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Le papetier Vertaris avait tout pour réussir : expérience, marché, technologie. Mais sous-estimer malchance et frilosité bancaire peut noircir le plus beau des tableaux.
Les hangars désolés de Vertaris, à Voreppe près de Grenoble, où quelques balles de papiers jouxtent encore d’imposantes machines prenant la poussière, les 130 salariés laissés sur le carreau, et les millions d’euros partis en fumée, donnent l’impression d’un rendez-vous manqué, tant les atouts dans le jeu du papetier étaient nombreux. « 12 mois après le lancement nous étions sur le point de résoudre nos soucis d’exploitation, les pertes étaient minimisées, nous arrivions à l’équilibre », se remémore amèrement François Vessière, associé fondateur et président du Directoire.
Belle idée sur le papier
L’outil industriel était pourtant à même de transformer de vieux papiers issus de la collecte sélective en papier haut de gamme, en matériaux d’isolation écologiques, et, plus rare, en pâte de cellulose pouvant être revendue à d’autres sociétés. Un pool de huit banques avait suivi le diplômé de Grenoble INP, qui a passé 30 ans dans le secteur, pour financer l’installation de désencrage et de blanchiment : l’une des plus performantes d’Europe et le seul pôle français intégré de traitement et de valorisation de la fibre recyclée à partir de papiers usagés. De quoi aboutir sur un produit immaculé de qualité supérieure au non-recyclé, le tout en respectant l’environnement – la pâte produite étant transformée sur place sans avoir besoin d’être séchée – et avec une gouvernance participative associant les syndicats. Presque trop parfait.
Quelques biffures sur la feuille de départ
Le hic classique – commun à nombre de jeunes entreprises – a été le manque de capitaux au départ pour passer de pertes à profits, alors que la société rhônalpine en avait largement le potentiel. Comptant réunir 10 millions d’euros et en lever 10 autres auprès des banques, la direction a dû revoir ses ambitions à la baisse. L’Etat a octroyé un prêt d’un million via Oséo, deux fonds d’investissement spécialisés dans le développement durable, Aloé et Demeter, ont fourni 4,8 millions d’euros et huit banques ont prêté le même montant, d’ailleurs contraintes par le médiateur du crédit. Au total 10,6 millions, soit la moitié de ce qui était prévu ! La Communauté d’agglomération du Pays Voironnais et le Conseil général de l’Isère ont aussi mis la main à la pâte en fournissant terrains et bâtiments, la Région en versant 400 000 euros. Autant de coups de pouce qui ont décidé François Vessière à se lancer malgré la voilure réduite. Mais au début de 2010, alors que les premières commandes tombaient, EDF a refusé le tarif vert avantageux habituellement accordé aux nouvelles entreprises, l’usine ayant par le passé appartenu à un autre propriétaire. « C’était un peu le pot de terre contre le pot de fer », ironise François Vessière. Mais à petit incident grands effets. La négociation ayant retardé la mise en activité, la société n’a pas figuré au 1er janvier 2010 dans le catalogue qui conditionne les ventes de l’année. Les pertes se sont donc accumulées malgré un CA de 25 millions d’euros en 2010. Début 2011, alors que la barre était en passe d’être redressée – les ventes atteignant les 4 millions d’euros mensuels – Vertaris a connu des tensions de trésorerie. Avec l’envolée du cours des matières premières, le prix des vieux papiers a bondi de 80% sur la période !
Dernière impression fatale
Dès lors le « struggle for life », bien connu des dirigeants aux abois, a débuté. Renégociations de dette avec les banques et demandes de « rallonges » fin juin n’ont pas abouti. « Niet, alors que chacune avait jusque là prêté seulement 600 000 euros garantis à 50% par Oséo ! » La situation a viré au rouge écarlate durant l’été avec la chute des commandes due aux vacances. Les deux fonds qui avaient remis au paquet 6 millions d’euros ont à leur tour jeté l’éponge, entraînant le redressement judiciaire en septembre 2011. « Les banques ont eu beau jeu de dire qu’elles étaient inspirées de ne pas y croire au début. Mais en limitant le prêt à la portion congrue, n’ont-elles pas justement causé la perte de l’entreprise ?, s’interroge François Vessière. C’est un peu la poule et l’œuf. » L’ex-DG d’Arjowiggins, leader mondial de la fabrication de papiers techniques et de création, ne s’appesantit pas pour autant sur son sort. Mais il a joué de malchance dans sa quête de chevalier blanc. « Un investisseur potentiel brésilien s’est manifesté, puis un deuxième, néerlandais et plus généreux. L’affaire n’a pu se conclure avec le Batave, et quand nous sommes revenus vers le premier celui-ci a décliné, vexé d’avoir été mis en attente. » De même au printemps 2012, un grand groupe papetier a avancé 200 puis 300 000 euros à titre conservatoire, avant de rebrousser chemin faute de temps. Malheureux concours de circonstances ? Selon François Vessière 4 ou 5 millions supplémentaires manquaient pour passer la zone de turbulence. Un diagnostic optimiste qu’il n’est apparemment plus le seul à formuler. « Les offres portant sur les appareils de fabrication de pâte, plus rentables et peut-être viables, sont mises en attente car le juge commissaire attend de voir comment les choses vont évoluer sur place », indique maître Dominique Masselon, liquidateur judiciaire. L’outil industriel est donc préservé et l’éventualité d’une réorientation stratégique vers la fabrication de pâte à papier recyclable et non de papier semble encore possible. « Je discute souvent avec des financiers et des industriels, qui savent que dans ce domaine le nombre de clients serait limité, pour des commandes annuelles voire pluriannuelles. Le marché mondial est estimé à 200 millions de tonnes de pâte, dont 1 million seulement provient du recyclage », détaille l’entrepreneur. Après deux ans de déveine, le temps semble s’être arrêté chez Vertaris. Les machines ne ronronnent plus que dans les souvenirs. Mais peut-être plus pour très longtemps…
Matthieu Camozzi