J – 4 mois pour le prélèvement de l’impôt à la source

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Coût : 1,2 milliard en année 1 pour les entreprises !

1er janvier 2019. Le « net » des salariés est amputé du prélèvement mensuel de leur impôt sur le revenu, en fonction d’un taux calculé par l’Administration fiscale à partir de la déclaration du contribuable. Dans l’affaire, l’entreprise défalque et reverse. Simple ? Apparemment, oui. À condition qu’il soit jugé « normal » que les frais de mise à jour des logiciels comptables restent à la charge de l’entreprise perceptrice. Et que l’éventuelle grogne sociale ne retombe sur son département RH.

À quatre mois du « basculement », plus personne ou presque ne bronche. Depuis que les modalités du calcul ont été enfin fixées, les éditeurs de logiciels comptables ont mobilisé leurs développeurs pour assurer les mises à jour et l’affaire est sur les rails. Les gestionnaires de paie au sein des PME devront se former aux quelques processus nouveaux, rien de très compliqué. David Kersalé, rédacteur expert aux éditions Francis Lefebvre, nous l’explique en quelques mots : « L’entreprise adresse la liste des salariés à l’Administration fiscale tous les mois – ce qu’elle faisait une fois par an. En retour, ladite Administration renvoie cette liste enrichie des taux d’imposition en regard de chaque nom. La Direction générale des Finances publiques prélève la totalité des sommes puis affecte à chaque contribuable son prélèvement. »

C’est encore plus simple pour les quelque 3 millions de TPE/PME dont l’immense majorité délèguent la gestion de leurs bulletins de salaire à des cabinets comptables, grands gagnants dans l’affaire. Tous sont en train de travailler avec leurs prestataires informatiques pour adapter les lignes de code voulues… Un surcoût que l’entreprise cliente paiera, d’une manière ou d’une autre. Une TPE qui se voit déjà facturer quelque 20 euros l’émission d’un bulletin de salaire par son cabinet comptable extérieur, qui assume couramment 80 euros de prestation de la part dudit cabinet dès qu’un salarié de plus est recruté, sait très bien qu’elle fera au final les frais du prélèvement à la source : « 50 % du coût de la mesure correspondent à des revenus supplémentaires pour des prestataires de services spécialisés (experts comptables, éditeurs de logiciel) », estime un rapport du Sénat de juin 2017 sous forme d’étude d’impact.

Avec toutes les précautions et mises en garde voulues en raison du manque de repères et de recul, l’étude sénatoriale estime que l’opération prélèvement représentera pour les entreprises un coût initial de 1,2 milliard d’euros la première année, puis « un coût récurrent de l’ordre de 100 millions d’euros ». « En amortissant l’investissement initial sur 10 ans, chiffrent les auteurs de l’étude, on aboutit donc à un coût annuel de l’ordre de 220 millions d’euros, soit environ 0,3 % de l’impôt sur le revenu collecté. » C’est en soi énorme.

Medef : mauvaise mesure

Le même rapport avait calculé en 2017 qu’environ 75 % du coût total de la mesure sera porté par les TPE de moins de dix salariés (effet trompe l’œil de « multiplication d’un coût fixe faible par un très grand nombre d’entreprises »). Un chiffre que démentira peut-être la décision du ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, annoncée en août : « Les entreprises de moins de 20 salariés pourraient déléguer à l’Urssaf la collecte et le reversement à l’État de l’impôt sur le revenu retenu à la source » (soit environ 1 million de TPE). Mais il faudra bien que le bulletin de salaire, lui, laisse apparaître le « net net » du salarié et que ce coût soit assuré par la TPE… Que couvrirait à peine le « gain financier » théorique dégagé par la collecte que les TPE pourraient ne reverser que tous les trois mois.

Pour les grandes entreprises, nul doute que cette « conduite du changement » coûtera cher. Véronique Montamat, directrice marketing et communication de Sopra HR Software, un acteur majeur de l’informatique RH, est aux premières loges pour mesurer l’impact social très important de la réforme sur les services gestionnaires et experts de la paie des grands groupes. « Sur le plan purement informatique, le calcul est simple, mais la multiplication des cas particuliers conduit à une complexité qui fait du prélèvement à la source pour les entreprises de plusieurs milliers et dizaines de milliers de salariés ou plus un chantier sensible. Les gestionnaires et experts de la paie doivent apprendre un nouveau mode d’emploi de la fiscalité. »

Interrogé par Le Point en mai, un chef d’entreprise corse n’avait pas hésité à dégonfler la grogne : « Il s’agira de renseigner une case supplémentaire sur la fiche de paie et le virement se fera en direct par télétransmission à chaque fin de mois. Ce n’est pas cela qui va bouleverser la gestion de nos ressources humaines. » Il n’empêche que l’ensemble du patronat s’attend, quelque peu résigné, à devoir subir ce qui paraît « une très mauvaise idée », comme le pensait l’ex-président du Medef, Pierre Gattaz et « une mauvaise mesure » selon son successeur, Geoffroy Roux de Bézieux… Pour une fois d’accord.

Laissez parler le chatbot

C’est ce qui se nomme surfer sur la vague. La filiale du spécialiste français de la transformation numérique Sopra Steria, Sopra HR Software, s’est attelée dès l’officialisation du prélèvement fiscal sur le bulletin de salaire à la création d’un « agent conversationnel », banque de données de connaissances capable de répondre en langage naturel à n’importe quelle question, en parfait expert du domaine. « À l’origine, explique Véronique Montamat, directrice marketing et communication de Sopra HR Software, il s’agissait d’un wiki pour nos collaborateurs en interne, 1 500 consultants. Puis nous l’avons ouvert et le proposons à nos clients grands comptes d’abord, mais finalement à toute entreprise, grande ou petite, qui souhaite trouver le moyen de désengorger son département RH à partir de janvier 2019. »

Dopé à l’IA, le chatbot en mode expert de niveau 2 constituera un gain de temps certain pour le/la gestionnaire RH en quête de réponses pointues. Mais en niveau 1, tout salarié de l’entreprise ainsi équipée, à commencer par le dirigeant, trouvera directement réponse à ses questions. Attention, pendant 9 mois seulement ! Au terme de cette période que Sopra HR Software prévoit difficile, le prélèvement à la source sera sans doute entré dans les mœurs fiscales françaises et le robot savant n’aura plus guère d’utilité. Impossible de connaître le prix de l’agent qui s’autodétruit sans passer par prelevementalasource@soprahr.com.

 À lire
Le Guide du prélèvement à la source, éditions Francis Lefebvre, 2018

Olivier Magnan

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