Télétravail : la norme de demain ?

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Sans doute l’un des effets structurels majeurs de la crise covid-19, le travail depuis son domicile. « Très fortement recommandé pour celles et ceux qui le peuvent », le télétravail a d’abord été mis en place de manière verticale, comme imposé aux salarié·es. Et puis, il a fallu penser à l’après 11 mai. Confinement levé, difficile pour nombre de Français·es de retrouver le chemin du bureau. Non plus une imposition, mais une option – parmi d’autres – de travailler. Une pratique partie pour durer ? Un vrai progrès ? Décryptage avec les analyses de Véronique Marimon, Chief of Staff de Salesforce France, et Danièle Linhart, sociologue du travail et directrice de recherche au CNRS.

Non, le télétravail ne rime plus avec jour de repos déguisé. À l’ère Sars-CoV-2, travailler depuis chez soi est devenu tendance. Au point que 73 % des collaborateur·trices qui l’ont pratiqué durant le confinement souhaitent le poursuivre (enquête Malakoff Humanis). Soit de façon régulière (32 %), soit ponctuellement (41 %). A priori, les salarié·es se sont montré·es réceptif·ives au télétravail. Un constat partagé par Véronique Marimon, qui via son expérience chez Salesforce, assure que « le travail à distance deviendra la norme pour les salarié·es français·es ». Alors le télétravail, en voie de généralisation ? Attention à la surinterprétation de certains chiffres. Des salarié·es réceptif·ives certes, des salarié·es angoissé·es par le contexte sanitaire, surtout. Pour la sociologue Danièle Linhart, répondre favorablement à la poursuite du télétravail en période de pandémie signifie aussi « pouvoir rester chez soi, se protéger, ne pas affronter l’angoisse du monde extérieur et ainsi diminuer le risque de contamination », relativise-t-elle. Pas sûr qu’un sondage de ce type dans un an ou deux ne débouche sur les mêmes résultats.

Télétravail, plus d’autonomie ?

Qui n’a jamais rêvé de travailler en jogging ? Le télétravail a sans doute permis aux commuters – habitants de la couronne périurbaine – une plus grande liberté et une plus grande souplesse dans la façon de travailler. Dans leur organisation, « les salarié·es peuvent travailler le matin, le midi ou le soir, peu importe, tant que les objectifs restent atteints », souligne Véronique Marimon, qui avoue s’être mise à la marche : « Désormais, je me réserve au moins une conférence téléphonique en marchant, le télétravail participe à ce que chacun.e trouve son équilibre », se réjouit-elle. Danièle Linhart concède que le télétravail offre aux travailleur.euses une meilleure autonomie sur tout ce qui relève du périphérique, « les horaires travaillés, la façon de s’habiller ou l’apparence », mais en aucun cas le télétravail ne change quoi que ce soit au « contenu, les objectifs s’avèrent fixés à l’avance […] les cadres restent confronté·es à la nécessité de travailler selon des procédés imposés, la prescription du travail ne change pas », défend-elle. En bref, le télétravail facilite le confort périphérique pour atteindre des objectifs, qui eux, ne diffèrent pas, que l’on soit chez soi ou au bureau.
Au-delà de l’autonomie, pour laisser ses salarié·es travailler depuis chez eux.elles, la relation entre les collaborateur·trices doit reposer sur la confiance, « le télétravail a développé de façon importante la notion de confiance. Les collaborateur·trices ne travaillent plus à côté les un·es des autres, il y a une forme de lâcher prise », avance Marimon. Finie l’époque du flicage et du contrôle accru de ses salarié·es ? Place à la confiance ?

Un lien social menacé ?

L’une des principales controverses du télétravail tient à ce lien social. Exit les pauses-café/cigarette, les apartés entre collègues, les discussions… Le télétravail menacerait-il la qualité de nos relations professionnelles ? Sans aucun doute pour la directrice de recherche au CNRS, Danièle Linhart : « Si le télétravail devient un mode permanent, on court le risque que le travail perde toute sa dimension socialisatrice pour aboutir à une forme de déréalité », s’inquiète-t-elle. La vision du travail comme intégrateur social par excellence pâtirait d’une généralisation d’un labeur à domicile.

Pourtant, dans un monde rythmé par l’effervescence des nouvelles technologies, rien de plus simple aujourd’hui que de s’appeler, se voir et travailler à distance. Véronique Marimon encense l’essor de ces outils numériques qui autorisent « un processus d’intégration et d’accueil aussi efficace en virtuel qu’en présentiel ». Elle nous confie que Salesforce a continué à recruter des salarié·es qui n’ont – encore aujourd’hui – jamais vu les bureaux de l’entreprise. Bien sûr, chaque entreprise qui prône le télétravail doit faire en sorte que ses employé.es puissent en profiter : d’où la nécessité de les équiper en matériel informatique, accessoires, etc. Une fois l’obstacle pratique dépassé, le télétravail a tout pour réussir. Malgré tout, Marimon s’accorde pour louer les bienfaits des retrouvailles au bureau qui, en raison de leur rareté, aboutiront à de réels moments « d’échanges, d’intelligence collective et émotionnelle, de mise en commun de projets et de brainstorming enrichissant », davantage bénéfique que d’aller au bureau chaque jour « et rester assis·e devant son écran seul·e toute la journée. Autant travailler depuis chez soi pour éviter la pénibilité des transports en commun », argumente-t-elle.

Mais le virtuel peut-il vraiment remplacer le réel ? Bien sûr, les outils numériques n’ont jamais été aussi performants, mais ils induisent des comportements en décalage avec le réel : « Les réunions virtuelles ne se déroulent pas de la même manière. En présentiel, quand vous parlez, vous percevez mieux si vous êtes compris·e ou non, vous pouvez ajuster votre propos. Le virtuel laisse moins de place à la prise de parole spontanée, tout demeure beaucoup plus formel, vous parlez avec plus de prudence de peur qu’on ne vous comprenne pas », énumère Danièle Linhart, qui s’inquiète aussi d’une « moindre créativité à distance, puisque orpheline de l’effet de groupe ». Gare également à ce que le virtuel n’augmente pas la perte de finalité et de sens que l’on attribue à son travail, ce sentiment de ne plus pouvoir peser sur les tâches qu’on applique mécaniquement sur des logiciels et ainsi tomber dans les travers de l’abstraction du travail. Un phénomène redouté par la sociologue, auteure de Travailler sans les autres. Elle rappelle que nous devons « travailler avec autrui pour autrui et non tout seul pour soi ».

Bien s’organiser pour éviter le surmenage

Le télétravail s’avère d’autant plus utile, efficace et confortable, que l’environnement se montre propice à y recourir. Organiser chez soi un espace de travail, et surtout éviter que la frontière travail-vie privée ne s’amincisse. Début du surmenage. Véronique Marimon veut à tout prix l’éviter. D’où, chez Salesforce, l’organisation de « sessions où les salarié·es sont invité·es à s’interroger sur leur bien-être. On leur recommande des plages horaires de repos, parfois des professeur·es de yoga ou des psychologues interviennent et chacun·e peut réfléchir à son état ».

Pourtant, il n’est pas sûr du tout que le risque de burn-out, dépression fourre-tout, soit plus élevé en télétravail qu’au bureau. Pour la chercheuse, « attention à ne pas sous-estimer le burn-out sur le lieu de travail, c’est-à-dire au bureau. Existent aussi des risques psychosociaux et des addictions qui se développent pour pouvoir tenir au travail et parvenir à se concentrer », estime Linhart. Mais après, oui le travail, pour beaucoup, reste un moyen d’évasion, « on se jette dans le travail pour oublier tout ce qu’il y a autour, notre environnement », se couper de notre vie privée et de notre quotidien. Le télétravail pourrait rendre plus difficile cette « déconnexion entre travail et sphère privée », rapporte Danièle Linhart.

Alors, oui, dans une société post-covid – ou prédeuxième vague –, le télétravail voit s’ouvrir un boulevard devant lui pour s’ancrer dans la vie des salarié·es. D’un certain nombre en tout cas. Car travailler depuis chez soi ne peut concerner tout le monde, nous l’avons constaté au plus fort de la pandémie avec les professions « premières de cordée ». Le télétravail, une affaire de cadres ? Avant tout, oui. Difficile de le nier, mais là où certain·es salarié·es vont accomplir l’ensemble de leur activité en télétravail, d’autres pourraient tout à fait y recourir très partiellement. « Des gens qui doivent nécessairement assurer des déplacements physiques chez leurs clients pourraient établir leurs comptes rendus en télétravail », imagine Véronique Marimon. Le télétravail prendra de plus en plus de place dans nos vies… pour le meilleur comme pour le pire.

Geoffrey Wetzel

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