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L’agriculture bio est encore aujourd’hui protéiforme : ses standards et méthodes encore débattus. Mais si elle venait à se généraliser, les contraintes qu’elle porte – de la production à la consommation en passant par la distribution – transformeraient en profondeur le paysage et les consommateurs.
Alors que mon serveur pose devant moi mon entrée – des œufs à la Benedict, un classique qui avait un moment disparu des cartes –, mon regard s’attarde sur le contenu de l’assiette. La couleur presque orangée du jaune, la texture riche du bacon, la texture irrégulièrement alvéolée du muffin…
Il n’y a pas à dire, le passage à une agriculture très majoritairement bio a redonné au mot saveur une richesse qu’il avait perdue au fil des révolutions productivistes. Mais en arriver à ce stade n’a pas été simple – pour une raison qui va de soi : l’alimentation et ses à-côtés (agriculture, distribution, consommation…) sont les moteurs de base de la société, et une activité de première nécessité. Les changements qui ont été impulsés, à la fois par volontarisme sociétal – de la part aussi bien des producteurs, des consommateurs, que des politiques – et par avancées technologiques, ont impacté en profondeur la société.
Car oui, la technologie et le bio ne sont pas incompatibles, contrairement à ce que l’on a pu penser dans la première moitié du XXIe siècle pendant laquelle, il est vrai, la définition de ce qui était bio était très fluctuante : pratiques encadrées de production à une véritable philosophie agricole, voire de vie (que l’on pourrait résumer à la recherche d’une certaine harmonie avec la nature).
Arriver à une unification, qui mélange plusieurs de ces aspects, n’a pas été simple. Et s’il est vrai que les engrais artificiels et autres outils de l’agriculture intensive ont été mis au placard, l’on ne cultive pas pour autant nos champs comme on le faisait au Moyen-Âge… Surtout grâce à deux outils : les automates électriques, qui s’occupent des récoltes, semences, arrosage, etc., et les IA dédiées, que l’on retrouve aujourd’hui à tous les étages de la production – pour optimiser le rendement aussi bien à l’échelle d’une ferme grâce à de multiples capteurs d’humidité, de composition des sols, etc. qu’à celle du territoire national où un véritable programme d’optimisation d’occupation des sols a été lancé il y a maintenant dix ans, vers 2020. Plus question, aujourd’hui, de sacrifier des terres riches à l’urbanisation galopante : la création de nouveaux espaces, mi-urbains mi-agricoles, a complètement redessiné nos paysages. Et il ne faut pas oublier, grâce à la recherche, tous les moyens naturels d’élimination et de contrôle des insectes, bactéries, etc., et surtout la production de viande « artificielle », qui a permis de considérablement réduire les besoins en élevage, tout en répondant aux besoins, notamment, des fast-foods (qui n’ont pas disparu, contrairement à ce que certains pouvaient penser). Bref, la science n’a pas éliminé la bio : elle l’a renforcée.
L’IA et les véhicules autonomes électriques, ont également été essentiels pour arriver à mettre en place une distribution adaptée à cette nouvelle production. Car parmi les exigences du bio figure en bonne place l’idée de manger saisonnier et local – ce qui a demandé de maîtriser de bout en bout des concepts comme le circuit court, une opération qui n’a pas été facile pour la grande distribution, qui avait pourtant commencé à expérimenter avec ces notions dès le début du XXIe siècle. Mais grâce aux prévisionnels de production et de consommation fournies par des IA, et à une gestion de flotte serrée, la distribution est arrivée à allier les exigences particulières de leurs modèles et celles de la bio, ce qui était loin d’être gagné au départ. Avec cette complexité supplémentaire, la montée en température de nos printemps et étés, supérieure aux 2,5° si bêtement projetés à une époque… Les renégociations de contrats, ceci dit, sont encore souvent difficiles, surtout avec la viabilité croissante des systèmes de livraison directe par drône. L’autre facteur qui a permis (et forcé) cette évolution de la distribution fut l’attitude du consommateur, aujourd’hui partisan (du moins en France) d’un bio aussi intégral que possible pour son alimentation. Ce qui n’était il y a quelques années qu’une préférence marquée s’est depuis transformé en exigence de base.
Au prix d’un vrai changement de mentalité… Pendant quelques années, avant que la production en serre ne devienne finalement possible à un coût écologique négligeable, le consommateur a dû se remettre à la saisonnalité – finies, les fraises en décembre ! – et, ce faisant – et au fur et à mesure que le bio se généralisait dans le paysage –, perdait cette capacité à accepter de payer plus pour un produit bio, qui avait pourtant bien servi à lancer le mouvement chez les producteurs et distributeurs. Heureusement, une fois la révolution bio bien lancée, la différence de coût de production avait été rendue négligeable – encore une fois grâce à l’automatisation.
Au Sommaire du dossier
1. La France, 3e rang des surfaces bio
2. Territoires bio : qui produit ? Qui consomme ?