Elon Musk
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Temps de lecture estimé : 5 minutes

Par Lucie Gabriel, docteure en sciences de gestion, spécialisée en management et leadership (Inseec Grande École). Et publiée par The Conversation.

De quoi Elon Musk est-il le nom ? Avant de devenir le héraut de la campagne de Donald Trump, le chef d’entreprise a incarné la tech, y compris dans tous ses excès. Jusqu’où un dirigeant peut-il être charismatique ?

« Il semble que nous allons au-delà des leaders qui ne font que diriger ; aujourd’hui les héros sauvent » écrivait le chercheur canadien Henry Mintzberg en 2008. Il dénonçait alors la tendance à mythifier les leaders charismatiques, étant considérés comme des sortes de héros culturels dans les cas les plus extrêmes.

Après près de deux décennies de désuétude, il semble que les leaders – héros reviennent sur le devant de la scène comme en témoigne notamment la montée en puissance de l’entrepreneur milliardaire Elon Musk. Personnage fantasque et charismatique, il fait revivre le mythe du leader capable par sa seule influence de révolutionner le marché, l’entreprise, la société, voire le monde… dans ses rêves les plus fous.

Or, le retour du mythe charismatique n’est pas sans risque. S’il interroge notre besoin de héros, particulièrement en temps de crise, il comporte aussi des risques, lorsque le charisme sert à justifier la concentration de l’influence entre les mains d’un seul individu.

La construction du mythe charismatique

L’influence charismatique a toujours été associée à une forme de démesure. Khárisma est littéralement traduit du grec antique comme un « don des Dieux ». Il désigne d’abord l’aura mystique et l’influence extraordinaire dont jouit un individu touché par la grâce divine. Au dix-neuvième siècle, le sociologue Max Weber le décrit comme « la qualité extraordinaire […] d’un personnage […] doué de forces ou de caractères surnaturels ou surhumains ».

Cette aura mystique perdure dans le monde moderne des entreprises et des organisations. En management, le charisme est redécouvert notamment par le chercheur Robert House en 1977 pour « l’effet profond et extraordinaire qu’il produit sur les suiveurs » et la capacité à provoquer « confiance aveugle, loyauté, engagement et dévouement au leader et à la cause qu’il représente ».

Elon Musk, avec son image de milliardaire génial, est l’illustration de cet individu considéré comme « doué de forces ou de caractères surnaturels ou surhumains ». Il a été régulièrement comparé à Tony Stark, le personnage et l’inventeur de Iron Man, et joue avec cette image de superhéros au point d’apparaître également dans le deuxième opus de la série en 2008.

Dans son livre-enquête, « Elon Musk, le bonimenteur », le journaliste Boris Manenti a montré comment Elon Musk a réécrit son histoire pour coller au mythe moderne du génie incompris, capable par sa seule volonté de renverser le cours de son histoire.

BFM Business.

L’entrepreneur base en effet toute la communication et le marketing de ses entreprises autour de sa personne. Par exemple, Tesla – l’une de ses entreprises emblématiques – est connue pour sa politique « zéro dollar marketing ». C’est-à-dire que la politique marketing est assurée par l’image de son fondateur, extrêmement prolifique et influent sur les technologies de l’information.

Elon Musk : mieux qu’un entrepreneur, un sauveur de l’humanité

Le mythe charismatique s’appuie sur la foi rédemptrice d’une figure d’autorité. Deux chercheurs de l’Université de Haïfa, Micha Popper et Omri Castelnovo ont expliqué que cette foi est le fruit d’un mécanisme ancré dès l’enfance, qui s’appuie sur la confiance « épistémique » qu’un individu « apprenant » accorde à une figure d’autorité. C’est le code inné du charisme, qui se poursuit plus tard dans la vie. Notre socialisation est empreinte de grandes figures et de héros que nous rencontrons dans les livres, dans les films, dans les mythes et légendes historiques. Pour Richard Allison et George Goethals, professeurs de l’Université de Richemond, les histoires de héros répondent à des besoins de grandeur, d’espoir, d’inspiration et de croissance, et font partie de l’apprentissage à la vie en société dès que l’enfant acquiert le langage.

Or, cette foi est encore plus puissante en période de crise, puisque la perception du danger accentue encore le besoin de héros. À l’heure où l’humanité est de plus en plus menacée par les conséquences du changement climatique, Elon Musk, avec sa démesure et sa vision futuriste et « technosolutionniste », répondrait à ce besoin d’espoir et de perspectives.

De la même manière que dans la mythologie grecque le titan Prométhée vole le feu aux dieux de l’Olympe pour l’offrir aux hommes, Elon Musk offrirait à l’humanité de sortir de sa petitesse pour s’étendre et se développer. Sa vision transhumaniste et interplanétaire est portée par chacune des entreprises qu’il a fondée ou cofondée pour cet objectif démesuré. Avec Neuralink, il délivre l’humanité de ses faiblesses ontologiques. Tesla devrait l’affranchir de sa dépendance énergétique aux hydrocarbures, quand SpaceX lui ouvre la conquête de l’espace et Starlink offre une connectivité mondiale.

Stephane Colbert interview Elon Musk, 10 septembre 2015.

Les dérives du mythe

On oublie pourtant que pour avoir volé les dieux, Prométhée a été condamné pour l’éternité. Le mythe du leader-héros n’est pas sans danger pour les organisations et leurs membres : l’influence charismatique, motivée par des objectifs non moraux, peut entraîner des conséquences très négatives sur les individus et l’organisation. Les chercheurs américains Craig Pearce, Charles Manz et Henry Sims écrivaient en 2008 que « l’histoire montre que le pouvoir peut corrompre et que le pouvoir absolu peut être une influence particulièrement toxique. » L’histoire des organisations est en effet parsemée de leaders charismatiques dont l’ascension est aussi vertigineuse que la chute. Que ce soit Elisabeth Holmes et le scandale de son entreprise Theranos révélé en 2015, ou bien l’échec retentissant du Fyre Festival imaginé par l’entrepreneur Billy McFarland en 2017.

À partir de 2022, le fait que Elon Musk détienne les principales ressources du vingt-et-unième siècle commence à inquiéter. En novembre, la Harvard Business Review dénonçait le « mythe du Brillant et Charismatique Leader » en parlant d’Elon Musk et de sa prise de contrôle du réseau social X (anciennement Twitter). En évoquant les dégâts que cela avait causés pour l’organisation et ses membres, la revue fustigeait « la foi quasi illimitée de Elon Musk dans les effets magiques de son leadership et de son intellect » au détriment des principes de base du management et des ressources humaines.

Un management remis en cause

Depuis qu’il s’inscrit comme un acteur majeur en politique également, le pouvoir d’Elon Musk parait quasiment illimité. Ses méthodes managériales brutales sont symboliques de ce que le professeur Jay Conger avait appelé « une victoire à la Pyrrhus » en référence au roi antique Pyrrhus, qui malgré ses victoires sur le champ de bataille mena son royaume à la faillite. Appliquée au contexte organisationnel, cette expression décrit un dirigeant tellement impliqué dans l’accomplissement de sa vision qu’il méconnaît les conséquences désastreuses de cette victoire. Les méthodes de Musk sont en effet de plus en plus critiquées : « Il adhère à un style de gestion mécaniste qui traite les employés comme des rouages d’une machine, plutôt que comme des êtres humains. », critique le professeur Eli Sopow en 2022. Deux ans plus tard, le patron du réseau X se félicitait en effet d’avoir licencié 80 % des effectifs.

Si le nouveau responsable de « l’efficacité gouvernementale » des États-Unis semble non arrêtable, il faut aussi rappeler que le pouvoir des leaders charismatiques n’est pourtant pas illimité. Appuyés par la foi en leurs capacités extraordinaires, les héros tirent leur pouvoir d’influence de leur impression d’infaillibilité, l’échec leur est étranger. Mais dans le cas où la vision ne se confirme pas par des actes ou si le leader subit des échecs répétés, alors la grâce lui est retirée. En s’inscrivant dans le champ politique, plus versatile que celui des entreprises, Elon Musk se livre un peu plus au regard public et aux attentes élevées des électeurs. C’est un pari risqué.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence creative commons. Lire l’article original.

Rédacteur en chef. Formé en Sorbonne – soit la preuve vivante qu'il ne faut pas « nécessairement » passer par une école de journalisme pour exercer le métier ! Journaliste économique (entreprises, macroéconomie, management, franchise, etc.). Friand de football et politiquement égaré.

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