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Cette mayonnaise qui n’a pas pris
Mettre en relation cuisiniers amateurs et gastronomes pour partager un bon repas. Le concept de Cookening, imaginé par Cédric Giorgi, avait tout pour réussir. Et pourtant…
«L’aventure Cookening a été un succès et un échec », analyse Cédric Giorgi, 31 ans, qui a cédé son entreprise à VizEat en février 2015. Le concept a été un succès auprès du grand public. Près de 1000 repas ont été organisés depuis le lancement du site en mai 2013 et les notes de satisfaction des internautes ayant participé à un repas s’élèvent à une moyenne de 4,8/5. « La qualité était incontestable. En revanche, nous ne sommes pas parvenus à en faire le AirBnB des repas à la maison. L’entreprise aurait pu continuer avec un bon petit business mais nous n’avons pas réussi à développer des volumes importants », analyse le cofondateur. Car ce qui intéresse le jeune homme et le motive dans sa vie professionnelle, c’est le modèle start-up, avec toute l’adrénaline qui lui est associée. « Une start-up n’est pas une TPE, argumente Cédric Giorgi. Elle va dans l’inconnu et est en recherche permanente de nouveaux modèles économiques. » Et pour cela, il faut de l’argent. Un parcours du combattant qui a tourné court pour le dirigeant et ses deux associés.
Mauvais timing
Avec beaucoup de recul, le jeune entrepreneur a analysé son parcours et a clairement identifié les causes de l’échec, notamment lors des tentatives de levées de fonds. « Dès le lancement du site en mai 2013, nous prenons contact avec des fonds d’investissements parisiens et européens, se souvient Cédric Giorgi. Ce type de financeurs est privilégié car nous savions que le modèle était un pari. C’était quitte ou double : le business explosait ou pas. » Ingénieur de formation également doté d’un master en marketing et communication, Cédric Giorgi évolue depuis quelques années dans le milieu des start-up. Et forcément dans celui des fonds d’investissement. « Grâce à mon parcours personnel, de nombreux rendez-vous sont décrochés avec des fonds. C’est à ce moment que la frustration naît. Notre idée est sexy et séduit car elle s’inspire du modèle AirBnB qui cartonne. L’équipe, composée d’un technicien, d’un designer et d’un marketeur, rassure. Toutes les compétences sont internalisées. Le concept a été lancé et séduit le grand public. Les clignotants sont au vert. »
Pourtant, pas un sou ne sera levé. « Aucun fonds n’a souhaité investir. » Cédric Giorgi évoque une mauvaise gestion du timing. « La prise de contact s’est faite juste avant l’été. Beaucoup de fonds ont reporté les entretiens à septembre. C’était trop long pour nos situations personnelles. » Les trois associés qui ont investi quelques euros chacun et principalement leur temps et leur talent arrivaient en fin de droits à Pôle Emploi.
Autre écueil selon Cédric Giorgi, aujourd’hui salarié de l’entreprise Toulousaine Sigfox qui propose une connectivité cellulaire mondiale pour l’Internet des objets, « les erreurs d’exécution ». « Nous nous sommes beaucoup concentrés sur de potentiels partenariats qui n’ont jamais abouti alors que nous aurions dû nous occuper de multiplier les clients et d’être sur le terrain. Le manque d’efficacité a été évident. » Enfin, une donnée que les trois associés n’ont pas pu fournir aux investisseurs : la taille du marché. « Les financiers français ne sont pas câblés pour la prise de risque s’ils n’ont pas de renseignements sur la taille du marché, un facteur de succès déterminant pour ces partenaires. Nous n’avons pas réussi à qualifier ce potentiel et à les rassurer. »
Les 500 000 € d’amorçage, qui devaient appeler d’autres levées de fonds, n’ont jamais été récoltés.
Dire non aux BA
Les dirigeants revoient leurs prétentions à la baisse. « Nous nous orientons alors vers un amorçage classique pour 300000 €. » Même résultat.
Les discussions s’engagent ensuite avec des business angels en janvier 2014. « La meilleure décision que nous ayons prise a été de faire une pause dans nos recherches de financement, raconte Cédric Giorgi. Avec mes associés, nous avons analysé ce que nous demandaient les business angels qui avaient des objectifs bien différents de ceux des fonds d’investissement. Ils réclamaient de revoir notre business model pour parvenir à une rentabilité en six mois, que nous ne nous payions pas les six premiers mois et que nous passions ensuite au Smic. Nos situations personnelles, à Paris, ne nous permettaient pas d’accepter ce type de fonctionnement. Et puis lever 300000 euros n’était pas suffisant. Nous avons tout arrêté. » Les trois jeunes hommes passent en mode observation de la concurrence. Entre temps, le technicien quitte le projet. Les développements informatiques sont en berne. Rien ne semble bouger du côté du marché. « Les différentes options sont mises sur la table. La plus intéressante pour continuer d’animer la communauté et poursuivre les développements était de céder le site. » Le partenaire adéquat s’avère être VizEat, « qui a réussi à trouver des financements en Grande-Bretagne et qui a la même vision que la nôtre ». Cookening est cédée en février 2015.
Grand huit émotionnel
Aujourd’hui chargé d’animer l’écosystème des développeurs et des entrepreneurs autour de Sigfox, Cédric Giorgi a conservé son âme de start-upper. « Cette expérience de Cookening nous a permis, à mes associés et à moi, de rebondir pour intégrer les plus grandes start-up du moment. Après l’expérience Sigfox, c’est sûr, je créerai à nouveau une jeune pousse. Je le ferai quand ce sera le bon moment. »
L’occasion de revivre ce « grand huit émotionnel » qui ponctue la vie d’un entrepreneur, notamment lors de la cession de l’entreprise. « Certes, nous n’avons pas fait de Cookening le leader mondial que nous avions imaginé, mais elle a été vendue. L’histoire se finit bien. Nous avons fait notre chemin, et aussi notre deuil. Etonnamment plus rapidement que notre entourage, relate Cédric Giorgi. Il nous a fallu rassurer nos proches. » Une agilité d’esprit des plus prometteuses….
Stéphanie Polette