Temps de lecture estimé : 3 minutes
La foi à l’épreuve
Serial entrepreneur, Bertier Luyt a failli presque tout perdre… sauf peut-être sa soif d’aider les startuppers et sa ferveur intacte en l’entrepreneuriat. Témoignage.
L’appétence et l’intérêt pour les nouvelles technologies pourraient expliquer le parcours atypique de Bertier Luyt, un des précurseurs du mouvement des makers et de l’impression 3D en France. Une fois le bac obtenu, et une première expérience dans la musique, il entre chez Warner Chappell Music où il fait un début de carrière prometteur jusqu’à ce que la vague du MP3 et de Napster fasse tomber le géant de la musique et les autres. Une ubérisation avant l’heure ! Bertier s’installe alors en Bretagne et se recentre sur des projets personnels autour de la décoration et la menuiserie. Sa curiosité et sa maitrise des nouvelles technologies l’amènent vers la modélisation 3D, la programmation et la fabrication numérique. En 2010, Google l’invite au Colorado pour le SketchUp 3D Basecamp. C’est le seul Français. S’en suit une première conférence en tant que speaker “La modélisation 3D pour la fabrication numérique”. Bertier Luyt décide alors de faire traverser l’Atlantique à l’impression 3D. « En 2008, je crée mon entreprise dans la menuiserie et la construction de décors assistée par ordinateur. Fin 2011, avec le FabShop, un atelier de modélisation, de programmation et de fabrication numérique, je remporte le Coup de Coeur du Jury du concours de création d’entreprises innovantes Etonnants Créateurs, organisé par l’agglomération de Saint-Malo. Nous innovons dans le domaine des matériaux de fabrication avec la création du SeaWeed Filament, matériau d’impression 3D écologique à base d’algue; nous écrivons également des livres sur le sujet et nous fédérons les acteurs avec le FabClub et Maker Faire. Tous nos projets sont en effervescence. Jusqu’au coup d’arrêt de Makerbot, notre principal fournisseur, qui sera le début d’un cercle vicieux qui nous conduira à la liquidation judiciaire », témoigne l’entrepreneur.
Rebondir pour mieux accompagner
«Aujourd’hui, je suis chargé d’installer la marque Techstars en France et de l’ancrer dans le paysage de l’accompagnement de start-up à Paris. Après Londres et Berlin, notre arrivée à Paris, s’est faite avec la complicité de Partech Ventures. Notre programme est soutenu par Accorhotels, Air Liquide, FDJ, Groupama, Renault et RCI Banque, et Total. Notre mission consiste à recruter et à investir dans 10 start-up. Chaque année, 40 programmes Techstars sont déployés dans 15 pays. Si certaines antennes de Techstars se sont spécialisées comme Tel Aviv, New York et Londres sur le thème de la Fintech avec le concours de Barclays, ou Detroit sur le sujet de la mobilité, nous sélectionnons les start-up en mettant en perspective les enjeux technologiques et commerciaux de nos partenaires. Cette année, ce sont les données appliquées qui sont le sujet principal; l’exploitation des data dans le cadre industriel et commercial», résume Bertier Luyt sur sa nouvelle fonction de managing director France chez TechStars.
Self empowerment
Le serial entrepreneur a aujourd’hui fait choix de dorloter et tirer le meilleur des start-up plutôt que de partir dans une énième aventure entrepreneuriale. Le « Maker », fondateur notamment du Fabshop, de Maker Faire et de Batitrad.com, membre fondateur du Hub IA, fondateur des Digital Makers Meetup et de Art of Faire, aurait-il choisi le repos du guerrier pour un temps, en recherche du second souffle ?
Que nenni. Berthier Luyt, autodidacte de son état, a décidé de demeurer dans l’écosystème de l’entrepreneuriat en attendant que le vent tourne, ou plutôt qu’une décision de justice tombe… « J’ai toujours eu la liberté de faire ce dont j’avais envie au niveau professionnel. Je suis un partisan de l’empowerment, la prise de pouvoir; et cela commence par soi-même. Mais pour moi aujourd’hui, il semble difficile de se projeter loin en tant qu’entrepreneur, j’attends la fin de la procédure de liquidation », précise le directeur de Techstars Paris.
Des procédures non taillées pour les start-up
« La procédure de redressement est un moment particulier que je ne souhaite à personne. L’ensemble des acteurs jouent un jeu dont personne ne vous explique tout à fait les règles, c’est très dur à gérer », se remémore le serial entrepreneur. Entraîné par les difficultés de son principal fournisseur en 2014, le Fabshop affiche des pertes de près de 800000 euros, impossible à refinancer en 2015. La confiance des investisseurs du secteur de l’impression 3D a été ébranlée par les difficultés du numéro un.. Et sans trésorerie, il devient vite impossible pour la start-up de trouver de nouveaux fournisseurs ou de financer un plan de licenciement… S’en suit, le redressement, puis la liquidation, et le licenciement des 13 salariés. Tiercé infernal.
Bertier Luyt ajoute : « Les jeunes entreprises en forte croissance devraient bénéficier de procédures exceptionnelles. De la même manière qu’elles recrutent vite pour faire face à la demande, elles devraient pouvoir licencier rapidement avec des mécanismes simplifiés, au moins dans les cinq premières années de leur existence. Après l’épisode vécu, je réalise que le cadre légal nécessite encore des ajustements. Pensez dans mon cas, qu’il s’agissait de la première start-up à laquelle avait affaire le tribunal de commerce de Saint-Malo… Les mentalités ont beaucoup progressé, le financement également. Peut-être que la prochaine étape est celle de penser la modernisation, des procédures pour que les sorties de routes soient moins stigmatisées et pénalisantes pour les jeunes entrepreneures. »
Un fossé entre les Etats-Unis et la France sur le sujet des start-up
Le parcours du Maker lui donne raison. Notamment sur le fossé qui sépare la mentalité anglo-saxonne de la pensée française. « Steve Blank, serial entrepreneur et professeur à Stanford, m’a dit récemment qu’à San Francisco, une liquidation c’est “de l’expérience”. Pourtant en 2016, j’ai eu l’impression d’être excommunié quand cela est arrivé », note Bertier Luyt. Cet échec entrepreneurial l’a d’abord poussé à retourner aux Etats-Unis pour se ressourcer. «Avec mon parcours et ma manière de penser, j’estimais que j’aurai plus de chance de retrouver un projet aux Etats-Unis. D’ailleurs, cet emploi chez Techstars, je le dois à une proposition de Jenny Lawton, COO de Techstars qui me suivait depuis l’époque du Fabshop. Ma résilience je la dois aussi à la mère de mes enfants, à mon entourage, ma famille, mes amis et aussi à certains entrepreneurs français tels que Raphaël Gorget, Bruno Bouygues ou encore à des investisseurs tels que Yanai Zaicik qui m’ont suivi dans la tourmente, m’ont conseillé, recommandé et soutenu », détaille Bertier Luyt qui met la solitude du startupper comme l’un des principaux pièges à éviter : « Mon expérience me permet aujourd’hui d’accompagner les start-up. Mon premier conseil est un lieu commun. Etre entrepreneur, c’est être seul face à ses responsabilités et ses choix. Il faut savoir parler de ses difficultés et s’entourer le mieux possible dans les vies professionnelle et personnelle. »
Geoffroy Framery