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Et si le green business devenait une réalité de tous les jours, un modèle intégré, la façon « normale » pour les industriels et les populations de vivre sur une planète protégée ? Une fiction pas si fictionnelle…
J’ai vu dans ma jeunesse un très vieux film – déjà à l’époque – de science-fiction, Le jour où la Terre s’arrêta où un extraterrestre venu mettre les Humains en garde « arrête » tout ce qui fonctionne à l’électricité sur terre. J’ai eu envie, dès lors, que ma planète ne s’arrête jamais. À chaque fois que je passe devant le micro-complexe industriel de ma ville, entouré de verdure, alimenté par un mélange d’énergie solaire, éolienne et géothermale d’où source une rivière aussi pure qu’un torrent de montagne, je ne peux retenir un frisson et un soupir de soulagement. Il faut dire que je fais partie des Anciens, de ceux qui ont vécu et bâti la grande transformation – et y avoir participé n’est pas une petite fierté pour moi et mes congénères : toutes les générations ne peuvent pas se targuer d’avoir sauvé le monde. Nous, si.
À l’approche de 2020, la situation semblait pourtant irrévocablement perdue. Du moins, c’est ce que tout le monde pensait. Malgré des accords prometteurs conclus à Paris, des rapports de plus en plus alarmants, le désengagement politique de certains pays parmi les plus grands pollueurs au monde et le cynisme affiché par d’autres ne laissaient que peu d’espoir. C’est pourtant durant ces années précisément que le basculement s’est amorcé, fruit de la conjonction du progrès technologique certes, mais aussi d’un certain changement des mentalités. Et L’impulsion décisive n’est pas venue des politiques ni de la société civile (dont le rôle n’est pas à minimiser), mais du secteur privé. Pour une raison, somme toute, simple : « Le green business est du bon business », résumait en une formule lapidaire António Guterres, alors secrétaire général des Nations Unies, à Paris en décembre 2017. Et la volonté entrepreneuriale, en pesant d’un poids que les associations écolos de l’époque ne pouvaient pas égaler, a pris le relais de la politique. Au point que ce sont les politiques qui en vinrent à adopter les mesures et les normes nécessaires à l’établissement de bonnes pratiques indispensables pour enclencher un cercle vertueux. « Nous devons bâtir la confiance et réduire le risque, utiliser au mieux les ressources disponibles et trouver des nouveaux modes de financement innovants, tels que les green bonds ® dont la viabilité et le succès sont déjà des réalités », décrivait António Guterres. Un ordre de marche qui, s’il n’a pas été suivi à la lettre, décrit assez exactement ce qui s’est passé.
La montée irrésistible des énergies renouvelables
Aujourd’hui, les énergies fossiles ne sont plus qu’un mauvais souvenir – ou une préoccupation de collectionneurs de véhicule archaïques. « Les énergies renouvelables sont maintenant moins chères que les énergies à base de charbon dans des douzaines de pays développés et en voie de développement, soulignait António Guterres en 2017. Nous devons investir dans le futur, et non dans le passé. » L’étude de septembre 2017 de l’Université de Stanford, qui détaillait les roadmaps grâce auxquelles 139 pays seraient en meure, en 2050, d’utiliser exclusivement des énergies renouvelables – solaire, éolien (offshore et terrestre), hydroélectricité, énergies de la mer, géothermie – s’est avéré prophétique, même si elle n’a pas été suivie à la lettre. L’électrification de toutes les industries, qui avait déjà bien commencé lors des premières années du siècle, et la croissance exponentielle du solaire – une fois qu’un coût de production suffisamment bas ait été atteint – ont été les éléments déclencheurs. Si tous les pays du monde n’ont pas encore atteint le 100 % d’énergies propres et renouvelables, chacun a pu trouver localement son équilibre – le mix entre chaque source dépend des ressources locales. Mieux encore, les performances atteintes ont permis de démanteler les centrales nucléaires, dont le coût écologique était trop élevé. La transition n’en fut pour autant pas des plus calmes…
Mark Jacobson, principal auteur de l’étude de Stanford, avait noté à l’époque : « Le plus bel aspect est qu’une telle transition créera également plus de 20 millions d’emplois permanents à temps plein dans le monde en bilan net, économisera l’argent des consommateurs et évitera que plus de 3 % du PIB de chaque pays disparaisse dans les coûts dus à la pollution de l’air. » La transition à ces nouvelles énergies a effectivement allégé la note écologique sur plusieurs plans : élimination de l’utilisation du pétrole, du gaz, de l’uranium, les dépenses énergétiques associées aux mines, au transport et au raffinage des carburants ont été supprimées, la demande globale en énergie a chuté de 13 %. Mais surtout, le passage aux énergies renouvelables, et surtout locales, a induit des conséquences drastiques sur le climat géopolitique global : la dépendance aux énergies fossiles et à leurs producteurs appartenait au passé, les conflits internationaux ont globalement diminué.
Moins de déchets, tous traités
Bien sûr, le recours quasi exclusif à des énergies renouvelables n’est qu’une des pièces du puzzle qui composent le green business d’aujourd’hui. Il faut y associer le traitement des déchets qui s’accompagne en parallèle du recours quasi exclusif à des matériaux écocompatibles, et surtout la mise en place organique d’une vraie économie circulaire. « Bien gérer les déchets est une évidence économique, expliquait Silpa Kaza, une spécialiste du développement urbain à la Banque mondiale et auteure principale du rapport What a Waste 2.0, paru en 2018. Car des déchets non collectés et mal traités impliquent des conséquences graves sur la santé et l’environnement. Et ces effets affichent un coût plus élevé que celui associé à la mise en place et à l’exploitation de systèmes de collecte et de traitement simples et adaptés. » L’absurdité des déchets était particulièrement critique en ce qui concerne le plastique. En 2018, selon le rapport What a Waste 2.0, le monde avait produit 242 millions de tonnes de déchets plastiques en 2016 (12 % de la production totale de déchets ménagers). La contamination et la dégradation des cours d’eau et des écosystèmes était estimée à plusieurs centaines – voire milliers – d’années. Et les continents de plastique des océans Pacifique et Atlantique – les great garbage patches – ne montraient aucun signe de récession, loin de là. Heureusement, grâce à la multiplication d’initiatives comme les bateaux Plastic Odissey – propulsés par du plastique océanique recyclé –, le recyclage du plastique est entré complètement dans les mœurs. Les continents artificiels sont maintenant réduits à quelques îles éparses. Grâce à une action triple – apports de financement, éducation du public et mise en place de programmes complets de récolte et recyclage –, il en est aujourd’hui de même du traitement des déchets. Il faut dire que la production mondiale a nettement diminué, notamment grâce aux matériaux éco-compatibles. Plus de plastique aujourd’hui, mais des polymères à base de végétaux, d’algues et de champignons. Les métaux rares sont systématiquement réutilisés… La facture écologique à l’entrée des usines est devenue négligeable.
Économie circulaire, ultra-locale et ultra-globale
Et elle l’est aussi devenue à la sortie. « Il est possible de faire autrement, soulignait en 2018 Laura Tuck, vice-présidente de la Banque mondiale pour le Développement durable. Nous devons utiliser et réutiliser nos ressources en permanence pour éviter qu’elles ne finissent à la décharge. » L’économie circulaire – que les « déchets » de l’un soient la matière première de l’autre – ne s’est pas mise en place en un jour. « Il faut mettre en place les bonnes structures et la bonne organisation pour que tout se synchronise et que l’on prenne les bonnes habitudes », expliquait en 2018 Eliot Whittington, Policy Director à l’Institute for Sustainability Leadership de l’université de Cambridge. Les contraintes ne sont pas du tout les mêmes comparées à une économie linéaire où l’objectif est principalement de maximiser la quantité de produit. D’où les trois règles fondamentales, « réduire, réutiliser et recycler », ce qui implique, par exemple, d’optimiser la rétention de valeur des matériaux utilisés lors du processus de production… Parmi les éléments qui ont préparé l’arrivée d’une vraie économie circulaire, deux notamment méritent d’être mis en avant, car symptomatiques des révolutions qui se sont opérées. Le premier fut la montée en puissance de l’économie du partage, qui a impacté aussi bien les habitudes des consommateurs que celles des industriels et remis en avant la longévité et la durabilité comme valeurs essentielles. Le deuxième est l’ultralocalisation des moyens de productions, que l’on commençait à toucher du doigt dans les années 2010, aujourd’hui réalité : imprimantes 3D, usines robotisées agiles mutualisées… La moyenne série, fantasme longtemps inaccessible, est aujourd’hui la norme. Avec pour double effet bénéfique de réduire les déchets – n’est produit que ce qui est utile – et d’éliminer presque complètement l’impact des acheminements : la production intervient dans le dernier kilomètre, assuré par des flottes de véhicules et drones électriques.
Ces réappropriation et revitalisation du local – voire de l’ultralocal –, associée à l’amplitude ultra-globale des idées, auront été la vraie clé du succès. Le green business s’inscrit, par définition, dans son environnement naturel comme humain. Il n’aurait pas réussi à s’imposer si, dans le même temps, des réflexions similaires n’avaient pas été menées à propos des espaces – agraire, urbain, collectif, individuel… « Un des grands axes de transformation, que l’on ignore souvent, est le renouvellement de l’agriculture : comment utiliser la terre pour y faire pousser quoi, de façon optimale », expliquait Eliot Whiltington. Un tel avenir était difficile à prévoir à l’époque. Coordonner les actions nécessaires, savoir lesquelles étaient les bonnes, comment motiver les changements de mentalité à tous les stades… L’erreur commise alors était de savoir s’il fallait commencer par l’œuf ou la poule, alors que nous savons maintenant, grâce aux progrès de la théorie du jeu et du chaos, qu’il s’agissait d’une coévolution. Mais heureusement, les forces de progrès ont agi. .
Obligations vertes ou obligations environnementales. Emprunt obligataire (non bancaire) émis sur les marchés financiers, par une entreprise ou une entité publique (collectivité, agence internationale, etc.) pour financer des projets inscrits dans la transition écologique.
Jean-Marie Benoist