World Tricot Compagnie : d’un appart’ à Lure aux podiums de Paris

Temps de lecture estimé : 3 minutes

World Tricot Compagnie : la haute couture à tout prix

Une maille à l’endroit, une autre à l’envers… Malgré une croissance en dents de scie, le fil d’Ariane n’a pas encore été coupé, ni World Tricot raccroché sa dernière aiguille.

« Petites mains », « midinettes » ou encore brodeuses-perleuses… Tombés en désuétude, ces métiers ont presque disparu de nos paysages au gré des délocalisations. Pourtant, à la façon de l’alchimiste qui transformerait le plomb en or, les ouvrières de World Tricot Compagnie métamorphosent de vulgaires câbles électriques en une collection pour Christian Lacroix. Ces mêmes petites mains ennoblissent la maille de gants de boucherie ou de gilets pare-balles pour créer des robes griffées Dior, Givenchy, Gucci, Balenciaga et bien d’autres encore… Autant de noms prestigieux qui ont eu recours aux crocheteuses de Lure, ville modeste de 9000 habitants, voisine de Belfort.

Du F5 de Lure aux podiums de Paris

Au départ, World tricot Compagnie, ce fut d’abord une manière de tisser des liens entre des femmes souvent précaires. La plupart sans emploi et ne parlant pas français. World Tricot, c’était aussi un pied de nez à la conjoncture : relancer l’activité par le textile dans un bassin d’emploi encore traumatisé par la désindustrialisation, tourné depuis des décennies vers le tissage, la passementerie ou la broderie. World Tricot Compagnie, c’était enfin des femmes, certes dotées d’une énergie et d’une foi inébranlable en leur projet, mais inexpérimentées dans le domaine de la haute couture. «Je n’appartenais pas au monde de la mode, du prêt-à-porter et encore moins à celui de la maille. Avant la création de la société, je n’avais réalisé que la layette de mes enfants », témoigne avec malice Carmen Colle, gérante de la société et ancienne ouvrière dans la métallurgie. Le pari était donc osé. Le conte de fées, improbable. A l’origine de cette société, une association créée en 1987. Son but à l’époque : réaliser de la maille de haute qualité, échantillonner et confectionner pour les créateurs, vendre aux grandes griffes des modèles uniques.

Dès lors, comment procéder sans local, ni matériel, ni savoir-faire ? A la main d’abord, puis avec une première machine – achetée grâce au secours catholique ! – installées dans un F5 dans la petite ville de Lure. Très vite, l’engouement se fait sentir. Les stylistes se déplacent. Paris fait escale en province. World Tricot s’industrialise et déménage en usine, un peu plus au sud, aux confins de la bourgade. Le carnet de commandes se remplit. Et l’association décide alors de devenir une SARL. Au tournant du siècle, World Tricot Compagnie emploie une centaine de personnes de quatorze nationalités différentes pour un CA de 2 millions d’euros. « Le fil rouge entre toutes ces femmes aux héritages sociaux et culturels divers, c’est l’exigence de devenir les meilleures dans le milieu de la maille et faire de la reconnaissance par le travail le moteur de leur réalisation personnelle, narre Carmen Colle. Ces différentes cultures ont été une base solide pour approcher tous les métiers de mains et nous ouvrir à d’autres horizons, sans pour autant nous fixer de véritables limites dans la création ; choses non négligeables dans le monde de la mode. » Très vite, d’entreprise ubuesque, raillée par les banques, la compagnie devient une référence en matière de prêt-à-porter et de haute couture.

Quand la robe griffée rencontre celle de l’avocat

Mais la mode n’évolue pas qu’en fonction des saisons. Et le business model des grandes maisons dépend aussi d’autres mécaniques, plus complexes qu’un métier à tisser. Première sonnette d’alarme tirée en 1994. L’entreprise connaît alors un redressement judiciaire pour défaut de paiement. La cause ? Une évolution des rapports entre les sous-traitants et les créateurs de moins en moins accessibles. Mise en concordat pour onze ans, World Tricot effacera son ardoise six ans plus tard.

Le début des années 2000 ne sera pas non plus une sinécure. Et, entre la délocalisation des fabrications, la fermeture de la maison de couture Yves Saint-Laurent, principal commanditaire du sous-traitant de Lure, l’entreprise connaîtra alors de nouveaux accrocs. Les effectifs fondent de moitié. L’activité périclite. Mais la gérante ne s’avoue pas pour autant vaincue : « Nous avons décidé de moins subir les effets de saison. D’autant qu’il n’était pas rare qu’une partie de notre expertise ne soit pas intégrée aux collections. » En 2003 naît Angèle Batist et sa boutique, toutes deux dévolues à la maille, pour maintenir l’activité et le savoir-faire en dépit des effets de mode.

Nouveau coup de massue hélas pour les tricoteuses de Carmen Colle en 2004, lorsque la gérante reconnaît l’une de ses créations… lors d’un défilé Chanel. Chanel qui représente alors les deux tiers de l’activité de World Tricot Compagnie. S’ensuivent quatre années de procédure judiciaire. Les enjeux du procès sont de taille : reconnaitre pour la première fois des droits d’auteur à un fabricant créateur non façonnier et assainir les relations entre sous-traitants et grandes maisons de couture. Si l’issue du feuilleton judiciaire se révèle favorable aux crocheteuses de Bure, et met désormais en exergue l’impossibilité pour les grandes maisons de se passer brutalement des services d’un fournisseur, les couturiers font bloc. « Toutes les marques » se détournent de World Tricot, observe l’AFP. Les commandes s’arrêtent du jour au lendemain. La liquidation judiciaire est alors prononcée en 2010.

L’espoir dans le luxe

Toutefois, Carmen Colle n’oublie pas les premières années passées au sein de son association en tant que bénévole œuvrant pour l’insertion socio-professionnelle des plus démunis et les moments passés à apprendre à de parfaites débutantes les exigences de la haute couture. Un nouvel épisode débute en 2012. Des cendres de World Tricot Compagnie émerge World Tricot Créations, incluant un pôle formation. La nouvelle SAS démarre ainsi sur de nouvelles bases, dotée d’un capital social de 50000 euros et employant une dizaine de personnes. Nouveau tournant également pour la société qui décide d’élargir sa gamme vers la confection de produits pour l’hôtellerie de luxe. « Malgré nos problèmes actuels de trésorerie, nous sommes plus sereins et voyons l’avenir avec plus d’optimisme grâce à la prise de nouvelles parts de marchés et à notre nouveau positionnement. L’activité redémarre et nous sommes de nouveau dans les cycles de confection », conclut Carmen Colle qui prévoit désormais d’embaucher de nouvelles petites mains.

Geoffroy Framery

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