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Notre rôle est de maintenir le lien social partout, et notamment dans les territoires

C’est ce que l’on appelle une ascension éclair. À 36 ans à peine, Emmanuelle Malecaze- Doublet est la patronne du Pari mutuel urbain, bien connu sous le sigle de PMU. C’est tout simplement la première femme de l’histoire de l’entreprise à occuper ce poste… Et pourtant le PMU fêtera son centenaire en 2030 ! Une promotion rapide mais pas précipitée. Prépa Henri IV à Paris, HEC… Un parcours qui lui a ouvert les portes du prestigieux cabinet McKinsey, un temps à Paris puis deux ans à New York. De quoi répondre à son désir de voyage. Le business, c’était aussi une manière de découvrir le monde, de ne pas rester en place. Au bout de six ans, la Toulousaine, fille d’ophtalmologues, quitte McKinsey pour rejoindre en 2018 un de ses clients venu la chercher : le PMU ! Emmanuelle Malecaze-Doublet gravit les échelons et occupe nombre de fonctions à responsabilités : directrice financière… puis marketing, elle sera aussi à la tête des départements digital et international. Puis directrice générale en 2022. Une double vie pour celle qui a décidé de ne jamais choisir entre sa carrière et sa famille, elle qui est l’heureuse maman de trois enfants. Aujourd’hui, elle s’attelle à transformer sans dénaturer ce qui lie des millions de Français : les paris hippiques. Avec en tête de proposer à toujours plus de joueurs de l’émotion, du lien, et de la convivialité. Entretien.

 

LE PMU EN DIX CHIFFRES
■ 14 000 points de ventes
■ 240 hippodromes
■ 1 course toutes les 17 minutes
■ 2 000 transactions par seconde
■ 500 000 gagnants par jour
■ 250 gains de plus de
100 000 euros par an
■ 835 millions d’euros de résultat net
■ 50 pays représentés
■ 1 100 collaborateurs
■ 50 ans, l’âge moyen des joueurs

 

Parlez-nous de votre jeunesse. Vous pensiez à diriger une entreprise ?

J’ai grandi à Toulouse, dans le quartier Saint- Georges, au sein d’une famille de médecins. Ophtalmologues pour être précise. Diriger une entreprise, ce n’était pas du tout dans les gènes de la famille ! J’entendais souvent la meilleure amie de ma mère parler de sa vie professionnelle, elle qui travaillait à Warner Bros et voyageait sans relâche. C’est comme cela que je me suis intéressée au monde de l’entreprise. Avant tout parce que j’avais ce désir de découvrir le monde, d’indépendance aussi. Je voyais mes parents, c’était plutôt sédentaire comme activité. Même s’ils auraient peut-être aimé que moi aussi je devienne médecin, ce n’était pas fait pour moi. J’ai suivi une classe préparatoire économique et commerciale au lycée Henri IV à Paris, avant d’intégrer HEC (École des hautes études commerciales, ndlr).

Votre première expérience majeure, vous la réalisez à l’étranger, aux États-Unis ?

J’ai en effet travaillé pour McKinsey. D’abord à Paris, puis environ deux ans dans les bureaux de New York. J’ai eu la chance de travailler de près pour des grandes entreprises, notamment
dans le secteur du retail et de la grande consommation. Il se trouve que le PMU, qui était l’un de mes clients, m’a offert la belle opportunité de les rejoindre et ainsi passer du côté opérationnel, ce à quoi j’aspirais précisément à ce moment-là de ma vie.

Pourquoi avez-vous accepté de rejoindre le PMU ?

Transformer sans dénaturer

Je n’avais pas une appétence particulière pour les chevaux. Mais je connaissais évidemment très bien l’entreprise. Suffisamment, et c’est le plus important, pour savoir que les valeurs incarnées par l’équipe dirigeante et donc l’entreprise elle même allaient me correspondre. Je crois que l’on rejoint avant tout une entreprise pour les femmes et les hommes qui la composent. Au départ, j’ai intégré le PMU en tant que directrice financière, ce qui m’a aidée à avoir une vision d’ensemble de l’entreprise, alors que mes spécialités initiales étaient plutôt le marketing et le digital.

Vous évoquiez les valeurs du PMU. Spontanément, on a tendance à associer le PMU à une dimension populaire, conviviale. Une passion ancrée dans les territoires également. Est-ce l’image que vous en avez ?

La force du PMU, c’est son côté convivial et rassembleur effectivement ! Rapprocher les gens et créer du lien, parfois là où il en manque terriblement. Voilà notre rôle et même notre raison d’être : maintenir le lien social partout, et notamment dans les territoires. Ce côté rassembleur est possible grâce à nos 14 000 bars- PMU partenaires, qui maillent l’ensemble du territoire.

Je crois sincèrement que les Français s’en rendent compte. Encore récemment, une jeune femme m’a interpellée en me remerciant de parler des campagnes, qui se sentent trop souvent oubliées. Nos bars-PMU partenaires sont tous différents, à l’image de leurs quartiers. Le PMU, ce sont aussi des lieux de conversation, qui rompent avec le formatage que l’on subit à travers les réseaux sociaux.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons récemment lancé un grand engagement sociétal nommé « Retrouvons-Nous », pour financer et accompagner des créateurs de lieux de rencontre et d’échange, tels que les librairies, cafés, tiers-lieux, épiceries solidaires.

Toujours sur les valeurs du PMU, comment s’est déroulée votre promotion au poste de directrice générale ? Le milieu étant très masculin, vous êtes devenue la première femme de l’histoire du PMU à occuper ce poste.

Je suis arrivée au PMU en tant que directrice financière. Au bout d’un an, je suis tombée enceinte de mon premier enfant. À mon retour de congés maternité la direction m’a proposé d’ajouter une corde à mon arc en reprenant le département marketing. Je retombe enceinte, puis on me propose de piloter le digital et l’international !

C’est ce qui explique sans doute que l’on m’a fait confiance pour me confier la direction générale de l’entreprise car j’avais à la fois une expérience forte des enjeux auxquels nous sommes confrontés, et que j’avais su parallèlement montrer une capacité à mener des transformations réelles, concrètes et toujours en embarquant les équipes.

Évidemment, comme beaucoup de femmes, je n’ai pas échappé à un certain nombre de remarques douteuses liées à mon âge et à mon genre. Mais dès que j’ai pris les commandes du PMU, l’équipe m’a fait confiance. Vous le savez, j’ai ensuite été enceinte de mon troisième enfant, un mois seulement après ma nomination ! Cela a été un non-sujet dans l’entreprise. Une femme n’a pas à choisir entre vie de famille et carrière.

Depuis votre arrivée au PMU en 2018, l’organisation a bien changé. C’est un objectif de moderniser le PMU ?

Oui, en l’espace de quelques années, nous avons considérablement fait bouger les lignes. J’ai dû prendre une décision difficile : licencier une partie de nos effectifs pour réduire les coûts et retrouver la croissance. Quand je suis arrivée le PMU était une belle endormie. Nombre de choses devaient changer pour trouver un nouvel élan. L’entreprise est passée de 1 500 collaborateurs à 1 100 aujourd’hui. Une décision encore une fois pas simple mais nécessaire pour l’entreprise.

Nous avons également poursuivi notre transformation technologique. Avec un investissement massif dans ce domaine, environ 840 millions d’euros sur trois ans. Le PMU a attiré de bons profils spécialisés en tech, ce qui nous a permis d’internaliser les compétences clés. Le passage au cloud a été un changement majeur. Du côté des bars-PMU, on a réinvesti dans les points de vente pour changer les équipements de prise de paris, avec des bornes plus modernes et mieux trackées. Enfin, on utilise de plus en plus de micro-influenceurs dans notre stratégie de communication, peu de stars pour le moment car il s’agit de conserver cet esprit populaire, hormis Antoine Griezmann passionné depuis longtemps des paris et courses hippiques. Évidemment, en étant une femme, jeune femme, j’incarne aussi cette modernisation. Transformer sans dénaturer, c’est notre objectif. Aujourd’hui le PMU a retrouvé la croissance. Nous enregistrons un résultat de 835 millions d’euros. Et l’ensemble est reversé à la filière hippique.

Pour accélérer encore davantage la croissance, ne devez-vous pas parvenir à élargir votre clientèle ?

C’est l’un des principaux enjeux du moment. Aujourd’hui les parieurs sont âgés en moyenne de 50 ans. Ce sont plutôt des hommes, qui appartiennent aux classes les moins favorisées. Pour élargir sa clientèle, le PMU doit d’abord proposer un nouvel environnement. Nous avons lancé cette année un nouveau concept de bistros premium au sein desquels sont proposés des paris hippiques. En parallèle, le PMU va devoir étendre son offre de produits pour attirer des joueurs moins spécialisés. On se doit de proposer aussi une offre plus spontanée, simple et immédiate, sans avoir le besoin de regarder la course, choisir les bons chevaux, etc. Cela demande des échanges avec l’État, qui prennent plus de temps que prévu au regard de l’instabilité de la situation politique française.

Les paris en ligne poussent-ils les gens à moins se déplacer dans les points de vente ? Ce qui irait d’ailleurs à l’encontre du maintien du lien social tant prôné par le PMU…

Nos paris hippiques se font à 20 % en ligne, et 80 % en physique. Encore une fois, le PMU c’est une expérience et des émotions, lesquelles passent moins à travers un écran, parfois seul chez soi. Sans compter que la plupart des joueurs se caractérisent par un double usage : ils jouent en ligne et sur place. Les parieurs qui jouent exclusivement en ligne existent mais ne représentent pas la majorité.

Le comité de direction du PMU avec : Aymeric Verlet, Richard Viel, Emmanuelle Malecaze- Doublet, Charlotte Euzen et Régis Bourgueil

 

 

L’HISTOIRE DU PMU
■ 1930 : loi du 16 avril qui acte la création du PMU, pour « Pari Mutuel Urbain »
■ 1954 : premier Tiercé, le 22 janvier
■ 1989 : lancement du Quinté+
■ 2003 : naissance du site Internet PMU.fr
■ 2022 : nomination de Richard Viel, président et d’Emmanuelle Malecaze- Doublet, directrice
générale du PMU
■ 2023 : lancement du Nouveau Quinté+ Option Max

Comment luttez-vous contre les risques d’addiction ?

On ne peut être durable que si on est responsable. L’addiction concerne 1 à 2 % de nos joueurs. Mais ce n’est pas parce que c’est marginal qu’il ne faut pas s’en occuper. J’ai tenu à ce qu’une vingtaine de personnes au PMU travaillent spécifiquement sur ces problématiques liées à l’addiction. On a ainsi développé un modèle prédictif, qui repose sur le big data, qui sait analyser et repérer des « comportements types ». En fonction de leur jeu, certains joueurs seront catégorisés vert, orange ou rouge. Derrière, le PMU s’adapte : on n’envoie plus d’offres promotionnelles par exemple aux joueurs à risque. En parallèle on multiplie également les campagnes de sensibilisation. Ce sujet de l’addiction me tient à cœur, j’occupe d’ailleurs depuis le mois de mars la vice-présidence de l’AFJEL (Association française des jeux en ligne, ndlr) qui est très active sur le sujet.

Plus personnellement, quel type de manager pensez-vous être ? Que diraient vos collaborateurs de votre management ?

C’est à eux qu’il faudrait poser la question ! (rires) Mais je pense qu’ils diraient que je suis dans l’écoute et dans la prise de décision. Je fais confiance, c’est-à-dire que je laisse beaucoup d’autonomie à mes équipes. En revanche, s’il y a désaccord ou s’il y a besoin d’aide, je tranche. C’est un management qu’on pourrait qualifier de collaboratif. La diversité est un sujet qui a beaucoup d’importance pour moi, on travaille sur cela, le nombre de femmes managers a augmenté au PMU ces dernières années.

Une femme n’a pas à choisir entre vie de famille et carrière

Notamment parce que les collaborateurs bénéficient d’une flexibilité dans la réalisation de leur travail, avec une possibilité de télétravailler jusqu’à deux jours par semaine.

Que peut-on vous souhaiter dans les années qui viennent ?

Le poste de directrice générale me satisfait pleinement. Ce sont des mandats de quatre ans au PMU et je suis dans la deuxième partie de mon mandat. C’est également un mandat renouvelable, donc il est tout à fait possible que je sois encore à ce poste pour le centenaire de PMU en 2030. À plus long terme, moi ce que j’aime c’est le business. Donc ce n’est pas une grande surprise si je vous dis que j’espère que je continuerai à diriger des entreprises.

Emmanuelle Malecaze-Doublet, vice-présidente de l’AFJEL

 

La directrice générale du PMU a été nommée en mars à la vice-présidence de l’Association française des jeux en ligne (AFJEL), qui réunit les acteurs agréés du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne. « Je suis très heureuse et honorée d’avoir été́ élue viceprésidente. Aux côtés des membres de l’Association et du président, j’apporterai ma vision et mon énergie
sur les dossiers majeurs que sont la protection
des clients et notamment le jeu responsable ; ainsi que l’évolution et la concentration du marché́. Nous agirons également en faveur de
l’équilibre des filières et de la pérennisation de leur financement », avait-elle déclaré.

Et quand vous ne travaillez pas, comment occupez-vous votre temps libre ?

J’aimerais parier sur des courses… hélas, et pour des raisons évidentes, je n’en ai pas le droit ! J’aime souffler aussi, je fais du tennis et du footing les week-ends et je vois surtout mes amis. Comme je vous le disais aussi, j’ai la chance d’avoir une vie de famille bien remplie, un mari et trois enfants. En tout cas, ma conviction c’est que pour tout concilier et avoir du temps libre, il faut aimer ce qu’on fait et avoir une organisation sans faille.

Propos recueillis par Geoffrey Wetzel et Jean-Baptiste Leprince 

 

 

 

 

 

 

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