L’avènement des Etats-entreprises ?

Un oeil de la Providence qui deviendrait celui de l’Etat ?
Un oeil de la Providence qui deviendrait celui de l’Etat ?

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Gafa : des États dans le brouillard

Après le récent scandale Facebook en lien avec l’élection de Trump, comment nos pays pourront résister demain au pouvoir politique croissant des géants du Web, véritables Etats-entreprises en devenir ?

Avis d’expert : Romain Pigenel, ex-conseiller du président François Hollande et cofondateur du cabinet Futurs.io

«Vers un jeu d’alliances entre gouvernements et géants du Web  »

Comment s’exerce le pouvoir politique des Gafa dont la valeur boursière équivaudrait aujourd’hui au PIB de la France ?

Les révélations sur la dernière campagne présidentielle américaine ont ouvert le débat sur la puissance inouïe des géants du Web. Leur maîtrise sans précédent de l’information, entre autres, pourrait laisser craindre de les voir in fine rivaliser avec les États souverains. D’ailleurs, la nomination en 2017 d’un ambassadeur danois auprès des Gafa marque une certaine rupture parmi nos gouvernants : la reconnaissance de facto d’une forme de statut d’État souverain à de tels acteurs privés. Cette grande première, qui m’a semblé avoir été saluée par les acteurs du digital en France, doit pourtant nous alerter. Car élever la relation avec Google au rang diplomatique n’est en rien comparable avec la nomination d’un cyber-préfet en charge de la protection des données, un parti adopté par exemple par la France en 2014. Là, le risque est d’entretenir une confusion entre le rôle des Etats, agissant au service des citoyens, et celui d’acteurs privés défendant leurs propres intérêts.

Alors comment contrer l’hégémonie croissante des Gafa ?

Pour remettre ces entreprises à leur juste place, il faut déjà dépassionner le débat autour des Gafa. Et ce, en trouvant une voie médiane entre les opinions angéliques de type « startup nation » et la récente frénésie technophobe du #DeleteFacebook visant à spécialement punir ces géants du Web. Deux positions manichéennes qui en disent long sur notre incapacité à avoir un regard normal sur ces entreprises, comme nous l’avons pour des géants industriels qui ne bénéficient souvent pas du même traitement de faveur en matière fiscale. Car la force des Gafa est le brouillage qu’ils opèrent de par leur discours marketing très « cool », les services géniaux qu’ils apportent et le nouveau rapport capital-travail qu’ils induisent. On l’aura compris, Google n’est pas Ford. Même si ce dernier a bouleversé, en son temps, la mobilité, les Gafa mènent une révolution qui impacte plus encore notre intimité, nos modes de vie, notre façon de penser, d’organiser notre temps. En cela même, ils sont au cœur du « politique ».

 Peut-on parler de « totalitarisme technologique » déjà à l’œuvre, capable d’entraver demain toutes nos libertés ?

Je ne crois pas aux scénarios dystopiques prédisant le dépassement inéluctable des humains par l’intelligence artificielle d’ici 2050. Les spécialistes en la matière reconnaissent que nous en sommes encore très, très loin. Si nous avons des raisons d’avoir peur – et la décision du Danemark a de quoi inquiéter – ce n’est pas pour les raisons que l’on croit. Je crains des menaces bien plus pragmatiques et immédiates. A savoir, un jeu d’alliances entre gouvernements et géants du Web pour servir mieux encore des intérêts nationaux. Déjà aujourd’hui, on voit combien de tels acteurs privés – de la Silicon Valley à Pékin – savent s’adosser aux Etats classiques. Il n’y a qu’un pas à franchir avant que de nouveaux outils high-tech émergent pour défendre tel ou tel impérialisme. Pour y faire face, c’est dire si les pays européens doivent dès maintenant veiller à ce que leurs élites ne se désarment pas en termes de compétence technologique…

Charles Cohen

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