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Cherche… modèle
La France est l’un des pays d’Europe où le nombre d’incubateurs et d’accélérateurs, ces structures destinées à aider les start-up à se développer, est le plus nombreux. Ces structures se livrent donc à une guerre féroce pour attirer les meilleures équipes et les meilleurs projets. Pour générer des revenus, ils n’hésitent pas à diversifier leurs activités, par exemple en conseillant de grands groupes sur leur transformation numérique, en proposant des formations ou des espaces de coworking.
Plus de 3 000 stations de travail, un fablab, des magasins éphémères, un auditorium, un bar, un café et un restaurant ont remplacé les cinq voies ferrées qui courraient sous les trois nefs de ce bâtiment long de 310 mètres. Les ouvriers qui ont arpenté le lieu depuis la fin des années 1920 auraient bien du mal à reconnaître la halle Freyssinet, ce vaste bâtiment ferroviaire érigé dans le 13ème arrondissement de Paris. Station F, le plus grand incubateur de start-up numériques au monde, occupe en effet depuis juillet 2017 ses 34 000 mètres carrés. Avec le fonds d’investissements Kima Ventures et l’Ecole 42, Station F est la troisième initiative majeure de Xavier Niel pour soutenir l’innovation en France.
Mais ce n’est pas le seul lieu destiné à accueillir, couver et porter des start-up dans l’Hexagone. Une multitude d’incubateurs ont vu le jour un peu partout sur le territoire ces dernières années. Selon une étude de l’accélérateur Keirus, il y avait en France, en 2016, 233 incubateurs et 51 accélérateurs. Ces structures mettent généralement à disposition des start-up un support technique, administratif et légal, des séances de formation et de coaching, ainsi que des locaux. Elles peuvent aussi les aider à lever des fonds ou à accéder à des partenaires industriels. “L’engouement croissant pour l’innovation et la création d’entreprises explique la multiplication des incubateurs et accélérateurs. Mais le nombre de jeunes pousses est finalement assez réduit, ce qui rend la concurrence très vive entre ces structures d’accompagnement pour attirer les bons projets”, souligne Etienne Krieger, directeur scientifique du Centre d’Entrepreneuriat d’HEC Paris.
Pour se distinguer, les incubateurs soignent donc leur proximité avec les laboratoires de recherche et les investisseurs potentiels. Ils nouent parfois des partenariats industriels et commerciaux, mettent en avant les références des start-up qu’ils ont accompagnées et les levées de fonds réussies. La qualité de l’équipe d’animation et des mentors mis à disposition des entrepreneurs est souvent un argument mis en avant. Certaines structures avancent des fonds pour financer des études ou le dépôt de brevets. “Le bouche à oreille fonctionne souvent très bien entre les entrepreneurs et cela leur permet de postuler auprès des structures les plus adaptées à leur profil”, remarques Etienne Krieger.
Structures spécialisées
Pour se démarquer, certains incubateurs se sont aussi positionnés sur des thématiques précises. C’est par exemple le cas de Creatis, dans les médias et la culture et La Ruche, dans l’économie sociale et solidaire. A Montpellier, BIC réunit trois incubateurs en un : Cap Omega, dédié aux TIC, Cap Alpha, pour les biotechs et les cleantechs, et MIBI, pour l’international. 33 Entrepreneurs, qui a commencé comme un spécialiste du vin, du tourisme et de l’alimentation, accompagne aussi désormais les entrepreneurs de la mobilité, de l’énergie, de la fintech et du luxe. “Les incubateurs privés cherchent à identifier les pépites de demain, à l’instar d’Airbnb et de Dropbox, qui ont bâti la réputation de l’accélérateur Y Combinator dans la Silicon Valley et que beaucoup d’acteurs cherchent à imiter dans le monde”, explique Etienne Krieger.
Soutien de l’Etat
L’Etat soutient activement le développement de ces structures d’accompagnement. Il a par exemple créé en 2014 le fonds French Tech Accélération, qui vise à favoriser l’émergence d’accélérateurs privés en France. Doté de 200 millions d’euros, il est géré par BPI France dans le cadre du Programme d’Investissements d’Avenir. fin 2017, il a déjà investi plusieurs dizaines de millions d’euros pour soutenir une douzaine de projets. Parmi eux Alacrité, à Lille, est doté de 8,5 millions d’euros et spécialisé dans l’accompagnement de projets dans les secteurs des services numériques et des télécommunications à fort contenu logiciel portés par des étudiants ou de jeunes diplômés. French Tech Accélération a aussi participé à des levées de fonds pour Axéléo, Usine IO, West Web Valley ou encore les fonds d’investissement Breega, New Alpha et Hardware Club. Il a aussi investi 6,8 millions de dollars dans The Refiners, un accélérateur créé en 2016 à San Francisco pour accompagner les entrepreneurs étrangers qui veulent s’internationaliser.
Dès 1999, la loi Allègre de 1999 sur la recherche et l’innovation a donné naissance à plusieurs incubateurs publics, comme IncubAlliance, sur le plateau de Saclay, SEMIA en Alsace, AVRUL dans le Limousin, ou encore de Normandie Incubation. “Les incubateurs publics cherchent à favoriser les transferts de technologies issues de la recherche publique via la création d’entreprises innovantes”, explique Etienne Krieger.
Modèle économique
Mais peu d’incubateurs et d’accélérateurs se contentent des revenus de leur activité principale. “Les statistiques de retour sur investissement dans les start-up ne sont pas bons. Une étude américaine de la Kauffman Foundation a montré que dans le meilleur des cas, cela ne rapporte rien”, explique Fabrice Cavarretta, professeur associé au département management de l’Essec, auteur de l’ouvrage Oui, la France est un paradis pour les entrepreneurs (Plon). “L’essentiel des charges de fonctionnement des incubateurs publics est financé par des subventions et par le remboursement à terme des frais d’incubation des start-up qui se sont développées avec succès. Les incubateurs privés tentent souvent de vivre de la participation au capital des start-up accompagnées. Quant aux incubateurs des écoles et des universités, ils sont développés sur les fonds propres des structures concernées et bénéficient parfois de subventions publiques. Mais en règle générale, aucune de ces structures n’est “rentable” et l’équilibre économique n’est assuré que grâce à des subventions ou d’autres dotations financières”, remarque Etienne Krieger.
Les incubateurs doivent donc faire preuve de créativité dans leur modèle économique. Outre sa formule d’accompagnement, facturée de 350 euros à 650 euros par mois, Creatis propose par exemple des espaces de coworking. Paris & Co, de son côté, propose plusieurs services différents : incubation (dont le service est facturé 12 000 euros par an aux start-up), aide à l’implantation en France de start-up étrangères, mise en relation entre jeunes pousses et grands groupes, organisation d’événements. Numa propose trois offres différentes : un accélérateur où il prend une participation au capital des start-up accompagnées (voir lexique), avec l’espoir de réaliser à terme une plus-value ; des programmes d’open innovation, d’intrapreneuriat, et des formations à destination des grands groupes et des institutions ; l’organisation d’événements sur le numérique pour des tiers (1 000 par an). “Il y a tellement d’argent sur les marchés et les grands groupes sont tellement en quête d’innovations qu’ils n’hésitent pas à financer ces structures, qui leur servent de tamis pour identifier les meilleurs projets”, remarque Fabrice Cavarretta.
Liens avec les entreprises
Pour diversifier leurs sources de revenus, certains incubateurs nouent aussi des passerelles avec les grandes entreprises. Certains leur proposent par exemple de co-créer un incubateur thématique. Creatis a par exemple annoncé la création d’un incubateur pour le Centre des monuments nationaux en décembre 2017. Il prévoit d’accueillir en mai prochain une première promotion de cinq start-up, pour une durée d’un an. En 2016, Numa s’était associé à Unibail-Rodamco, foncière spécialisée dans la gestion de centres commerciaux (dont le Carrousel du Louvre, le Forum des Halles, les 4 Temps ou le Palais des Congrès de Paris) pour créer un incubateur-accélérateur destiné à accueillir des start-up dont l’objet serait de “révolutionner le retail”. Baptisé UR Link, il a déjà accompagné une vingtaine de jeunes pousses, dont Jam (chatbot), Deliver.ee (livraison), Amano (relation clients sur mobile), ou encore Dress in the city (vide dressing en ligne). En juillet 2016, The Family a créé le start-up studio Pathfinder, “qui lance des start-up financées par des grands groupes”.
Concurrence et attractivité
Les incubateurs d’écoles
Selon une étude de la Conférence des grandes écoles et du groupe Caisse des Dépôts dévoilée en avril 2017, 5,3 % des étudiants en sortie de cursus créent leur entreprise. Pour accompagner les projets de leurs diplômés et améliorer leur attractivité auprès des candidats, nombre d’universités et de grandes écoles ont aussi créé leur propre incubateur. C’est par exemple le cas d’Essec Venture, IncubateurHEC, Blue Factory de l’ESCP Europe, Edhec Young Entrepreneurs (EYE), EM Lyon Incubateur, TBSeeds de Toulouse Business School ou encore Symbios, d’Audience Group et de l’Ecole Centrale de Nantes. Certains sont regroupés au sein du réseau Incubateurs de l’Enseignement Supérieur (IES!). “Les enjeux des incubateurs des écoles et des universités sont d’accompagner au mieux la demande croissante des étudiants qui souhaitent, pendant ou directement après leur cursus, de créer leur propre entreprise”, explique Etienne Krieger, directeur scientifique du Centre d’Entrepreneuriat d’HEC Paris.
Lexique
Incubateur : Un Incubateur d’entreprises est une structure d’accompagnement de projets de création d’entreprise. Il peut apporter un appui (hébergement, conseil, financement) lors des premières étapes de la vie de l’entreprise. Il existe des incubateurs publics et privés.
Accélérateur : Les accélérateurs sont un modèle d’incubateur de démarrage à but lucratif, avec un système de candidatures ouvertes. Ils proposent des aides au lancement (hébergement, coaching, mentorat, logiciels informatiques) pour une période donnée (généralement quelques mois) en échange de parts au capital de la start-up. Le premier accélérateur, baptisé Y Combinator, a été lancé dans la Silicon Valley en 2005 par Paul Graham. Il a notamment accompagné Dropbox et Airbnb. Ce modèle a été imité par TechStars en 2006, puis par Seedcamp en 2007. En France, ce modèle a notamment été adopté par Numa, The Family et 50 Partners.
Aymeric Marolleau