Quelle relation entre les entreprises et le gouvernement pour réduire les émissions de CO2 ?
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Temps de lecture estimé : 3 minutes

Une analyse signée Bruno Biais et Augustin Landier, professeurs à HEC. Et publiée par The Conversation.

Pour éviter un réchauffement climatique aux conséquences catastrophiques, nous devons absolument réduire nos émissions de dioxyde de carbone (CO2). Hélas, entreprises et gouvernements peinent jusqu’à présent à s’engager dans un plan d’action pour y parvenir. L’une des raisons vient de ce que les économistes nomment les externalités. Réduire ses propres émissions de CO2 c’est créer une externalité positive, bénéfique pour tous, mais individuellement coûteuse.

Or, encourager les entreprises à réduire leurs profits dans le but de fournir des externalités positives est un véritable défi. Il est probable que de nombreuses entreprises ne s’y résoudront pas sans des pressions de la part du gouvernement.

On pourrait croire le gouvernement capable de régler simplement cette situation en imposant des restrictions fermes sur les émissions de carbone des entreprises.

Dans la réalité, le gouvernement est lui-même contraint. Dans sa décision, l’acteur politique doit intégrer l’impact des régulations sur l’économie, en particulier l’emploi, ainsi que l’opposition politique des acteurs économiques touchés par la régulation.

Cruel dilemme

À cela s’ajoute une seconde difficulté. Si les organismes de régulation ont la capacité de mesurer les émissions de CO2 des entreprises, il ne s’agit là que du résultat final. Il est bien plus difficile de mesurer les investissements effectifs dans les technologies vertes, car du temps est nécessaire entre la dépense d’investissement et le moment où elle débouche sur des innovations pertinentes et une réduction des émissions.

Il est peu probable que l’intervention du secteur public se substitue entièrement au manque d’action des sociétés privées. Et il est également peu probable que les initiatives du secteur privé suffiront sans action volontaire des pouvoirs publics. Il s’agit là d’un sérieux dilemme, créant un risque réel que les investissements dans les technologies vertes, et la réduction des émissions s’avèrent in fine insuffisants. Il est donc nécessaire de trouver une articulation efficiente entre les actions des gouvernements et des entreprises.

Pour étudier ce problème, nous avons développé un modèle analytique. Celui-ci propose des trajectoires possibles pour une réduction des émissions de CO2.

Deux façons d’être pragmatique

Les gouvernements sont pragmatiques. Leurs actions à long terme s’appuient sur une anticipation réaliste. Mais ce qui est estimé comme un avenir réaliste dépend, en retour, des décisions que prennent les entreprises aujourd’hui. Les entreprises, elles aussi, sont pragmatiques, mais d’une manière différente. Les décisions qu’elles prennent aujourd’hui s’appuient sur ce qu’elles pensent voir se produire à l’avenir. Or, ce qui se produit finalement dépend dans une large mesure des choix d’investissements technologiques qui ont été faits. C’est la situation de l’œuf et de la poule.

Notre analyse révèle qu’en ce qui concerne les investissements et les innovations nécessaires pour réduire nos émissions de CO2, le futur tel que les entreprises l’imaginent contribue à façonner le futur réel. Si les entreprises anticipent des régulations contraignantes dans un avenir plus ou moins proche, elles préfèrent investir dès aujourd’hui dans des technologies vertes, afin d’être mieux préparées à ce qui les attend. Or, ces investissements, en particulier en R&D, permettent des innovations et une amélioration de l’efficacité des technologies vertes, qui peuvent profiter à toutes les entreprises, y compris celles qui n’ont pas investi initialement.

Créer une complémentarité stratégique

En conséquence, la décision des entreprises qui investissent en amont dans les technologies vertes peut changer l’avenir pour tout le monde, y compris pour les sociétés qui n’ont pas pris ce même engagement. En effet, si les technologies vertes deviennent moins chères et plus efficaces, il devient plus facile pour le gouvernement d’imposer une réduction des émissions sans craindre de mettre les entreprises trop en difficulté.

Mais on peut aussi imaginer un scénario tout différent dans lequel les entreprises ne s’attendent pas à se voir imposer des restrictions d’émissions de CO2. Elles n’ont dans ce cas que peu d’incitations à réduire rapidement leurs émissions en investissant dans les technologies vertes. Le gouvernement se retrouve alors en situation difficile, car s’il impose des restrictions trop difficiles à tenir et trop coûteuses pour les entreprises, cela entraîne une chute de l’activité économique et de l’emploi.

Il est donc nécessaire, pour réduire les émissions, que les entreprises investissent rapidement dans les technologies vertes et que le gouvernement impose des restrictions. Il s’agit de ce que les économistes appellent une situation de « complémentarité stratégique », dans laquelle les stratégies des acteurs (en l’occurrence privés et public) se renforcent mutuellement pour créer un cercle vertueux.

Une régulation auto-réalisatrice ?

Qu’est-ce qui fera pencher la balance en faveur du cercle vertueux plutôt qu’en faveur du cercle vicieux ? Un gouvernement faisant preuve d’une véritable détermination politique jouerait un rôle important dans cette situation, mais les acteurs financiers, eux aussi, pourraient contribuer à orienter l’équilibre dans le bon sens. Le problème des externalités est que chaque acteur est petit par rapport au système global, et n’est pas incité à agir quand ses actions n’ont qu’un effet négligeable. Mais il existe aujourd’hui des institutions ou groupes d’institutions de taille vraiment conséquente, dont les actions ont un effet non négligeable sur le système global.

C’est le cas des très grands fonds d’investissement, comme Blackrock, qui possède plus de 5 % des actions de nombreuses très grandes entreprises (comme Apple, Visa, Exxon, Procter & Gamble ou Tesla). Si les entreprises dans lesquelles un très grand fonds d’investissement détient des parts significatives se lancent dans une politique d’investissement dans les technologies vertes, cela peut avoir un effet positif non négligeable sur l’innovation dans ces technologies. Des retombées positives sur toutes les entreprises sont alors hautement probables.

Si l’amélioration correspondante des technologies vertes est suffisamment forte, elle peut réduire significativement le coût économique et social d’une régulation imposant une réduction des émissions de CO2. Cela peut permettre de pencher vers l’équilibre vertueux, dans lequel l’anticipation d’une régulation visant à réduire les émissions devient auto-réalisatrice.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence creative commons. Lire larticle original.

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