Temps de lecture estimé : 4 minutes
« Probablement plus qu’à aucun autre moment de notre histoire, l’innovation a le potentiel de modifier profondément les activités bancaires. » Mâle affirmation du patron des banquiers, François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, en décembre 2019 à Paris. Oui, la banque vit l’une des plus grandes mutations de son incroyable histoire. Plongée dans les révolutions du monde feutré de la finance.
Emblématique : dès cette année, Google va sans doute proposer des comptes bancaires aux États-Unis en partenariat avec la banque Citigroup et la coopérative de crédit de l’Université de Stanford. Le G de GAFAM, a priori étranger au monde bancaire, disrupte déjà les forteresses bancaires en s’assurant le concours de premières enseignes résignées ! Plusieurs autres banques devraient rejoindre la liste des partenaires. Pourquoi ces rapprochements ? Par intérêt bien compris. À travers une telle alliance, les deux premières banques vont apporter leurs technologies et collecter les flux des canaux du géant via un portefeuille électronique. Quant à Google, il va s’alléger de la complexité réglementaire et bénéficier de données financières précieuses qu’il n’avait pas la possibilité jusqu’alors d’exploite r. Google, outre nos habitudes de navigation, nos localisations, la connaissance de nos messages… va savoir pourquoi et de quelle manière nous dépensons. Ses publicités d’offres et de produits dédiés vont atteindre es milliards de cibles. Facebook, Amazon… ou encore les BATX chinois vont à leur tour intensifier leurs partenariats avec des banques pour inventer de nouveaux services. Le secteur bancaire ne fait que commencer à se transformer avec ces partenariats inédits et… dangereux.
« On ne peut nier qu’aujourd’hui, le “centre de gravité” des paiements se déplace vers ces nouveaux acteurs, en particulier les bigtechs. Ce déplacement pose un défi au modèle économique des banques, mais pourrait également menacer la souveraineté européenne dans la mesure où les infrastructures, les connaissances et les technologies sous-jacentes seraient détenues en grande partie par des sociétés non européennes. » Il est re que le gouverneur de la Banque de France se montre aussi direct dans ses propos alarmistes. Et d’autres défis pour les banques vont bouleverser rapidement ce monde jusqu’alors peu habitué aux mutations rapides.
1. Les robots accélèrent la mutation
Les intelligences artificielles ont intégré les salles de marché. Elles se propagent désormais dans toutes les strates de l’univers bancaire. Dans les agences bancaires, comme au Crédit Agricole de Toulouse, elles accueillent déjà les clients. Elles sont dans les smartphones ou au sein des ordinateurs… pour accompagner les salariés et clients dans leurs tâches quotidiennes. Invisibles, elles gèrent les bâtiments… La puissance de tels outils va forcément rebattre les cartes au profit de ceux qui sauront les maîtriser de bout en bout. BNP Paribas a pris conscience de l’enjeu. La banque va créer son propre cloud avec IBM, tout comme le groupe Crédit Agricole, pour assurer leur souveraineté et préserver leurs capacités stratégiques et d’action. La Banque de France n’est pas en reste : l’institution veut reprendre la main, son gouverneur en alerte : « L’un des très grands risques que nous identifions est celui de la “boîte noire”, où vous confiez les clés de votre management des risques à un algorithme que vous ne maîtrisez plus. Nous regarderons comment, nous, superviseur, pourrons utiliser l’intelligence artificielle. Comme toujours, ce doit rester un outil au service de la décision elle-même et pas un maître obscur. » Les mots choisis par le gouverneur n’ont rien d’innocent. L’homme a compris l’avenir.
2. Blockchain et IA
Couplés à la blockchain (lire dans EcoRéseau Business n°67, pp. 30-31), les algorithmes et les données seront sécurisés pour nourrir les IA. De ce rapprochement naissent des services innovants, des secteurs neufs sur fond de sécurisation absolue des informations et des environnements. L’ensemble des banques françaises se sont lancées dans des expérimentations autour de la blockchain – chaîne de blocs – et travaillent au développement des intelligences dites artificielles. L’annonce de la banque de France favorable au lancement d’une monnaie virtuelle est majeure par sa dimension politique et technologique. « La création d’une monnaie numérique de banque centrale peut nous donner un puissant levier pour affirmer notre souveraineté face aux initiatives du secteur privé telles que la Balance [le Libra de FaceBook] Dans le long terme, deux utilisations différenciées de la monnaie numérique pourraient coexister : une pour les paiements entre les acteurs du secteur financier – une devise dite “de gros” – qui utilise la technologie blockchain et toutes ses possibilités, notamment les smartcontrats [les contrats intelligents, protocoles informatiques qui facilitent, vérifient la négociation ou l’exécution d’un contrat, ou qui rendent une clause contractuelle inutile car rattachée au contrat intelligent]. Et une autre pour le grand public – une devise dite “de détail”, plus simple et mieux adaptée aux transactions de détail. » Le mode d’emploi de François Villeroy de Galhau se montre d’une clairvoyance appréciable.
3. Les « milléniaux » changent les pratiques
Le secteur bancaire se doit d’innover rapidement face à la pression de sa jeune clientèle. Il adopte de nouveaux modèles à marches forcées et réforme ses approches pour répondre aux attentes et aux évolutions imposées notamment par ces « milléniaux », à la fois les futurs décideurs et les héritiers de plusieurs milliards d’euros dans les prochaines années. Il leur faut les séduire. La banque Postale a créé ma French Bank dans ce curieux jargon franco-anglais qui offre l’originalité d’être communautaire. Elle libère des fonds pour des projets ou en demande depuis la plate-forme de crowfunding Kisskissbankbank qui lui appartient, ou encore crée des cagnottes immédiatement. L’ensemble des services financiers se gère depuis une application mobile. L’ambition est de capter les jeunes rapidement pour faire grandir la banque à l’aune de leur besoin progressif.
4. Le secteur financier ne cesse de grandir
Parallèlement, le secteur bancaire s’agrandit d’une multitude d’acteurs que sont les fintechs, mais aussi les commerçants, les opérateurs télécom, les GAFAM, les BATX… Selon une étude, 60 % de nouveaux entrants parviennent chaque année à l’échelle mondiale.
Certains acteurs disposent d’une puissance inédite riche de milliards d’utilisateurs. Par exemple, la Chine révèle désormais sa puissance avec 1,4 milliard d’utilisateurs passés à la banque ou au commerce numérique. À titre d’illustration, Maserati a vendu 100 exemplaires de son nouveau modèle en 18 secondes par Internet ! Le géant Tencent dispose de l’un des plus grands fonds de gestion au monde, constitué de milliards de petites sommes collectées auprès des individus. Les alliances entre géants chinois font naître des mastodontes qui alimentent les services financiers autour de leur industrie ou dans la voiture du futur par exemple. Les entreprises asiatiques sont déjà en Europe et promettent de nombreux bouleversements.
5. La transition énergétique, un financement colossal incontournable
Les banques sont également nourries à la finance verte. Elles sont tenues de développer des activités non carbonées. Dès lors, c’est l’ensemble de leurs infrastructures qu’elles rénoveront, comme les pratiques et les produits propres à financer. Les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) sont parlants : elle estime qu’il faudrait un trillion de dollars entre 2020 et 2050 pour orienter les énergies fossiles vers les énergies renouvelables et des projets en faveur de l’efficacité énergétique. Mais il reste encore des milliers de milliards de dollars à financer pour changer notre monde. L’enjeu repose également sur la réussite de la transition en réorientant la valeur dans des structures propres sans pour autant déprécier les actifs aujourd’hui carbonés. Les banques jouent ainsi un rôle essentiel à travers leurs prêts et les financements de projets propres, pour les rendre viables ou non.
6. La cybersécurité est un territoire décisif
La banque subit des milliers d’attaques quotidiennes. Elle s’est dotée d’un arsenal de solutions et de partenaires qui sont autant de ressources ou de capacités d’innovations qu’elle est capable de déployer pour accroître sa résilience et créer de nouveaux marchés.
7. Les banques ne sont plus des silos
Simultanément, l’open banking voulu par le législateur pose définitivement la banque comme plate-forme ou infrastructure de services capable d’irriguer une multitude de services et de secteurs. Elle va se combiner parfaitement avec les plates-formes des États. Cette conception va drainer l’argent et d’autres services innovants dans toutes les activités et interstices physiques ou virtuels. L’ensemble des banques se transforment pour cette mutation en nouant des partenariats stratégiques pour créer de nouveaux écosystèmes, par des acquisitions ou en se transformant radicalement à l’image de Société générale. Elle est capable, avec ses multiples structures, de créer en quelques mois Prisméa, nouvelle banque destinée aux PME.
8. Peut-être le plus grand défi, les banquier/ères
À quoi s’ajoute probablement l’un des plus grands chantiers que la banque n’ait jamais connus : la transformation de ses métiers et des hommes et femmes qui l’animent. Elle est confrontée au double défi d’intégrer les technologies et de faire face à l’obsolescence de plus en plus rapide des compétences des collaborateurs.
Il n’est pas certain, il est même acté, que toutes les enseignes ne survivront pas à l’immense chantier dessiné par le gouverneur de la Banque de France. Elles seront recyclées dans un flux que seuls les auteurs de SF pourraient commencer à préfigurer…
Patrice Remeur & Olivier Magnan