Temps de lecture estimé : 3 minutes
Les résultats du premier tour vont-ils inciter les patrons à sortir de leur réserve ou choisiront-ils au contraire un pragmatisme de bon aloi ? Analyse.
Attention, terrain glissant ! Alors que la France est en pleine ébullition, les chefs d’entreprises se retrouvent face à un dilemme. Prendre position ou pas ? Adopter une approche constructive vis-à-vis du RN ou s’opposer publiquement à ce parti ? Les patrons, pragmatiques par nature, marchent sur des œufs. Et tentent de ne pas insulter l’avenir… Quel qu’il soit.
Le sens politique du patronat français n’a jamais été très développé. Le Général de Gaulle ne s’était d’ailleurs pas privé de le rappeler au gratin de la finance, lors d’une rencontre après la Libération : « Je n’ai vu aucun de vous, Messieurs, à Londres. » De quoi refroidir l’atmosphère dans la pièce. Souvenir aussi des cris d’orfraie qu’on poussait dans les hautes sphères économiques en 1981, à l’arrivée au pouvoir des socialistes. Certains évoquaient jusqu’aux chars de l’Armée rouge, alors censés débouler sur la place de la Concorde.
Si quelques-uns, comme Charles Gave, eurent le courage de leurs idées libérales et prirent la décision de quitter le pays pour s’installer à Londres – là encore un Charles, là encore Londres, mais cela n’avait rien à voir – la plupart des grands patrons finirent par s’acoquiner avec ces socialistes finalement moins dogmatiques qu’ils en avaient l’air. Quelques mois plus tard, tout ce beau monde se disait « tu » dans les dîners en ville. Et chacun mettait beaucoup d’eau dans son vin.
Le patronat observe le RN avec une cordialité interrogative
Ainsi le RN, encore boycotté il y a quelques années, est-il désormais admis par le Medef. Lors du récent grand oral des organisations patronales, le 20 juin dernier, Jordan Bardella, flanqué d’Éric Ciotti, a ainsi été accueilli dans une atmosphère cordiale, presque sympathique… Bien qu’assez interrogative. Le jeune leader n’a toutefois pas eu droit aux quelques huées réprobatrices, désormais réservées aux représentants de la gauche version « Nouveau Front populaire », qui effraie bien davantage les milieux économiques.
Notons tout de même que la prestation de Bruno Le Maire fut de loin la plus chaleureusement applaudie, dans une espèce atmosphère d’adieu. Le Medef doit en effet se préparer à dire au revoir à un locataire de Bercy particulièrement proche de ses vues. Certes, il y a le déficit public (3 000 milliards d’euros) mais cette tâche noire dans le bilan de « BLM » n’a jamais inquiété un patronat finalement peu préoccupé par l’état des comptes de la Nation.
Ainsi, rares sont les grandes entreprises à prendre publiquement position contre le RN. Moins rares sont celles qui font passer des messages cryptés voire nébuleux, appelant à rejeter « les extrêmes », selon la nouvelle nomenclature en vogue… Assez pratique pour ne pas trop se mouiller. Ainsi, le groupe Mulliez (Auchan, Decathlon, Leroy Merlin) appelle-t-il à soutenir « des candidats qui portent des messages de confiance, de coopération et de responsabilité. » Le Centre des jeunes dirigeants tient à rappeler ses valeurs, comme un signe de défiance : « Responsabilité, dignité humaine, solidarité et loyauté ».
La crainte d’un retour de boomerang ?
« Appeler au barrage contre le Rassemblement national ? Ce n’est pas le rôle d’une organisation comme la nôtre ! », précise la CPME à Alternatives économiques. Le syndicat des PME, à l’instar d’autres grands groupes du CAC 40, estime en effet que s’opposer publiquement au RN pourrait leur revenir en boomerang et alimenter le sentiment de déconnexion entre le peuple et ses élites.
Sur France Culture, Jean-Marc Vittori, éditorialiste aux Échos, donne une autre lecture… Peut-être plus pertinente encore : « Les entreprises sont très liées aux pouvoirs publics et savent que ces partis sont aux portes du pouvoir et qu’elles ont intérêt à tempérer la situation afin de favoriser la mise en place de politiques économiques qui leur soit profitable. » En France, pays de l’aide publique aux entreprises, il ne fait pas bon s’opposer trop frontalement au pouvoir en place… Cela illustre finalement un rapport assez pervers, proche de la dépendance, entre le gouvernement et les entreprises.
Chez les patrons, le vote RN est égal voire supérieur à sa moyenne nationale
Longtemps synonyme de déclassement social – sauf dans le Sud de la France où il est historiquement bien implanté chez les entrepreneurs – le vote RN séduit désormais une part importante du patronat. Un récent sondage réalisé par l’Ifop pour LCI évalue ainsi à 41 % les intentions de vote pour le RN chez les chefs d’entreprise. Les petits patrons de Province sont particulièrement réceptifs au discours du parti.
« Quand ils entendent Bruno Le Maire dire qu’il a sauvé l’économie, nos adhérents ne comprennent pas, parce que c’est loin de ce qu’ils ressentent », réagit auprès du Figaro Marc Sanchez, du Syndicat des indépendants. Désabusés, ces petits patrons font le choix du RN en se disant qu’il n’y a rien à perdre et que « de toute façon, cela ne peut pas être pire. »
Les patrons, petits ou grands, semblent ainsi ne pas trop s’inquiéter des positions en zig-zag du RN, qui entretient un grand flou programmatique. Comme nous le disait récemment un décideur de premier plan : « Oui, ils ne connaissent rien à l’économie… Mais on va leur apprendre ! ». Et de citer l’exemple d’une Giorgia Meloni ayant fait sa mue, aujourd’hui au diapason des milieux économiques.