Julien Cohen et ses coursiers jouent la transparence pour se différencier
Julien Cohen et ses coursiers jouent la transparence pour se différencier

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Le bachot pour tout bagage, une dizaine de PME au compteur et un caractère hors normes. Il fallait rencontrer Julien Cohen. Vite.

Tic, Tac… Il court, il court Julien Cohen, en lutte avec le temps tel le Lapin Blanc dans Alice au Pays des Merveilles. Mais qui donc lui a donné une telle soif de réussite ? Sa mère rescapée de la Shoah ? Son père débarqué de Tunisie avec une simple valise en carton ? L’usine d’écussons thermocollants paternelle, employant 600 salariés, semble en tout cas la preuve d’une hérédité entrepreneuriale. C’est pourtant vers le jeu que l’ado de 17 ans se tourne. Et pour cause, il excelle au Backgammon. « En deux ans j’ai gagné un million d’euros, fréquentant les lieux de flambe habituels comme Saint Tropez, Ibiza ou Courchevel », se souvient-t-il, amusé. Mais son père lui rappelle vite qu’il ne construit rien, que « s’il s’arrête, tout s’arrête ». Cet admirateur des Etats-Unis vire donc sa cuti pour fonder sa première entreprise de T-shirts à encre photochromique, dont les motifs apparaissent seulement sous les spots des discothèques, avant que son absence de six mois pour cause d’armée ne le mène au dépôt de bilan. Trop tard, le virus de la création ne le lâchera plus.

Plusieurs vies en une

« Seuls les abrutis croient être faits pour un métier, assène-t-il. Il importe d’utiliser les erreurs, les réussites, les acquis accumulés dans les autres secteurs. » Un précepte que cet autodidacte applique scrupuleusement, se tournant vers la publicité en fondant l’agence EMPP qui assure la régie de magazines tels « Jour de France » ou « Marie Claire ». « Nous achetions à 10 et revendions à 50 », se souvient le jeune patron pour qui la loi Sapin limitant les marges des régies en 1992 sonne le glas de cet âge d’or. C’est à cette époque que le serial entrepreneur crée en interne avec son frère la structure de coursiers ATV, qui atteint 30 salariés en 5 ans. Mais le touche-à-tout vogue déjà vers d’autres horizons. « En 1996 un ami vient me parler d’un « Géo Trouvetou » souhaitant vendre des minutes de télécommunication en profitant de la dérèglementation, mais ayant subi deux dépôt de bilan à cause de difficultés de gestion. Il débute alors en occupant 30 mètres carrés dans mes locaux, s’occupant de la partie commerciale et me laissant faire le reste ». Directline, puis plus tard Western Telecom est né. « En 24 mois nous nous introduisons en Bourse (ndlr : Nouveau marché en 1998), passant de 500 000 francs à 400 millions de francs de CA, avec un immeuble avenue Kleber et 170 salariés ». Retraite dorée en vue ? Que nenni. Julien Cohen quitte tout six mois après l’introduction, pourvu de 60 millions en poche, pour s’occuper de restructurations de start-up. Il devient ensuite associé à la création d’un site d’enchères en ligne, type eBay, qui fait long feu. S’ensuit une période de grandeur et décadence où le trublion des affaires passe deux fois à l’émission Capital. Joueur dans l’âme, celui qui est devenu le premier client du courtier Consors France perd tout en trois mois, divorce, accumule une dette d’un million d’euros envers le Trésor public.

ADN d’entrepreneur

Reste ATV qui « végète ». Julien Cohen rencontre les salariés en 2002 pour leur annoncer qu’il doit vendre, ou alors que tout le monde doit se réveiller. « En 2004 la société intègre le marché libre. Nous rachetons onze boîtes, notre CA bondit de un à dix millions d’euros et les 30 salariés deviennent 230 », raconte l’homme impatient de 47 ans, pour qui chaque minute vaut de l’or : « je délègue beaucoup, même si cela signifie être volé, perdre des clients, voir les autres agir moins bien. Cela revient aussi à gagner du temps, ce qui est beaucoup plus important si l’on a un cerveau bien fait. » Quelques principes immuables le guident ainsi dans son parcours managerial. Julien Cohen donne deux fois sa confiance à un salarié, pas plus. De même applique-t-il la méritocratie à l’extrême, puisqu’ATV ne compte que des autodidactes. Mais l’heure peut aussi être au pragmatisme : « Lorsque je dirigeais une start-up, un journal avait titré à notre sujet « la funky business attitude », car il fallait s’adapter au public « adulescent ». » ; au contraire le régime est quasi militaire chez ATV, composé de micro-tâches très réglées. Une ligne de conduite qui semble porter ses fruits, la société surpassant ses 700 concurrents parisiens. La suite ? « Nous sommes loups plutôt que proies, disposant de fonds propres, et pouvant passer à l’action en 2013. » En attendant, le joueur impénitent reprend onze boutiques de prêt à porter de 60 salariés au total, que gère son épouse, et qui représenteront une belle plus-value à la revente. De même son attention se porte sur les pièces de collection et sur l’Inde, où il s’évade régulièrement avec son ami Jacques Dworczak, connu pour avoir ramené des pièces détachées du bateau France pour les revendre aux enchères.

Forte tête devant l’éternel

Le père de six enfants affectionne le style direct, dans ses actions comme ses paroles. Point de circonlocutions. Ainsi au Sénat, lors des Victoires des autodidactes en 2006, pour lesquelles il a été récompensé à l’échelle de l’Ile-de-France, n’hésite-t-il pas à répondre à l’aréopage d’énarques et de polytechniciens qui lui demandent sa recette, que « le plus étonnant est que tous ces diplômés lui posent la question et n’aient pas le courage de faire de même ». C’est cette même pusillanimité qu’il dénonce chez ses propres enfants âgés d’une vingtaine d’années, « parce que le système éducatif qu’il faut revoir leur a appris à fuir le risque. Il vaut mieux perdre une, deux, trois fois puis gagner le jackpot à la quatrième, plutôt que d’épargner misérablement 200 euros chaque mois. » Le regard porté sur l’échec doit aussi évoluer dans l’Hexagone. « J’ai vécu mon premier dépôt de bilan à 18 ans, j’ai dû attendre trois ans avant d’être effacé du fichier de la Banque de France (ndlr : la ministre Fleur Pellerin parle de modifier cette pratique). Nous sommes encore à mille lieues de la mentalité américaine », dénonce-t-il, également critique à l’égard du sacro-saint Droit du travail : « A force de payer et de voir que les salariés confondent bien souvent le tribunal avec la Française des Jeux, je me suis fait élire conseiller prud’homal, côté employeur. » Sans ambages on vous dit. Avec toutefois une certaine dose de calcul. « Je pourrais toute la journée jouer aux échecs, qui apprennent à être humble, à faire le dos rond ou à porter le coup de grâce quand il le faut… si j’avais du temps ». Tic, Tac…

Matthieu Camozzi

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

J’accepte les conditions et la politique de confidentialité

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.