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N’est-ce pas dans l’enfance et l’adolescence que nous retrouvons les traces les plus claires de ce que nous sommes devenus ? Stéphane Junique, président du Groupe VYV – premier acteur mutualiste de santé et de protection sociale en France – depuis 2021, a dès son plus jeune âge côtoyé la maladie. Puisque sa mère est tombée malade, atteinte d’une sclérose en plaques. Ces infirmiers qui vont et viennent ne peuvent pas laisser indifférent le jeune garçon qui s’imprègne déjà de la manière dont il s’occupera des autres. Stéphane Junique rejoindra à 13 ans les rangs de La Croix-Rouge, avant de devenir infirmier et se former au sein de ce qu’il considère comme une institution : l’AP-HP. Des stages, des rencontres, des expériences qui vous construisent « une colonne vertébrale de valeurs ». Cet altruiste convaincu s’occupe tantôt des toxicomanes, tantôt des personnes atteintes du sida : deux populations qui ont ce point commun d’être exclues de la société. L’ambition de cet infirmier grandit, et son envie de porter haut la solidarité dépasse progressivement les murs de son service. Un rôle de militant, de citoyen, qui a des choses à faire entendre. Son action désormais, il la mène à travers le Groupe VYV, né en 2017 d’un rapprochement entre Harmonie Mutuelle, MGEN et MNT. Rendre la santé accessible à toutes et tous, voilà son mantra. Entretien.

Aux prémices de votre parcours, deux événements majeurs : la maladie de votre mère et le tremblement de terre de Mexico ?

Absolument. On ne peut pas comprendre mon engagement sans cela. Dès ma naissance, on a déclaré à ma maman une sclérose en plaques. Dit autrement, je baigne depuis mon plus jeune âge dans un environnement qui a fait place à la maladie. J’ai constaté combien cette sclérose amenait à une perte d’autonomie, j’ai rapidement été concerné par la question de la solidarité et de l’aidance.

Je suis un
militant de la
solidarité

Parmi les autres éléments qui ont révélé chez moi cette envie de me tourner vers les autres, le tremblement de terre de Mexico en 1985. Les images rapportées par la presse m’ont dévasté. Ces femmes et ces hommes, cette ville, tout a été emporté en quelques minutes. Mais après la sidération, j’ai vu aussi, dans la foulé des sauveteurs du monde entier prêter secours aux populations locales, dont des sauveteurs français de La Croix- Rouge. Alors à 13 ans, je me suis engagé dans la protection civile, avant de rejoindre La Croix-Rouge. Étant fils unique, de parents séparés, il fallait me construire un cadre social extérieur à ma famille. Ce qui est passé pour moi par l’engagement associatif, là où j’ai noué des amitiés fortes.

UN MANIFESTE
L’égalité (im)possible ? Avec Timothée Duverger, Stéphane Junique est coauteur de L’égalité (im)possible ?, un manifeste pour une solidarité active rédigé en mai 2018, et qui a reçu l’année suivante le prix du livre sur l’économie sociale et solidaire. Leur constat : face aux transformations de la société (carrières discontinues, vieillissement de la population, explosion des maladies chroniques, etc.), l’État ne peut plus tout. Leur solution : constituer un « pôle des solidarités actives ». Une alliance pour et par l’action des structures historiques de l’économie sociale et solidaire et de nouvelles entités tournées vers l’intérêt général.

Très jeune, vous décidez alors de devenir infirmier ?

Oui, parce que j’ai eu envie de continuer à m’occuper des autres. Ces professionnels autour de ma maman, qui prenaient soin d’elle, m’ont inspiré. Alors, logiquement, j’ai entamé des études d’infirmier, à l’AP-HP (Assistance publique – Hôpitaux de Paris, ndlr). En troisième année, j’ai travaillé aux côtés d’un professeur qui m’a beaucoup marqué, Claude Olievenstein, spécialisé dans la toxicomanie. De mes propres yeux, j’ai vu les ravages entraînés par la rencontre, à un moment de sa vie, entre un homme et une substance. Ensuite, mon premier poste en tant qu’infirmier était de m’occuper des patients atteints du sida. Les personnes concernées sont tellement rejetées au sein de la société. Toutes ces expériences vous construisent une colonne vertébrale de valeurs.

On sent chez vous une envie d’aller au-delà du soin. Vous n’êtes plus simplement infirmier, mais voulez combattre les injustices à plus grande échelle et militez pour cela ?

Disons-le, oui, je suis un militant de la solidarité, un militant pragmatique. J’ai enchaîné par une expérience au Parlement européen où j’ai travaillé auprès d’une députée (Marie-Thérèse Mutin, ndlr) sur des questions de santé et protection des consommateurs. Avant d’étudier les politiques de prévention à la direction régionale des Affaires sanitaires et sociales. Et c’est à ce moment-là, très précisément, que je découvre la mutualité.

 

Le Groupe VYV,
c’est comme un
compagnon de vie

À l’époque, le débat public portait sur la différenciation entre le « petit » et le « grand » risque. Très simplement : les affections graves devaient relever d’une intervention publique, celle de la Sécurité sociale ; les autres reposant sur une mutualisation privée, par l’intermédiaire des complémentaires santé. En tant que soignant et professionnel de santé, je ne comprends pas ce débat ! Comment distinguer « petit » et « grand » risque ? Un rhume pas soigné qui se transforme en pneumonie, est-ce réellement un « petit » risque ? À partir de ce moment vient mon engagement mutualiste. On raisonne de façon binaire dans notre pays, avec d’un côté les entreprises publiques qui relèvent d’une stratégie de l’État, et de l’autre les entreprises privées qui reposent sur les capitaux. Je n’ai absolument rien contre ni l’un ni l’autre, mais une troisième voie reste encore trop négligée : le modèle d’économie sociale et solidaire avec les mutuelles, coopératives, fondations, entreprises sociales, etc. Cette voie intermédiaire, on a encore trop tendance à la considérer comme de la fausse économie sous prétexte qu’on ne recherche pas la performance économique à tous crins.

C’est ce qui explique votre candidature à la présidence d’ESS France, la chambre de l’économie sociale et solidaire. Comment envisagez-vous la relation de l’ESS avec les autres sphères économiques ?

Je porte l’idée que nous vivons un « moment ESS ». Notre pays vit un moment clé de son histoire. Les grandes transitions en cours agissent comme des leviers majeurs en faveur du modèle économique, écologique et social que porte l’ESS. Ma conviction est que ce « moment ESS » sera l’occasion de nouer de nouvelles alliances et surtout de porter des débats constructifs dans un esprit d’ouverture notamment avec les entreprises désireuses de s’engager, qu’elles soient à impact ou en transition. J’ai toujours porté cette vision de l’ESS, en contribuant à la mission Notat-Sénard ou en transformant Harmonie Mutuelle en entreprise mutualiste à mission.

Si nous devons maintenir clairement la définition de l’ESS aux seules mutuelles, coopératives, associations, fondations et entreprises commerciales de l’économie sociale et solidaire dans le respect de l’article 1 de la loi de 2014, il nous faut aussi ouvrir l’ESS à l’ensemble de l’économie pour polliniser ses valeurs. Cela va de la création d’entreprises à impact à la conversion des entreprises conventionnelles à l’ESS, en passant par le renforcement des partenariats ESS-privé. Le modèle des sociétés commerciales de l’économie sociale et solidaire s’avère un trait d’union utile pour atteindre cet objectif, au même titre que l’agrément ESUS qui permet d’affirmer son engagement.

Le Groupe VYV, que vous présidez depuis 2021, s’inscrit dans cette démarche. Quelle est sa mission ?

En fait le groupe existe depuis 2017 à l’issue d’un rapprochement entre deux mutuelles qui ont décidé de ne plus se faire concurrence et d’unir leurs forces : Harmonie Mutuelle et MGEN. D’autres ont également suivi, comme la MNT. Le Groupe VYV est un compagnon de vie, attaché à ce que l’accès aux soins et aux protections soient pleinement assurés. Il existe pour protéger, à travers des réponses assurantielles (remboursement, épargne retraite, prévoyance, etc.). C’est un compagnon de vie car notre groupe est ancré dans les territoires et participe, à son échelle, à lutter contre les déserts médicaux et les injustices territoriales au travers des 1 700 établissements de son offre de soins et d’accompagnement. Sur ce point, quatre services de médecine de proximité ont été créés en Pays de la Loire, dans les communes de Laval, Cholet et Le Mans, soit des villes moyennes. Une initiative qui a permis à 16 000 personnes sans médecin traitant de retrouver accès à une offre de soins. Enfin, le Groupe VYV est un compagnon de vie car il est acteur du logement social. Le logement est un déterminant de santé trop ignoré. Sachez-le, une personne qui vit dans la rue a une espérance de vie de 46 ans… Alors le groupe s’engage dans le développement du logement social et dans l’adaptation des logements des personnes âgées. Mais au-delà des seniors, le logement concerne tout le monde, d’où la naissance du label « Mon logement santé » : 40 cibles qui vont d’une construction responsable à des services de téléconsultation.

À terme, une fusion est-elle envisageable ?

Inauguration de la 1ère crèche VYV Enfance – Le Mans (72)

Fusionner serait prendre le risque d’abîmer de belles marques, comme Harmonie Mutuelle, MGEN ou MNT. Donc, non, aucun projet de fusion n’est prévu. Tenons cap sur le projet commun et ne lâchons pas. Ce sont les investissements que nous faisons en commun qui nous rendent plus forts collectivement. Il y a dix ans, notre offre de soins et d’accompagnement réalisait 300 millions d’euros de chiffre d’affaires, contre 2,5 milliards d’euros aujourd’hui. Le Groupe VYV, avec ses 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires, représente l’addition de l’ensemble des mutuelles qui le composent, dans ce qu’elles font de meilleur auprès des adhérents. L’enjeu étant de ne pas fragiliser l’action de chacune de nos maisons.

Pour « manager » ce groupe colossal, ce ne doit pas être simple, vous vous faites aider ?

J’ai des formations complémentaires évidemment. Tous les ans, je dois suivre plusieurs formations obligatoires, attendues par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). En parallèle je réfléchis et travaille à mon leadership. Car aujourd’hui, un bon dirigeant ne doit plus être simplement un bon sachant, ce qui compte vraiment est la capacité à incarner des valeurs, notamment en termes de leadership. Ce qu’il faut aussi, c’est bien s’entourer, et donc, ne pas avoir peur de s’entourer de meilleurs que soi. De sorte à apporter un environnement sécurisant à l’entreprise et aux équipes.

Une question plus globale. Certains critiquent le système de santé français, d’autres l’encensent… Où vous placez-vous ?

Je ne fais pas partie des pleurnicheurs. Le modèle français est l’un des meilleurs au monde. Malgré les difficultés, soyons fiers de ce que l’on a construit. Maintenant, évidemment, de grands défis se dressent devant nous. Comment le modèle doit-il s’adapter face à un besoin de financement de la santé et de la protection sociale qui va être grandissant dans les années qui viennent ? Comment financer la question du grand âge et de la dépendance ? Ce qui sera déterminant pour le futur, c’est l’investissement dans la prévention. Notre pays n’a pas cette culture de la prévention. Nous l’avons d’ailleurs vu lors de la pandémie covid-19 où l’on a terriblement manqué de certains médicaments faute de prévision, ce qui ne doit plus arriver. Investir socialement dans la prévention permettra d’anticiper les maladies de demain et ainsi réduire les dépenses de santé futures. Je le dis, je suis prêt à ce que nos mutuelles participent à 2 % de leurs cotisations spécifiquement sur ces enjeux de prévention, soit 110 millions d’euros à l’échelle du groupe. Je suis prêt à signer un contrat avec l’Assurance maladie et les pouvoirs publics.

Le système de santé français est l’un des meilleurs au monde

Sans transition, et pour conclure, comment occupez-vous votre temps libre ?

Je suis passionné de photographie. J’aime les artistes et rencontre beaucoup de jeunes photographes que j’accompagne pour certains. En dehors de la culture et des arts, j’aime aussi la randonnée et me balader. Ah si, bien sûr… je reste très attaché à la ville dans laquelle j’ai grandi : Nantes. J’y retourne régulièrement de sorte à m’offrir une bulle de respiration dans ce quotidien toujours très chargé. Les villes et leurs transformations me fascinent. Regardez Paris par exemple, au sortir de la crise covid-19 et toutes ces nouvelles mobilités, plus douces qui ont émergé. Au risque de déplaire aux automobilistes, je trouve cela formidable.

PROPOS RECUEILLIS PAR GEOFFREY WETZEL ET JEAN-BAPTISTE LEPRINCE

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