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Nous commémorons le cinquantenaire de la disparition du président Pompidou. Fort étonnamment et c’est heureux, loin d’être tombé dans l’oubli, l’empreinte du natif de Montboudif demeure plus présente que jamais.
L’écrivain Matthieu Galey sur Georges Pompidou, dans son Journal (éditions Bouquins) : « Un normalien tombé dans la finance, qui porte un nom digne de Labiche. Très dilettante, il n’a pas l’air de nous prendre au sérieux, une cigarette au coin du sourire. Mais c’est un pragmatique, avec de bonnes recettes… ».
De Pompidou, l’on dit toujours un peu les mêmes choses. Il était malade, fou amoureux de sa femme, citait Éluard, possédait une Porsche d’occasion, aimait l’art contemporain, le Cantal, Cajarc, les baignades à Saint-Tropez. Et répétait que « les peuples heureux n’ayant pas d’Histoire », aussi espérait-il que les historiens n’aient pas trop de choses à retenir de son mandat. Cette humilité, peut-être un peu excessive, est aujourd’hui contrariée par une pléiade d’hommages, à l’occasion du cinquantenaire de sa disparition tragique. Citons notamment Les leçons de Pompidou (éditions de L’Observatoire) qui vient de paraître sous les plumes alertes et intelligentes de David Lisnard et Christophe Tardieu.
Pompidou. Un nom aussi rassurant que son époque, résolument assurée et prospère. Ce président était capable d’écrire un courrier aux administrations pour demander que l’on épargnât les arbres au bord des routes, alors sacrifiés au nom du principe de précaution : « La France n’est pas faite uniquement pour permettre aux Français de circuler en voiture, et, quelle que soit l’importance des problèmes de Sécurité routière, cela ne doit pas aboutir à défigurer son paysage ».
L’ère Pompidou fut un apogée de la civilisation française
Peu de personnages historiques ont su comme lui épouser leur époque, jusqu’à la transfigurer toute entière et la cristalliser finalement, aux yeux des temps. En termes économiques, la France des années 60 et du début des années 70 « faisait mieux que les États-Unis », rappelait récemment David Lisnard aux journalistes de Nice-Matin.
Nous avions alors la deuxième compétitivité mondiale après le Japon et une croissance de la production industrielle de 7 % par an. Preuve que la France sait faire, si elle veut. Ainsi n’est-il pas si étonnant que « l’ère Pompidou » attise les nostalgies, tant elle constitua un apogée de la civilisation française. Tandis que nous nous enfonçons dans la crise – certains diraient le déclin, car lorsqu’une crise ne trouve pas de réponse depuis plus de quarante ans, c’est bien de déclin qu’il s’agit – ces grandes heures laissent songeur.
Certes, il ne faudrait pas faire de Pompidou une figure canonisable et quasiment intouchable. D’aucuns lui reprochent d’avoir refusé la sélection à l’université, d’avoir empêché le recours à l’armée en mai 68 – favorisant ainsi « la chienlit » – d’avoir ouvert le premier les vannes de l’immigration, d’avoir rejeté l’idée gaullienne de Participation.
Un conservateur qui cherchait le progrès
Beaucoup voient aussi en cet ancien banquier des établissements Rothschild l’homme de la grande-bourgeoisie, face à un Général de Gaulle volontiers désireux de « bousculer le pot de fleurs » et qui aimait rappeler aux patrons du CNPF que « le monde de l’argent ne [l’avait] pas suivi à Londres ». Certes, Pompidou ne fut pas de la grande épopée de la Résistance, ce que les gaullistes historiques lui reprochèrent abondamment. Mais faire de Pompidou un fossoyeur de l’action gaullienne serait une grave erreur, il en fut plutôt le continuateur, parfois l’adaptateur. Notamment en ce qui concerne la politique étrangère. La rupture dramatique, ce fut Giscard, résolu à tout céder aux intérêts américains dont il était si proche.
N’oublions pas non plus que Pompidou fut le mentor et le père de substitution de Jacques Chirac, alors jeune premier de la politique. Pompidou l’appelait son « bulldozer », impressionné par l’énergie de ce jeune ministre. « Si je lui demande de creuser dans la nuit un tunnel de l’Étoile à la Concorde, il le fera. Ensuite, il demandera pourquoi », s’amusait en privé ce président à l’humour volontiers canaille.
« Notre chère vieille France »
Des images émouvantes montrent d’ailleurs le jeune corrézien les larmes aux yeux lors des obsèques de ce président consumé par la maladie de Waldenström et qui s’éteignit bien trop tôt, dès le mois d’avril 1974. Là encore, il convient de saluer l’abnégation qui fut la sienne, résolu à remplir sa charge jusqu’au dernier moment, malgré d’insoutenables souffrances.
Pompidou, c’était une élégance et une fidélité à sa « chère vieille France », dont il fut le modernisateur stratège et talentueux. De ce temps-là, tous les Français, qu’ils fussent politiquement ou non d’accord avec lui, avaient le sentiment d’être gouvernés par un homme d’honneur, digne de respect, résolu à servir l’État. Ce sentiment s’est depuis évanoui face à l’avachissement du niveau et l’abaissement de la morale publique. Peut-être est-ce cela que nous regrettons le plus chez « Pompidou le Droit », bellement décrit par Jean d’Ormesson comme « le plus exceptionnel des Français moyens ».
Les perles de la politique
Extraits du Nœud gordien · Le Nœud gordien est un très bel ouvrage de Georges Pompidou, publié en 1974. Ce testament politique de haute volée a presque valeur de programme. Certaines maximes sont à méditer. « Gouverner, c’est faire prévaloir sans cesse l’intérêt général contre les intérêts particuliers, alors que l’intérêt général est toujours difficile à définir et prête à discussion, tandis que l’intérêt particulier est ressenti comme une évidence et s’impose à chacun sans qu’il y ait place pour le doute ». Plus loin : « Ainsi va des Français : difficiles à gouverner, mais plus difficiles encore à reconquérir quand on les a une fois abandonnés à eux–mêmes ».