Timothée Boitouzet : Woodoo Child

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Et si le bois bionique transparent révolutionnait la construction, le design et le luxe ? Itinéraire d’un entrepreneur visionnaire.

Woodoo est devenu en quelques mois le champion des cleantechs, l’égérie des start-up made in France. Entre autres récompenses obtenues sur ce seul mois de novembre : une médaille de bronze au « Climate Kic », concours européen des cleantechs et réseau mondial de référence en la matière, une médaille d’or au concours national de la création d’entreprise innovante et le grand prix de l’innovation de la Mairie de Paris… Une pluie de titres en somme, alors que la toute jeune pousse n’a pas encore donné ses premiers fruits. Mais l’idée et son application tiennent de l’impensable : doper les essences d’arbres peu résistantes, une des ressources naturelles les plus présentes sur notre territoire, en matériau bionique, peu consommateur d’énergie, robuste et multi-usages. Une start-up pleine de promesses. Récit.

Fertilisation croisée entre chimie et architecture

« J’ai toujours eu cette fibre entrepreneuriale. J’ai étudié aux Etats-Unis, un système scolaire où l’on nous pousse à emprunter des chemins hors des sentiers battus, à prendre des risques, à accoucher de projets créatifs à la croisée des disciplines. De cet état d’esprit, j’ai gardé la volonté de croiser les idées car l’innovation vient de cette confrontation des disciplines. Pour moi ce fut l’architecture et la biologie malgré les conservatismes rencontrés qui me disaient parfois de partir juste en biologie », se souvient Timothée Boitouzet, fondateur de la start-up Woodoo et dirigeant d’un cabinet d’architecture au Maroc, récemment honoré par le MIT dans le palmarès des innovateurs de moins de 35 ans qui vont changer la face du monde…

« Notre génération est en quête de sens. Nous voulons tous apporter notre pierre à l’édifice pour que les générations futures vivent mieux. Les entrepreneurs que je côtoie sont empreints de la même philosophie, relate le fondateur de Woodoo qui a écrémé des agences prestigieuses d’architecture au Japon, au Danemark, en France et aux Etats-Unis. J’ai bossé pour de grands noms qui ont obtenu le Pritzker (équivalent du prix Nobel d’architecture), mais aucune d’entre elles ne m’a un jour proposé de développer mon projet en interne. Ces agences sont centrées sur leurs œuvres mais ne profitent pas totalement de leurs talents. »

Aujourd’hui, Woodoo a la fraîcheur d’un nouveau-né : à peine quelques mois d’existence légale pour un projet qui a nécessité plus de cinq ans de maturation, ayant vu le jour en 2011 sur les bancs de Harvard. Le projet sociétal de Woodoo est ambitieux : celui d’avoir sur le long terme un impact durable sur le bâti du futur. « C’est aussi celle de participer à la ville bas carbone de demain et de promouvoir le bois en tant que matériau ancestral de la construction, qui pourrait détrôner nos matériaux actuels », relate l’intéressé. Et le jeune startupper de préciser sous forme d’aphorisme : « Si le XIXème fut l’âge du fer, le XXème, celui du béton, le XXIème sera celui du bois ».

Le point faible du bois transparent : dépenser beaucoup, pour finalement obtenir des rideaux opaques…
Le point faible du bois transparent : dépenser beaucoup, pour finalement obtenir des rideaux opaques…

Le bois, ce mal aimé ?

Coté pratiques, l’utilisation du bois en tant que matériau est entrée dans les mœurs au Japon, en Suède ou en Norvège. En France, la culture et l’amour pour la pierre restent tenaces. Le recours au bois est passé de 2% en 2000 à 12% aujourd’hui – principalement dans le grand Ouest – pour les résidences individuelles. Le chiffre a également doublé pour les constructions tertiaires selon France Bois Industries et entreprises, fédération interprofessionnelle. Comme aurait pu le chanter Brassens, au pays sans prétention, le bois a donc plutôt mauvaise réputation. Les mentalités évoluent doucement. Comme l’atteste le concours pour réinventer la ville de Paris qui a récemment mis en exergue le bois en tant que matériau d’avenir. « Le bois est un matériau qui pousse tout seul et qui capte du CO2 au lieu d’en consommer. Mais il se caractérise par quatre limites : il est plus inflammable que les autres matériaux de construction moderne, il pourrit, il est onéreux et l’on ne peut pas construire aussi haut avec le bois qu’avec les autres matériaux actuels », définit Timothée Boitouzet.

Or la France, selon les chiffres de l’Office national des forêts (ONF) est la deuxième puissance européenne, derrière l’Allemagne, en matière de volume de production de bois sur pied avec 2,37 milliards de m3. Annuellement, ce volume s’accroît de 87 millions de m3. Pourtant, chaque année, la France ne prélève que 53 millions de m3 de bois, la récolte est donc largement inférieure à la production biologique de la forêt (au plus 60 %). « Il n’y a jamais eu autant de bois depuis 800 ans. Nous parlons bien de ressources inexploitées et non de déforestation », ajoute le startupper. Des données marché encourageantes pour la jeune pousse qui profite également d’un procédé de synthèse du matériau qui utilise les bois de faible constitution, rarement exploités.

Quand la chimie révolutionne le bâti

Pour convaincre M. Tout-le-monde et les professionnels, Woodoo a trouvé la solution : dépasser les contraintes du matériau citées plus haut pour le rendre imputrescible – qui ne pourrit pas, plus résistant au feu, plus étanche et plus robuste tout en le rendant, selon les essences utilisées, translucide ou transparent ce qui lui confère un côté esthétique indéniable. Sur l’étape une, tout est question de biologie et reconstruction moléculaire : l’étape un consiste en une déstructuration sélective de la matrice du bois en retirant notamment sa lignine, entendez l’un de ses principaux composants avec la cellulose – autre composant qui permet de laisser passer la lumière et confère le côté transparent. Puis une seconde étape consiste à infiltrer la matrice altérée du bois avec de nouveaux composés qui polymérisent le matériau. Autrement dit, il s’agit de remplir l’essence d’une biomonomère, plastique naturel pour renforcer le matériau. « Le bois brut contient entre 60 et 90% d’air : Woodoo explore la porosité naturelle du bois et reconstruit à l’échelle moléculaire la structure du végétal en s’appuyant exclusivement sur des procédés verts et durables », détaille son concepteur. En matière d’application, le champ des possibles est grand ouvert.

« Nous sommes sollicités par les domaines du luxe, du mobilier, de l’aéronautique, de l’automobile… Actuellement, le matériau est en phase de “scale up” (entendez par l’anglicisme la phase qui suit le développement labo et qui précède son industrialisation et sa commercialisation à grande échelle, NDLR). Nous avons décidé de d’abord développer notre activité dans des secteurs à haute valeur ajoutée mais à faibles contraintes, comme le luxe et le design, pour ensuite répondre aux besoins des industries aux fortes réglementations telles que le second œuvre et la toiture en particulier à deux ans, puis la construction de bâtiment à cinq ans », développe le jeune dirigeant dont la première livraison se fera d’ici un an.

Geoffroy Framery

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