La relocalisation en France : les raisons d’espérer​

La relocalisation, d’abord une question d’automatisation?
La relocalisation, d’abord une question d’automatisation?

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La fin du mal du pays ?

Marre du french bashing ? Spécialistes et chefs d’entreprises explicitent les avantages d’être revenus en France.

L’homme a longtemps haï la machine. L’automatisation dans sa période fordiste a mis sur le carreau nombre de travailleurs. Plus tard, la révolution logistique et la libéralisation des échanges ont déporté la production vers les pays ateliers. La France s’est ainsi effeuillée de son appareil productif au fil des années si bien qu’aujourd’hui, notre industrie représente 12 % du PIB. Nous sommes loin des champions de l’industrie que sont l’Allemagne et le Japon avec 20 % de PIB industriel, et nous sommes toujours à la traine derrière la Chine, la Corée et ces fameux dragons d’Asie qui ont parfois récupéré une partie de notre fabrication de produits manufacturés.

Malgré ces chiffres, le Groupement des fédérations industrielles estime que le PIB industriel français pourrait passer de 12 à 15 % d’ici cinq ans.

Un chiffre qui annoncerait la relance de l’industrie française. Parmi les tendances qui pourraient y concourir, la relocalisation peut être un atout qui permettrait de rebattre les cartes de l’appareil productif français. D’autant que l’impératif industriel glisse doucement d’une recherche du bas coût de main d’œuvre vers aujourd’hui une recherche de réactivité et d’intégration pour mieux répondre aux exigences du marché.

Un sujet de tous les fantasmes

L’atout est toutefois très idéologisé. Depuis que le produire moins cher a signifié la délocalisation sacrifiant l’emploi pour accroître le taux de marge des entreprises, les politiques n’ont eu de cesse de s’accaparer la question de l’appareil productif national. « Un sujet d’autant plus brûlant que les mécanismes de compensation attendus après les chocs des  délocalisations touchant certains territoires, tels que la mobilité du travail ou l’effet de spécialisation sur d’autres secteurs, n’ont jamais marché. Même si au niveau national l’effet des délocalisations sur l’emploi demeure minoritaire, les destructions d’emplois dans certains  territoires ne sont pas endiguées », explique El Mouhoub Mouhoud, économiste et professeur à Paris Dauphine, auteur de Mondialisation et délocalisation des entreprises, (La Découverte, 5e édition, 2007)

Les volontés politiques pour relocaliser sont très fortes en 2013.  L’heure est à la marinière et au made in France. Et sous l’impulsion d’Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif, les entreprises françaises parties à l’étranger étaient incitées à relocaliser leur production dans l’Hexagone via un système d’aides, de primes ou de crédit d’impôt. Les subventions pouvaient atteindre jusqu’à 200 000 euros. L’Etat français était même allé jusqu’à créer l’outil Colbert 2.0, sorte de questionnaire et de FAQ pour envisager une relocalisation qui servait également de plateforme d’intermédiation vers des spécialistes du développement économique territorial. Ces mesures ne sont cependant pas parvenues à intensifier le rapatriement d’industries malgré quelques réussites telles que Rossignol, Solex, Sphère ou encore la Brosserie Française. « On recense environ 150 relocalisations en France entre 2005 et 2013. Les mesures incitatives ont commencé en 2005 avec le “crédit d’impôt relocalisations”. Mais en France, les mœurs ne sont pas à l’évaluation des politiques publiques et nous savons que les différentes mesures d’aides publiques n’ont pas vraiment été efficaces. Davantage que des aides, il aurait pu être question d’abord d’anticiper les chocs territoriaux des délocalisations et de créer un cadre facilitant le retour en France au moins pour diminuer les risques de délocalisation », tempère l’économiste de Paris Dauphine, qui étudie la relocalisation depuis les années 80. Ainsi outre-Atlantique, Donald Trump fait-il jouer la préférence nationale en taxant sévèrement les entreprises qui délocaliseraient tout ou partie de leur production en dehors de l’espace états-unien. Un coup de tonnerre protectionniste qui a provoqué le rétropédalage de Ford l’année dernière sur ses nouveaux choix d’installation aux dépens du Mexique. En France, le sujet a également été récupéré par le Front National alors en campagne présidentielle bien que les règles européennes soient claires à ce sujet : au sein des 28 pays membres, biens marchandises et personnes circulent librement. D’où l’impossibilité de taxer les marchandises. D’autres politiques tels que Manuel Valls ont également défendu une idée de protectionnisme mais qui serait, lui, européen. Taxer pour favoriser la production nationale n’est toutefois pas un sujet tranché au sein de la communauté scientifique. Si les eurosceptiques plaident en faveur de cette mesure, d’autres économistes insistent sur les répercussions à moyen terme de la montée des prix, qui se réaliseraient au détriment d’autres secteurs.

Prise de conscience

Henri Mahé de Boislandelle, professeur des universités en sciences de gestion à l’Université de Montpellier I précise : « Les relocalisations s’opèrent beaucoup plus dans l’industrie que dans les services et inversement de nombreuses sociétés de service n’hésitent pas à se délocaliser. Il semble qu’il y ait un chassé-croisé. D’autant que la délocalisation du tertiaire a été plus tardive. En revanche les relocalisations industrielles ne sont pas négligeables ». L’économiste qui s’est surtout intéressé aux PME et PMI évoque la prise de conscience de nombreux déboires liés à la recherche du bas coût d’exploitation. « Nombreuses sont les entreprises à déchanter après un choix de délocalisation. Défaillance et imperfections sur les produits et non-respect des délais de livraison ont caractérisé ces relations commerciales. Il y a eu depuis une prise de conscience chez les chefs d’entreprise sur la fragilité de ces relations à distance. La France a perdu de son industrie au niveau mondial car nous avons eu pendant des dizaines d’années des dirigeants politiques très peu clairvoyants sur les effets de la délocalisation. On a prêché pendant des années la tertiarisation de l’économie. Et aujourd’hui on s’en mord les doigts. D’autres pays ont été plus clairvoyants. Le réveil est un peu tardif et de nombreux secteurs ont été affaiblis », continue Henri Mahé de Boisdlandelle.

Stratégie à géométrie variable

Les chiffres évoquent un bilan somme toute assez modeste. Entre 2005 et 2013, 2680 emplois ont été relocalisés vers la France alors que 17 500 emplois ont été délocalisés. Même si le nombre de relocalisations reste modeste au regard des déploiements d’entreprises à l’international – l’économiste El Mouhoub Mouhoud évoquant que pour 20 installations à l’étranger, 1 entreprise décide de relocaliser sur le territoire français –, nous ne pouvons réduire les relocalisations d’activités à un phénomène marginal ou traduisant un quelconque «repli» vis-à-vis du reste du monde. Les relocalisations correspondent à des choix stratégiques variés et complexes, touchent des entreprises de secteurs, de taille et de zones géographiques divers, et traduisent l’évolution d’avantages comparatifs permis par la mondialisation aujourd’hui rediscutés. Si peu d’entreprises ont décidé ce pari, ces dernières qui ont choisi de réindustrialiser la France le légitiment entre autres par un changement de positionnement fournisseurs. Il s’agit d’abord pour ces entreprises de mener une politique d’achats en France et en Europe, animée par la volonté de trouver des fournisseurs locaux. Les velléités de relocalisation expriment donc l’impératif économique de retrouver des fournisseurs de proximité. El Mouhoub Mouhoud précise : « sur le sujet de la relocalisation, Il faut adopter une démarche sectorielle. Chaque secteur possède ses contraintes technologiques, de produits, de compétitivité. Certains secteurs relocalisent car ils ne rencontrent pas d’obstacles à l’automatisation qui permet d’avoir un coût de production par unité produite inférieur aux coûts de production dans les unités délocalisées. Ce sont également des secteurs de biens pondéreux qui produisent d’importants volumes. La hausse des salaires en Chine, les coûts logistiques et l’automatisation des métiers sont autant d’incitations à la relocalisation. Autre cas de figure, l’habillement est toujours obligé de recourir aux mains des travailleurs car les robots ne sont pas encore capables de manier des matériaux souples. Malgré cet obstacle, il peut y avoir malgré tout rapatriement d’une partie de la production pour optimiser la chaine de valeur et stopper les imperfections du produit final. Mais cette logique de rapatriement de sous-traitance ne se réalise pas toujours en faveur du pays d’origine (relocalisation au sens large) ».

Si deux tiers de nos voitures fabriquées sous marque française le sont à l’étranger comme l’illustrent l’usine PSA en Slovaquie ou les Twingo flambant neuves sortant des rails mécaniques de leur usine slovène, nos géants de l’industrie ont récemment changé de fusil d’épaule. Ainsi la moitié des fournisseurs de PSA sont-ils basés en France et 90 % en Europe. Même phénomène observable dans l’aéronautique. Dit autrement, « la relocalisation est parfois question de reinsourcing qui autorise une montée en cadence plus rapide,», explique Michael Valentin, directeur associé d’Opéo, cabinet conseil spécialisé dans l’excellence opérationnelle.

L’intégration verticale pour les technologies de pointe ou les produits à valeur ajoutée

Dit autrement, « l’intégration verticale favorise un cadre où ingénieurs et équipes de production sont co-localisés et résolvent les problèmes beaucoup plus rapidement, avec un impact très net sur les coûts de production, les innovations sont beaucoup plus rapides. Les délais de nombreux secteurs suivent le même mouvement en France : la réintégration verticale est à la mode et mène souvent à des relocalisations. Elle permet de gagner de la réactivité, mais aussi de maîtriser les parties critiques de la chaîne de valeur, avantage important pour créer les services associés aux produits manufacturés », détaille Michael Valentin. Une relocalisation qui serait donc rendue possible grâce à l’automatisation des process et à l’hybridation des technologies numériques, de la distribution, de la fabrication et de la logistique. Vaste chantier… « La fabrication additive permet par ailleurs de réduire drastiquement le coût et la vitesse de fabrication des pièces, des outils et des prototypes dans les secteurs intenses en opérations mécaniques. Ainsi, il redevient viable de fabriquer certaines pièces en France alors qu’elles avaient été transférées dans les pays à bas coûts. Enfin, la digitalisation des différents métiers permet des gains de structure évidents, en éliminant des tâches à faible valeur ajoutée », ajoute l’expert fondateur d’Opéo.

Seulement une question de montée en gamme et de communication externe

Ne limitons cependant pas les bienfaits de la relocalisation aux seules entreprises qui conçoivent des solutions ou produits à haute valeur ajoutée nécessitant un repositionnement de la chaîne de valeur ou la sécurisation de l’écosystème créatif. Les relocalisations sont aussi question d’optimisation de site, de logique de coûts logistiques et d’aides pour s’intégrer dans le raccourcissement des cycles économiques et des horizons de décisions. Tout comme il peut être également question de communication externe. Olivier Remoissonnet, dirigeant de la Brosserie française explicite : « Notre stratégie de relocalisation ? Nous l’avons faite car nous avions une seule détermination : pouvoir prétendre à la cohérence, pour nous démarquer des multinationales sur des biens de grande consommation. Il nous fallait remettre en place une gamme de produits Bioseptyl entièrement fabriquée en France, pour mettre en avant le made in France et l’écocitoyenneté. Nous ne voulions surtout pas être exposés à des accusations de clients nous reprochant de faire fabriquer une petite partie en Chine, comme certains de nos gros concurrents l’ont vécu. Depuis le début nous suivons la stratégie du contre-pied, sinon nous n’avons aucune chance face aux géants. Le savoir-faire était resté sur le site de fabrication à Beauvais. Nous n’avons pas redécouvert le métier en relocalisant. » Cela dit, relocaliser et jouer la carte du made in France constitue également un vecteur puissant, notamment au niveau de l’image de marque. Tel fut le parti pris par la société Kiplay qui consécutivement à des difficultés financières choisit de délocaliser sa production en Tunisie dans les années 90. En 2014, le dirigeant de cette entreprise de 48 salariés choisit de faire revenir la production dans l’Orne. Il justifie son choix par une forte attente du client. Michael Valentin d’Opéo renchérit : « Nous accompagnons certains acteurs majeurs du luxe. Et certains d’entre eux font un choix contre-intuitif au niveau business en relocalisant en France pour conserver une image de marque et ne pas décevoir leurs clients. » Pour le professeur El Mouhoub Mouhoud, il est possible que le secteur industriel revienne demain : « C’est une hypothèse que j’ai formulée dans les années 80’. Mais à l’avenir, il y se peut que la tendance soit à la relocalisation de l’industrie lourde, car elle ne rencontre pas d’obstacle technique à l’automatisation et à la robotisation des chaînes d’assemblage. Cela dit, rappelons qu’elle ne se fera pas toujours dans le pays d’origine. Cette relocalisation signifierait la création d’un nouvel hinterland économique. Le vrai problème, ce n’est pas vraiment la délocalisation qui représente moins de 5% de la destruction d’emplois en France, ce sont plutôt les effets néfastes sur les zones très vulnérables et  touchées qui ne se relèvent pas du départ des usines. La première source de déstruction d’emploi en France, ce sont les gains de productivité et non les délocalisations ». L’universitaire table, en revanche, sur une vague de délocalisations dans le secteur des services à haute valeur ajoutée. En tout état de cause, la relocalisation en France est, pour l’heure, loin d’être un phénomène généralisé.

Geoffroy Framery

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