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Enquête sociétale en 3 volets “Alors Heureux au boulot ? La pensée positive, fin du travail subi“.
À Paris, deux événements sensibles ont questionné ce fameux bonheur né de la psychologie positive : la venue de Martin Seligman à l’occasion de l’événement du Festival des énergies positives sous l’égide du Printemps de l’optimisme et les conférences de Madyness, le média en ligne des start-up et de l’innovation. Loin du « maître » Seligman, des chefs d’entreprises ont questionné le concept d’Happycratie. Baby-foots, smoothies bio, les entreprises sont-elles allées trop loin dans l’injonction au bonheur ? « J’appelle ce que nous vivons aujourd’hui le syndrome Pharrell. L’injonction à être happyyyy est permanente », déplore Philippe Boyer, directeur de l’innovation chez Covivio, concepteur d’immobilier de bureaux. Lui se dit opposé aux initiatives de ces entreprises de plus en plus nombreuses à faire appel au service d’un/e Chief Happiness Officer (CHO). « Ces trois dernières années, déplorent les auteurs d’Happycratie, des CHO sont apparus, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe, dans de nombreuses organisations, entre autres Zappos, Google, Lego ou Ikea. Ces spécialistes proclament à leur tour recourir à des techniques bien précises, homologués scientifiquement, capables d’inculquer aux salariés, quels qu’ils soient, des savoir-faire d’autorégulation et de résilience supposés leur faire prendre des décisions seuls, d’être à l’aise dans leurs rapports avec leurs collègues, de composer avec l’incertitude, de s’adapter à des changements inattendus et d’envisager l’adversité sous un autre angle, de façon positive et productive ». Et pourquoi pas, s’insurge Olivier Derrien, directeur général France de Salesforce, convaincu « qu’un employé heureux va aider mon client à être heureux ». Reste qu’il apparaît difficile, dans un groupe de 35 000 collaborateurs, de s’employer à faire le bonheur de chaque salarié. « Pour qu’un employé soit heureux, il faut qu’il évolue dans un environnement serein. L’entreprise a donc un rôle important à jouer en insufflant l’égalité et la confiance. C’est uniquement dans un environnement serein que le collaborateur aura la possibilité de s’épanouir. Chez Salesforce, par exemple, chaque salarié doit pouvoir aider son collègue. » « Confiance », le mot clé utilisé par François de Fitte, cofondateur de Popchef, pousse la logique jusqu’à laisser libre le salarié d’organiser son travail à sa guise : vacances sans autorisation ni planning, notes de frais engagées par carte société sans justificatif, horaires libres, en contrepartie de la tenue d’un objectif. On vit bien chez Popchef, pourvu que les résultats soient au rendez-vous.
Pour qu’un employé soit heureux, il faut qu’il évolue dans un environnement serein.
Mais le baby-foot ne suffit plus
Il semble pourtant que les saupoudrages cosmétiques nés de l’influence des start-up ne semblent plus suffire à fidéliser des salariés de plus en plus volages. Les entreprises semblent comprendre que « créer un environnement de confiance n’est pas chose aisée. Pour y parvenir, le management doit agir en toute sincérité », met en garde Olivier Derrien. Tolérer le droit à l’erreur et encourager la prise de risque, tels sont les nouveaux prérequis d’une entreprise qui prend soin de ses salariés et leur assure bien-être et positivité. Des éléments particulièrement importants, dans un contexte de guerre des talents de plus en plus intensive, notamment vis-à-vis des jeunes et hauts diplômés. « Aujourd’hui, tous les recruteurs formulent les mêmes promesses : venez dans mon entreprise, nos valeurs sont uniques et nous plaçons l’humain au cœur de ces valeurs », constate Faustine Duriez, CEO & Founder de Cocoworker, une application de reconnaissance collaborative basée sur les soft skills, ces fameuses « compétences douces » que l’on exige désormais d’un collaborateur : au-delà de ses compétences techniques, est-il/elle créatif/ve ou empathique ?
Comment parvenir à mesurer le degré de positivité des entreprises ? Ex-Axa, Faustine Duriez a subi au cours de sa carrière des injonctions contradictoires : « Les entreprises nous disent “soyez heureux”, mais dans le même temps, elles nous font comprendre que seule notre performance sera reconnue. Au fil du temps, c’est l’estime de soi qui est rompue et l’on perd la conscience de nos points forts. » C’est donc sur la reconnaissance des soft skills qu’elle a travaillé au travers de sa plate-forme RH Cocoworker. « L’application Kiff offre à chaque collaborateur de l’entreprise de reconnaître et de révéler ses collègues pour leur savoir-être et leur engagement de tous les jours en les récompensant avec des kiffs. Des « retours » – feed-back – positifs qui acquièrent une valeur financière et qui sont donc transformables en prime, en bons cadeaux ou en dons à des associations, selon le choix de l’entreprise. » Autant de données grâce auxquelles les directions des ressources humaines « monitorent » le bien-être des salariés et leur engagement collaboratif. Un glissement lent mais sincère se met en place aujourd’hui. Comme les « coachs du bonheur » ont montré leurs limites, les entreprises s’orientent vers des stratégies plus empiriques et testent de nouvelles innovations. Elles semblent également plus humbles face à leur mission de dispensatrices de bonheur. Plus modestement, elles préfèrent s’attaquer au bien-être. Déjà pas si mal.
Par Chloé Pagès
Au Sommaire du dossier
1. Le bonheur au travail, les fondamentaux
Focus sur le livre Happycratie
2. RENCONTRES : Martin Seligman, le bonheur est politique
3. Management : feed-back permanent
RÉTROSPECTIVE : De l’esclavage aux start-up sans contraintes