Olivier Remoissonnet : Brosses à dents du bonheur

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La Brosserie Française a échappé à la liquidation judiciaire, grâce à un soupçon de relocalisation, une pincée de formation et de marketing. La recette d’Olivier Remoissonnet.

Il reste très modeste, mais Olivier Remoissonnet a quand même réussi un certain tour de force, dont nombre de PME ont un jour rêvé : celui de sauver de la liquidation judiciaire en décembre 2012 la Brosserie Française, dernier fabricant de brosses à dents de l’Hexagone, puis de relocaliser la production sur le territoire national et de repartir sur un nouveau modèle stratégique.

 

Premiers résultats encourageants

Un succès total ? L’avenir le dira, mais les premiers chiffres sont encourageants. « Fin 2012 nous culminions à 4,2 millions d’euros de CA, 8 millions de brosses à dents, 400000 brosses à cheveux, 100000 brosses de toilettes. En 2015 nous sommes passés à 4,9 millions d’euros pour le même effectif, avec une démultiplication des canaux de vente, notamment en ligne », se réjouit l’ingénieur de formation. La société picarde s’est aussi tournée vers l’international, la Côte d’Ivoire mais aussi la Chine, où elle a signé un partenariat avec un distributeur local spécialisé dans les produits européens. « Face aux scandales sanitaires, la classe moyenne chinoise se méfie des produits de santé nationaux et se tourne vers l’étranger », précise le dirigeant heureux qui vise les 5,1 millions pour 2016, alors qu’un partenariat avec une des principales enseignes bio vient d’être signé.

Ceux qui voulaient racheter la marque et délocaliser peuvent se brosser...
Ceux qui voulaient racheter la marque et délocaliser peuvent se brosser…

« Au bout de mon idée »

Créée en 1846, l’entreprise nichée dans l’Oise au cœur de la vallée du Thérain, berceau historique de la brosserie, devient, dans les années 1980, le fleuron de La Brosse et Dupont, alors filiale de LVMH. Rachetée en 2005 par Duopole, elle est frappée de plein fouet par le ralentissement de son marché et par les délocalisations. Après un passage dans l’industrie automobile, Olivier Remoissonnet est « tombé » en 1998 dans la brosserie, pour le mascara et le vernis à ongle, évoluant dans le maquillage jusqu’en 2007. « Puis le propriétaire du groupe m’a sollicité pour que je l’aide à préserver le métier en regroupant tous les derniers brossiers. Je suis devenu directeur industriel. En 2010 la dernière délocalisation nous menait droit à la liquidation. » Le Picard, connu des équipes, se rend alors au tribunal avec un plan précis de renaissance, basé sur la mise en valeur d’un savoir-faire régional de 160 ans et sur le made in France. « Fin 2012 était une période électorale en France, le domaine social était crucial. La plupart des repreneurs étant plus intéressés par le carnet de commandes et les marques que par les 26 salariés ; le tribunal s’est donc tourné logiquement vers moi », rappelle l’intéressé. Lequel a alors concrétisé des idées qu’il avait mûries depuis quelques années. « L’entreprise manquait d’investissements et d’innovation, alors qu’elle évolue dans un secteur très concurrentiel où des majors sont présentes. Je suis allé rechercher les moules à injection en Chine », se souvient ce dirigeant très accessible pour ses équipes, qui peut être chez le client comme à l’atelier.

Un plan finement élaboré

Les trois premières années ont donné lieu à trois phases distinctes : en 2013 la société a œuvré à rassurer le client, à livrer en temps et en heure des produits de qualité à des grands groupes comme à des PME. A coups d’investissements financés sur fonds propres et via des prêts bancaires, les outils de production ont gagné en modernité et en efficacité. En 2014 elle a initié une restructuration en profondeur, non sociale : « Il fallait former les collaborateurs à des nouvelles technologies. Je n’ai rien à apprendre à ces brossiers qui ont 30-35 ans de maison sur leur métier, mais un peu plus dans les achats, le commerce… Nous avons poussé les formations dans le e-manufacturing grâce à des subventions de l’Etat et de la Région, pour que chacun puisse être décisionnaire à son échelle. L’organisation était très taylorisée auparavant », retrace le repreneur. 2015 a ensuite été l’occasion d’un grand redéploiement produits et marketing, avec un but évident de ne plus rivaliser avec les pays low cost. Ce qui est aussi passé par un abandon de la production de marques de distributeurs (MDD). Bioseptyl, la marque en propre de brosses à dents, a été modernisée, englobant toutes les innovations produits, centrées autour de l’hygiène bucco-dentaire, surtout celles adaptées aux appareils dentaires, aux gencives sensibles ou encore conçues pour les bébés. Mais surtout « les gammes de brosses à dents ou à cheveux ont été rendues plus fidèles à nos valeurs, à base de bio-plastiques, d’algues, de canne à sucre. Le polypropylène permet le recyclage », énonce celui qui a évolué dans sa démarche. « Nous avons été sauvés par le made in France, nous cherchons désormais à incarner des valeurs de RSE très fortes. » Les luminaires ont été équipés de LED, les machines fonctionnent désormais à l’énergie électrique renouvelable (éolienne ou hydraulique) ou à l’énergie pneumatique. Le compresseur a été remplacé pour que sa vitesse soit variable, ce qui permet de diviser par deux la consommation d’électricité. Le gros moteur dégage de la chaleur qui est réutilisée pour chauffer le bâtiment en hiver grâce à des travaux de calfeutrage.

A dupliquer au reste de l’industrie

« En faisant de l’écoconception et de l’écocitoyenneté, nous ne sommes plus dans le sillage des multinationales », confie celui dont le tour de force a été d’entrer directement en contact avec le consommateur final. « Le concept d’abonnement fait son effet, car une brosse à dents se change tous les trois mois, quand les Français le font en réalité tous les six mois », s’enthousiasme le visionnaire. La brosse arrive directement dans la boîte aux lettres du client, avec une enveloppe préaffranchie pour renvoyer l’ancienne et la recycler. Circuit direct, publicité faible permettant d’afficher des prix compétitifs, image RSE renforcée, telles sont les formules gagnantes de cet entrepreneur qui pourraient faire des émules dans d’autres industries. « Nous ne nous posons pas comme beaucoup d’autres la question du pourcentage de produits que nous fabriquons en Asie. D’emblée tout sera produit en France, à nous de triturer l’offre pour dégager une marge », explique celui qui a obtenu l’ISO des dispositifs médicaux, ce qui garantit des standards aussi stricts que ceux des lunettes ou des prothèses.

Julien Tarby

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