Guillaume de Vaudrey, organisateur de voyages géopolitiques

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Pyongyang, deux minutes d’arrêt

EcoRéseau va à la rencontre d’entrepreneurs, d’entreprises ou de secteurs atypiques. Cela tombe bien, Guillaume de Vaudrey, dirigeant de Cosmopolis, rempli ces trois critères.

Guillaume de Vaudrey épuise trois passeports tous les deux ans, au rythme d’un voyage en moyenne chaque mois. Sur sa mappemonde, il a déjà coché un paquet de pays, dont une belle brochette de « l’axe du mal » : Irak, Afghanistan, Pakistan… L’idéologie nord-coréenne n’a plus de secrets pour lui et il a croisé la route d’un Vice-Premier ministre irakien et d’anciens Khmers rouges.

Son job ? Non, le grand blond n’est ni agent secret, ni porteur de mallettes, mais organisateur de voyages géopolitiques aux quatre coins du monde, même les plus chauds, via Cosmopolis, l’entreprise qu’il dirige. « Notre slogan est “Voyager pour comprendre”, explique Guillaume de Vaudrey. Nous offrons un accès direct à l’information, avec une solide préparation préalable, pour permettre aux participants de se forger leur propre opinion en allant au cœur de la réalité du pouvoir ». Et même si, pour cela, il faut rencontrer des personnages controversés, comme Tarek Aziz. Peu avant la deuxième guerre du Golfe, le Vice-Premier ministre de Saddam Hussein a reçu pendant deux heures, dans son bureau, la délégation de Cosmopolis en voyage en Irak. Ou encore, au Cambodge, des survivants de la junte Khmer, parmi lesquels la famille de Pol Pot et d’anciens ministres du génocidaire. Depuis, certains d’entre eux, rattrapés par la justice, ont fini derrière les barreaux. Parfois, les entrevues sont plus heureuses, comme ce jour de 1998 où Cosmopolis va à la rencontre d’Aung San Suu Kyi au Myanmar. Hissée sur une échelle, la prix Nobel de la paix s’adresse à la délégation par dessus le mur d’enceinte de la maison familiale, où elle demeurera en résidence surveillée jusqu’en 2010.

Djoutche

Le virus du voyage a été inoculé très tôt à Guillaume de Vaudrey. Sa mère l’inscrit à un programme international qui lui permet d’entrer en contact avec des enfants nés le même jour que lui. « Je recevais régulièrement des lettres d’Afrique, d’Asie, d’Amérique. Au final, mes parents ont dépensé une jolie somme en timbres ». A 13 ans, à l’âge où les enfants commencent à peine à aller seuls à l’école, l’apprenti globetrotteur réalise son premier trip en solo à travers l’Allemagne, la Suisse et l’Autriche. Depuis, il n’a plus vraiment posé ses valises : « J’ai appris à vivre toujours en mouvement et n’ai jamais souhaité une vie sédentaire ». Le quadragénaire se sent d’ailleurs très attaché à la ville de Niamey, au Niger, où il retrouve régulièrement les peuples nomades Peulhs et Touaregs.

Il poursuit ensuite des études en sciences politiques et en droit public à la Sorbonne, où il s’intéresse particulièrement aux régimes militaires et aux totalitarismes afin de « comprendre les ressorts des coups d’Etat, et la mise en place sur le terrain d’idéologies totalitaires avec les conséquences collatérales sur la société ». Lors de son 3e cycle, un responsable Nord-coréen en visite à Paris rencontre l’un de ses professeurs et lui fait savoir qu’un étudiant français pourrait avoir la chance de poursuivre ses recherches au nord du 38e parallèle. Plutôt que d’aller au bout de sa préparation au concours d’entrée à l’ENA, Guillaume de Vaudrey reprend sa valise, direction Pyongyang. Après 12 jours de train, il pose le pied dans le pays le plus isolé du monde, point d’interrogation planté au milieu de la mappemonde. Pendant deux ans, le passionné de géopolitique enseigne la science politique occidentale et passe son diplôme de Djoutche, l’idéologie fondée par le président Kim Il Sung, qui règle le destin de chaque citoyen. « Je voulais comprendre comment était née cette forme de marxisme teintée de néoconfucianisme et comment elle s’appliquait à la mise en marche d’une société. » En 1989, après deux ans sans liens avec le monde extérieur, le jeune diplômé rentre en France au moment où éclate le bloc soviétique, où la Chine connaît son Printemps et où le monde oriental rejoint l’occidental. Il croise alors la route du styliste Thierry Mugler, qui le recrute comme mannequin et lui permet de voyager, pendant deux ans, pour présenter ses collections, notamment en Corée du Nord. A croire que tous les chemins mènent à Pyongyang.

En 1998, Cosmopolis est d’abord créée, à deux pas de l’Assemblée nationale, pour organiser des voyages d’information à destination des élus et du personnel politique. Guillaume de Vaudrey est engagé pour développer l’offre auprès du public. La formule séduit et il dirige désormais seul l’entreprise, qui compte un bureau à Manille, aux Philippines, et a noué un partenariat en France avec Explorator pour le marketing.

Pompéi soviétique

Aux voyages récurrents et standardisés à la façon des tours opérateurs classiques, Cosmopolis préfère le ponctuel sur-mesure autour d’une question géopolitique porteuse. A l’été 2011, il propose ainsi à 8 voyageurs une immersion dans l’univers des Roms, entre la Transylvanie roumaine et la Bulgarie : « Nous vivions parmi ces communautés qui nous ont fait découvrir leur cosmologie, leurs danses, leurs musiques… », se souvient le dirigeant de Cosmopolis. En 2012, c’est à Fukushima qu’il a emmené ses clients.

Le tour opérateur compte quelques centaines de voyageurs habitués, intellectuels jeunes ou moins jeunes, professeurs, historiens, journalistes en poste à l’étranger qui « ressentent l’attrait du large, veulent découvrir des pays qui ne leur seraient pas accessibles en temps normal ». Après leurs séjours, ils éprouvent souvent le besoin de se retrouver à Paris pour échanger livres et analyses et se remémorer leurs aventures. Comme ce voyage en Afghanistan, après la chute des Talibans en 2001. « Ce pays est comme une île au cœur de l’Asie centrale, avec une beauté omniprésente. Ses coutumes ont traversé les siècles sans être marquées par des influences extérieures, mais après la chute des Talibans, sa société et ses infrastructures étaient complètement sinistrées », explique le baroudeur. Dès l’atterrissage à Kaboul, le ton est donné : autour de la piste, des carcasses d’avions, abattus ou crashés, jonchent le sol. Le reste du séjour est à l’avenant : routes défoncées, ponts détruits… « C’est une expérience âpre mais intense ». Guillaume de Vaudrey a aussi été marqué par son séjour à Tchernobyl, où il a pu approcher l’immense sarcophage de béton où les liquidateurs ont enseveli le réacteur numéro 4. Et par la cité voisine de Pripiat, évacuée dans les jours qui ont suivi la catastrophe et qui ne sera plus occupée avant des siècles. Dans cette ville autrefois peuplée de 50 000 habitants, figée un jour d’avril 1986 telle une Pompéi soviétique, il a déambulé dans des appartements vides où les horloges se sont arrêtées, dans des rues où poussent les herbes folles, sur la place où les nacelles de la grande roue se balancent au vent. « Avec l’incapacité de l’URSS à gagner la guerre en Afghanistan, cet accident a fait prendre conscience à Gorbatchev que le pays courait à la catastrophe. Indirectement, cela a confirmé la Glasnost et provoqué l’effondrement de l’Union soviétique. » Mais puisqu’on vous dit qu’il n’est pas agent secret, n’insistez plus…

Aymeric Marolleau

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