Enquête sur le capital risque en France

Le nouveau réflexe dans l’air du temps? Investir dans l’éco réelle.
Le nouveau réflexe dans l’air du temps? Investir dans l’éco réelle.

Temps de lecture estimé : 5 minutes

Moins de timidité pour le capital risque français ?

Selon Capital Finance, les start-up françaises ont levé 1,6 milliard d’euros en 2017, un record (c’était 1,4 milliard en 2016). Cela notamment grâce au dynamisme croissant des fonds d’investissement basés dans l’Hexagone. Privés, publics, corporates : EcoRéseau Business vous propose un panorama de ces acteurs.

Traditionnellement, le Royaume-Uni est le premier centre européen du capital-risque, avec 8,9 milliards d’euros levés pour l’investissement dans les start-up depuis 2015, devant la France (5,4 milliards) et l’Allemagne (3,4 milliards), selon le cabinet d’étude Dealroom. Mais les fonds d’investissement en capital-risque français ont pour la première fois devancé leurs concurrents britanniques au premier semestre 2017, en levant 2,7 milliards d’euros, contre 2,3 milliards. Cette progression des venture-capitalists français s’explique notamment par la montée en puissance d’acteurs tels que Partech Venture (près d’un milliard d’euros levés en 18 mois), Cathay Capital ou encore Alven Capital, qui a bouclé un fonds de 250 millions d’euros en janvier 2017. « Il y a eu une baisse des fonds apportés par les investisseurs institutionnels aux fonds d’investissement, mais le relai a été pris par deux types d’acteurs : des entrepreneurs qui ont réussi et veulent mettre leur expérience au service de nouveaux projets, et des industriels qui ne veulent pas rater la start-up qui pourrait faire évoluer leur secteur », analyse Marc Sudreau, partner chez Chausson Finance. Pierre-Antoine Dusoulier, CEO et fondateur de la fintech iBanFirst, y voit aussi l’effet du Brexit : « Il a complètement cassé la dynamique d’investissement au Royaume-Uni. Jusqu’à présent, beaucoup d’entreprises internationales et la majorité des entreprises américaines choisissaient de rayonner en Europe depuis Londres. Cela favorisait un écosystème extrêmement dynamique et faisait de Londres la place incontournable pour investir en Europe. Ce n’est plus le cas car les investisseurs craignent de ne plus accéder aussi facilement à l’Europe en cas de «hard-brexit». » Le développement des sociétés de gestion françaises sera aussi facilité par un nouveau règlement européen. Depuis le 1er mars, les sociétés qui gèrent moins de 500 millions d’euros peuvent en effet obtenir plus facilement un passeport pour l’ensemble des marchés de l’Union européenne, et investir dans des entreprises cotées comptant jusqu’à 500 salariés, contre une limite à 250 salariés pour des entreprises non cotées autrefois.

Les fonds privés

Fondé en 1982 par Tom McKinley et Vincent Worms, Partech Ventures a été repris en 2007 par Jean-Marc Patouillaud et Philippe Colombel. Il gère près d’un milliard d’euros à travers trois fonds, de l’amorçage au growth capital. Avec des bureaux à Paris, Berlin, San Francisco et Dakar, la société investit 200 000 à 40 millions d’euros dans les projets technologiques qu’elle choisit de soutenir. Elle a ainsi réalisé plus de 300 investissements, auprès notamment de Dailymotion, Sigfox et La Fourchette, et revendique plus de 70 sorties au-delà de 100 millions d’euros. Le fonds a même créé un incubateur dans Paris en 2014, baptisé Partech Shaker. Le fonds sino-européen Cathay Capital, qui compte une cinquantaine de collaborateurs, a quant à lui été créé en 2007 par Edouard Moinet et Mingpo Cai. Son fonds dédié au capital-risque, Cathay Innovation Fund, a été bouclé pour la première fois en 2015 avec 250 millions d’euros. Enfin, Alven a été créé en 2000 par Guillaume Aubin et Charles Letourneur. La société a depuis investi dans plus de 100 start-up, dont Boursier.com, SeLoger.com, Liligo, Captain Train et Drivy. « De plus en plus de sociétés de gestion du private equity et du private development s’intéressent au venture capitalism, note Marc Sudreau. Ce phénomène n’a pas encore fait ses preuves du point de vue économique, car on ne voit pas éclore en France une licorne chaque année, mais plusieurs succès économiques, comme ceux de Talent, Criteo ou Blablacar leur donnent foi. »

Les fonds créés par des entrepreneurs à succès

Plusieurs des principaux fonds d’investissements qui soutiennent les start-up françaises ont été créés par des entrepreneurs à succès. Outre l’aisance financière que leur procure les bons résultats de leur société, ou sa revente, leur expertise sectorielle leur permet en effet d’identifier les projets les plus prometteurs, et ils peuvent apporter aux projets qu’ils accompagnent leur expérience de la création et du développement d’entreprises en croissance. Xavier Niel, le patron de Free, a par exemple créé Kima Ventures en 2010, avec l’objectif d’investir dans 50 à 100 jeunes pousses des nouvelles technologies dans le monde chaque année. Son associé, Jérémy Berrebi, a quitté l’aventure en 2015, remplacé par Jean de la Rochebrochard. Ils ont accompagné des sociétés comme Captain Train et Wizishop. Selon l’indicateur de Chausson Finance, Kima Ventures a investi 7,1 millions d’euros dans les start-up françaises en 2016. Marc Simoncini, le fondateur de Meetic, a créé son fonds d’investissement Jaïna Capital en 2009, soit deux ans avant de vendre 70 % du capital du site de rencontre à son concurrent Match.com. Depuis, Jaïna a accompagné plus d’une cinquantaine de start-up dont Devialet, Made.com, Restopolitan et Ouicar. Il a réalisé sept sorties : Appsfire (publicité mobile), Keyade (achat média en ligne), Monnier Frères (vente en ligne d’accessoires de luxe), Myfox (objets connectés dédiés à la maison), OLX (annonces en ligne), Peak (entraînement cérébral sur mobile) et Plyce (shopping en ligne). ISAI, quant à lui, a été créé en 2008 par une brochette d’entrepreneurs du web. Il s’agit de Pierre Kosciusko-Morizet, le créateur de Price Minister (vendu à Rakuten en 2010 pour un prix estimé de 200 millions d’euros), Stéphane Treppoz, le président de Sarenza, Geoffroy Roux de Bézieux (fondateur de Virgin Mobile France, revendu à Numéricable en 2014 pour 325 millions d’euros) et Ouriel Ohayon, qui a fondé Appsfire en 2009. Le fonds est présidé par Jean-David Chamboredon, initiateur du mouvement des Pigeons et co-président de France Digitale, association qui réunit depuis 2012 les entrepreneurs et investisseurs du numérique. ISAI a investi 13,8 millions d’euros dans les start-up françaises en 2016.

Les fonds publics

A côté des fonds d’investissement privés, les entrepreneurs peuvent aussi se tourner vers les fonds publics. La banque publique d’investissement (Bpifrance) a ainsi été créée en 2012 dans le but de dynamiser l’économie française en accompagnant les projets dans leur innovation et internationalisation. Pour cela, elle a notamment recours aux prêts (6,7 milliards d’euros en 2016), aux garanties bancaires (8,4 milliards d’euros en 2016) et au préfinancement du CICE (pour 4,3 milliards d’euros en 2016). Mais depuis 2014, avec la création de Bpifrance Investissement, qui compte 300 collaborateurs et 20 milliards d’euros d’actifs sous gestion, elle peut aussi participer au capital des entreprises. A sa création, son objectif était d’investir jusqu’à 8 milliards d’euros, via 60 véhicules d’investissement. Ainsi, cette société de gestion prend par exemple des participations minoritaire dans des entreprises en croissance de secteurs aussi variés que le bois, l’automobile, le ferroviaire, la ville intelligente, le numérique ou le nucléaire. Selon l’indicateur de Chausson Finance, Bpifrance est l’acteur qui a le plus investi dans les start-up françaises en 2016, avec 155 millions d’euros.

Quel type d’investissement ?

Les sociétés d’investissement peuvent intervenir à différents moments de la vie des start-up. L’amorçage, ou seed, pour aider l’entreprise à mettre au point son produit et trouver ses premiers clients. Les montants levés à ce stade équivalent habituellement à quelques centaines de milliers d’euros. La série A correspond au second tour de table et vise à augmenter l’échelle de l’entreprise, par exemple en augmentant la masse de ses utilisateurs, et à l’orienter vers la rentabilité. Lorsque l’entreprise a atteint une forte traction, avec un produit scalable et un modèle économique stable, elle peut envisager une série B, qui peut l’aider à s’internationaliser ou à racheter d’autres entreprises. Les séries suivantes empilent les dizaines de millions d’euros pour permettre aux entreprises de soutenir leur développement. Au-delà de la série C, on parle de fonds «growth».

ISAI, par exemple, dispose de deux fonds d’investissement. Le premier est un fonds de capital-risque, doté de 75 millions d’euros, pour des investissements compris entre 750 000 euros et 2 millions d’euros. Il a notamment participé aux levées de fonds de la licorne Blablacar, de Privateaser, Teemo, Sticky Ads, Adikteev, Shopmium et Malt. Le deuxième est un fonds de capital-développement, pour accompagner des sociétés plus matures, non cotées, qui réalisent un chiffre d’affaires compris entre 3 et 50 millions d’euros et n’ont pas accès au financement bancaire. Il accompagne Eulerian Technologies (data management platform), Labelium (marketing en ligne) et Vade Secure (sécurité informatique). Iris, de son côté, peut investir entre 1 et 30 millions d’euros au total par entreprise.

Capital risque et entreprises

De plus en plus de fonds d’investissement corporate

Pour accélérer leur transformation numérique, de nombreuses grandes entreprises ont fait le choix de créer leur propre fonds d’investissement. Le premier baromètre Deloitte des Corporate Venture Capitalists (CVC) français montrait ainsi en mai 2017 que 36 % des 14 sorties réalisées par les 14 acteurs de son panel en 2016 sont des acquisitions par le groupe. En outre, la santé est le secteur auxquels ils s’intéressent le plus, avec 19 % des deals réalisés, devant la fintech (15 %), l’énergie et les transports (13 %) et le big data (9 %). Au total, les 14 fonds corporate étudiés géraient 1,1 milliard d’euros en 2016 et ont réalisé 146 investissements depuis 2008.

En 2016, une autre autre étude de Deloitte recensait 37 groupes actifs en matière de capital investissement, dont 16 au sein du CAC 40. Elle indiquait aussi que le corporate venture comptait pour 5 % du financement des PME et start-up innovantes en France en 2013. C’est moins qu’aux Etats-Unis, où cette proportion atteint 16 %. « Au-delà du retour financier, les bénéfices peuvent être multiples tant pour l’industriel que pour la PME. Partenariats, synergies, esprit d’entreprendre, marché de rupture, renforcement de liens avec les écosystèmes… c’est l’ensemble de la chaîne de valeur de l’entreprise qui est concernée », explique alors Thierry Billac, associé chez Deloitte.

Parmi les fonds corporate les plus actifs, on peut citer Via ID, SNCF Digital Ventures, SEB Alliance, Axa Strategic Ventures, Engie New Ventures ou encore Orange Digital Ventures.

Via ID, qui compte une douzaine de personnes à Paris, Lille et San Francisco, a été créé en 2009 par Mobivia, groupe spécialisé dans l’équipement et l’entretien de véhicules qui réunit notamment les marques Norauto et Midas. Il a investi dans Drivy, Heetch et Lyko. Doté de 30 millions d’euros, SNCF Digital Ventures a été créé en 2015 par le groupe public, et sa gestion confiée au fonds Hi Inov. Ses premiers investissements ? LuckyLoc, Deepki, Famoco et InterCloud. Créé en 2011 par le groupe spécialisé dans le petit équipement domestique, SEB Alliance est doté de 30 millions d’euros. Il investit 300 000 à 3 millions d’euros dans des start-up du bien-être, du monde connecté et du développement durable comme Alkemics, SeniorAdom, RobArt et Feeligreen. Parfois, des groupes se réunissent pour fonder une structure d’investissement dite «multi-corporate». Ce fut par exemple le cas en 2017 d’IrisNext, créé par Iris Capital avec Orange, Publicis et Valeo. Doté de 250 millions d’euros, il aide des start-up du numérique en phase d’amorçage et de développement avec des tickets de 1 à 30 millions d’euros. En 2012, Iris avait déjà créé un fonds avec Publicis et Orange. Il s’agit d’OP Ventures, doté de 300 millions d’euros.

Louis Marquis

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