour la nourriture semble être là pour rester, et si pour l’instant ses bénéfices sont purement esthétiques, des applications dans le domaine de la santé peuvent se révéler intéressantes.

* L’estimation actuelle de la population mondiale en 2050.

Jean-Marie Benoist

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