L’autre élection qui change le visage de l’Europe

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(crédits : shutterstock)

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Une élection peut en cacher une autre. Retour sur l’arrivée au pouvoir, à Londres, du travailliste Keir Starmer.

Après quatorze ans de gouvernement conservateur, les électeurs britanniques ont fait le choix de la gauche. Analyse d’un programme.

« WOAH ! WOAAAAH ! WOAAAAAAAH ! ». Non, ce n’est pas l’exclamation gutturale d’un grand primate ou les extraits d’un film licencieux, mais bien l’onomatopée qu’entendirent les téléspectateurs de Sky News à l’annonce des résultats des dernières élections générales. Les présentateurs ne purent retenir ce cri du cœur face à l’impressionnant résultat du parti travailliste qui, en gagnant 409 sièges à la Chambre des Communes (soit près de deux sur trois) a infligé une très lourde correction au parti conservateur, réduit à 120 sièges, son plus faible résultat historique. Des circonscriptions à droite depuis plus d’un siècle – parfois même depuis la naissance du système parlementaire – ont été remportées par le Labour.

Une victoire annoncée face au zigzag des conservateurs

Certes, la victoire de Sir Keir Starmer était annoncée après quatorze ans d’un pouvoir conservateur vivotant, marqué par cinq premiers ministres, dont trois rien que dans la dernière législature. Les errements de Rishi Sunak, qui fit le choix de s’éloigner des idéaux naguère portés par Margaret Thatcher, achevèrent un parti déjà bien mal en point. La tristement célèbre Liz Truss, ancienne locataire du 10 Downing Street (certes pour un bail précaire) a par exemple été rejetée par les électeurs. Boris Johnson ne se représentait pas. Theresa May a enfin été anoblie par le Roi et siègera désormais à la Chambre des Lords.

Notons que le parti libéral-démocrate (centriste) obtient un très bon résultat de 71 sièges là où les indépendantistes écossais sont en fort recul, avec 9 sièges. Reform UK, le parti du brexiteur Nigel Farage, remporte pour sa part quatre sièges – une première. Son emblématique leader entre ainsi à la Chambre des Communes où il représentera Clacton-on-Sea, station balnéaire de l’Essex.

Un programme keynésien mi-figue mi-raisin

Dès le lendemain des élections, Rishi Sunak rentrait de sa circonscription du Yorkshire (où il fut réélu) pour atterrir à Londres au petit matin. Sa courte allocution fut notamment marquée par des excuses : « I am sorry ». Dans la tradition britannique, il s’est immédiatement rendu chez le Roi pour lui remettre sa démission. Aussitôt, Charles III convoquait Keir Starmer à Buckingham Palace pour lui proposer de former un gouvernement… Ce qu’il accepta évidemment.

Notons que si la gauche française a eu beau jeu de se réjouir de cette victoire, le programme de Sir Keir Starmer n’a pourtant rien à voir avec celui du Nouveau Front populaire. Situé résolument au centre, pro-business, Keir Starmer ne compte pas engager de grandes dépenses sociales, refuse d’augmenter les impôts et a fait campagne sur le relèvement des services publics. Cela à commencer par le NHS, l’hôpital public, où sa femme travaille comme infirmière.

Keir Starmer souhaite également créer un géant britannique de l’énergie verte, même si l’idée reste encore assez floue. Il formera un binôme à la tête du gouvernement avec Rachel Reeves, ancienne économiste à la Banque d’Angleterre qui occupera le rôle de Chancelier de l’Échiquier (ministre des Finances). Tradition oblige, elle vivra juste à côté du Premier ministre, au 11, Downing Street.

Keir Starmer, un « middle-class hero » au 10, Downing Street

Starmer se présente sous les traits d’un « middle-class hero » et a notamment fait campagne sur le thème de la « normalité », copiant un peu le François Hollande de 2012. Keir Starmer aime rappeler qu’il s’est élevé par la méritocratie jusqu’à la profession de procureur puis d’homme politique. Il excipe souvent de ses origines modestes : « Je sais ce que c’est que d’être gêné de ramener ses amis à la maison parce que la moquette est élimée et les fenêtres fissurées. »

Et de poursuivre, toujours d’un air empathique : « Je sais ce qu’est une inflation incontrôlée, comment l’augmentation du coût de la vie peut vous faire craindre le passage du facteur : “Va-t-il encore nous apporter une facture que nous ne pouvons pas payer ? ” (…) Nous avions l’habitude de choisir la facture de téléphone parce que lorsqu’il était coupé, c’était toujours plus facile de s’en passer. »

Cet homme qui se donne l’air du voisin sympa prêt à rendre service a également fendu l’armure en dévoilant ses souvenirs d’adolescence, marqués par la maladie de sa mère. Une stratégie de communication qui lui permit de se faire apprécier des Britanniques, lassés par des dirigeants conservateurs souvent issus des plus hautes classes de la société et donc complètement déconnectés. Keir Starmer, décidément anormalement normal, a d’ailleurs annoncé qu’il comptait quitter Downing Street chaque vendredi pour rentrer chez lui, comme n’importe quel chef de bureau. Drôle d’idée.

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