Développer sa marque employeur et son expérience collaborateur

« Il faudrait dire aux
« Il faudrait dire aux "créa" qu’ils ont en font un peu trop... »

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RH et marketing : le mariage de raison

Les entreprises développent les techniques du marketing et de l’expérience client et les adaptent aux RH dans la perspective de mieux recruter, plus vite, moins cher et surtout pour retenir les talents. De l’art d’enjoliver, d’attirer et de retenir sans mentir.

Au pays des employeurs les plus courtisés par les jeunes diplômés, règne une tranquillité qui en dit long sur le fossé qui sépare les grands groupes des autres entreprises en termes d’attractivité. La routine depuis quelques années voit caracoler en tête des classements d’une part les Airbus, Google, Safran, Thales, Dassault et consorts chez les ingénieurs, et d’autre part les LVMH, L’Oréal, Google, Danone, EY chez les étudiants d’école de commerce. Dans ces classements, point de start-up, de PME, ETI, encore moins de licornes et autres moutons à cinq pattes. Les atouts des grands groupes ne sont pas seulement d’être un grand groupe ou de promettre des carrières fulgurantes comme le poing de Goldorak. Leur attrait est aussi question de marque employeur, de parcours candidats, d’expérience collaborateur… Des méthodes que veulent s’approprier les entreprises, surtout celles en croissance, malgré quelques wagons de retard.

La concurrence est rude

Mathilde Bastié, directrice de la communication à Welcome to the Jungle, start-up spécialiste de la marque employeur, introduit lors d’une conférence sur la marque employeur qui s’est tenue le 15 février à Paris : « Le concept est né dans les années 90 et a été formalisé par Simon Barrow. Son développement concerne cinq piliers dans l’entreprise : l’image employeur en interne, en externe, l’identité employeur (vision de la société, culture, valeurs…), les pratiques RH et managériales, et l’impact sociétal. Pourquoi le sujet est-il autant à la mode ? De nombreuses raisons l’expliquent et parmi celles-ci, nous pouvons citer le numérique qui redistribue les cartes en termes de communication, la tension sur les profils tech et commerciaux, la difficulté à recruter pour certains secteurs, le désengagement des salariés, et le turnover. »

Et Elise Tessier, directrice du Lab Bpifrance de compléter lors de la conférence du 15 janvier « Attirer les talents dans les ETI et PME » : « D’après nos études de 2016, le principal obstacle que devaient surmonter les dirigeants étaient la solitude de l’entrepreneur. En corollaire, ils pointaient la difficulté à s’entourer pour gouverner, structurer et manager l’entreprise. Nous en avons déduit plus largement que les entreprises manquaient de talents. D’ailleurs sur les observations que l’on peut avoir, le capital humain des ETI est souvent le maillon faible avec des problèmes de « sous-staffing » et de gouvernance. » Ajoutez à ces données, un contexte de recul massif du chômage de 0,7 point au quatrième trimestre et de 1,1 % pour atteindre 8,9 % fin 2017 (selon l’INSEE, et mesuré au sens du Bureau international du travail) et surtout une situation de plein emploi pour les cadres –  avec notamment 215 000 cadres recrutés en 2017 (un niveau record selon l’APEC), 200 000 cadres recrutés en 2016, et 225 000 recrutements de cadres prévus cette année selon les projections de l’APEC – et l’on comprend mieux l’enjeu de recruter et de fidéliser les talents… Jean-Marie Peretti, professeur à l’Essec, qui a accompagné de nombreuses thèses sur le sujet, identifie d’autres causes : « Le marché du conseil s’est développé en 2010 pour aider les entreprises à construire leur marque employeur et attirer les talents. Certaines entreprises ont beaucoup investi en raison d’une dégradation de leur image. » C’est le cas d’Orange en 2007 et 2008 après l’épisode tragique des suicides de salariés ou encore de McDonald’s aux Etats-Unis. « On a souvent parlé de McJob comme d’un boulot par défaut ou un boulot d’étudiant. Pourtant McDonald’s a recruté l’année dernière 50 000 personnes », illustre Jean-Marie Peretti.

D’autres entreprises enfin semblent être dans le besoin en raison de secteurs sous tensions qui souffrent de la pénurie de talents. « PME et ETI ne savent pas se raconter dans le branding et verbaliser hors des murs ce qui se passe à l’intérieur. De nombreuses entreprises ne font pas rêver car elle ne sont pas connues et ne renvoient à rien. Le réflexe Internet prévaut dans les démarches de recrutement ou de recherche d’emploi. Et nombreuses sont encore les entreprises à ne pas posséder de rubrique «postes à pourvoir» sur leur site… C’est pourquoi parmi nos initiatives pour aider au développement des PME et des ETI, nous avons lancé la marque French Fab avec le logo qui reprend le coq de la French Tech, mais en version bleue, en nouvel étendard de l’industrie française », légitime la directrice du Lab Bpifrance.

Une solution pour toutes les entreprises

Quelle que soit la taille de l’entreprise, le développement de la marque employeur devient un incontournable. Grands groupes, ETI, PME et start-up la développent avec comme objectif de recruter des millenials, des profils tech ou commerciaux qui se jettent tous principalement vers les GAFA ou d’autres marques très attractives. Si pour les grands groupes, l’idée est également de capitaliser sur la culture d’entreprise, les PME-ETI sont davantage concernés par des enjeux de notoriété, d’attractivité et de différenciation tandis que les start-up cherchent avant tout visibilité et compétitivité. Selon une étude réalisée par Eda Gultekin, alors Global Solutions Founder and Director chez LinkedIn, qui a fait beaucoup de bruit sur le sujet, trois motifs ressortent et légitiment la mise en place de la marque employeur : « Les coûts de recrutement peuvent baisser parfois de moitié ; le turnover serait en baisse de 28 % sur le panel d’entreprises interrogées et surtout cela vous permet de dialoguer avec les candidats et de prendre le lead sur ce type de communication. » Une autre étude du réseau social vient également asseoir l’intérêt de telles pratiques marketing adaptées aux ressources humaines. Selon l’étude publiée en octobre 2012 s’intitulant LinkedIn Talent Solutions, The State of Employer Branding, 91 % des entreprises ont augmenté ou au moins maintenu leur investissement dans la marque employeur pour recruter ou fidéliser les talents. Et 83 % des recruteurs ont affirmé que la marque employeur a significativement impacté leur process pour recruter de hauts potentiels.

Structuration RH

Lorsqu’une entreprise grandit, les RH sont souvent le parent pauvre. Par expérience, c’est la direction qui est structurée la dernière. Pourtant le développement de la marque employeur qui accompagne les besoins en recrutement d’une entreprise nécessite « une DRH structurée, forte et proactive au risque d’être ralentis par le facteur humain », comme le qualifie Elise Tessier, directrice du Lab Bpifrance. En amont du développement d’un marketing employeur, « l’entreprise doit se doter d’une stratégie business claire et bien définie et avoir un bon niveau de conscience de l’identité de son entreprise, de ses valeurs fondamentales ».

Et Véronique de Saint-André, associée fondatrice chez la Compagnie (agence de conseil en développement RH) de préciser sur la fonction RH dans le cadre de l’étude du Lab Bpi France: « Une entreprise de croissance, ce n’est pas tant d’un gestionnaire RH dont elle a besoin, que d’un responsable du développement RH. Ce n’est pas le même profil. Le premier gère plutôt les aspects juridiques et administratifs, le second conçoit et anime une stratégie RH en l’alignant sur le business. Son champ d’action est différent : recrutement, gestion des talents, marque employeur. Son profil est à mi-chemin entre la RH et le marketing. »

Entreprise magnétique et symétrie des attentions

« Devenir une entreprise magnétique passe par le développement de la symétrie des attentions chez les collaborateurs », note Jean-Marie Peretti, professeur au département management de l’Essec, spécialiste des ressources humaines. « L’attention portée au client et à son expérience d’achat doit être la même chez le candidat et chez le collaborateur surtout. »

La marque employeur finalement, c’est utiliser les techniques et méthodes de la connaissance client adaptées au capital humain. « Aujourd’hui on s’intéresse moins à la marque employeur, on privilégie l’expérience collaborateur avec comme objectif la symétrie d’attention. Et c’est là que l’on voit apparaître des problèmes notamment vécus sur le process de recrutement. Les entreprises ne construisent pas toujours des parcours valorisants pour les candidats », continue Jean-Marie Peretti. C’est dans cette veine qu’ont été développés serious games et sites emplois où la direction donne des conseils sur le jobboard. C’est également dans cette optique que les entreprises désireuses de développer leur marque employeur décident de développer des promesses employeur. Certaines sont tartes à la crème telle que l’excellence, le fun, l’esprit start-up, l’innovation, la passion. D’autres nécessitent une véritable stratégie RH comme la qualité de vie au travail, les carrières à l’international, le style de management innovant, responsabilisant, horizontal… « Je suis frappé de voir combien on accorde d’importance aux éléments périphériques au travail. Les «open bars» et les éléments qui concourent au bien-être ressortent peu au moment de nommer les éléments qui réduisent le stress. Car on va moins parler des éléments intrinsèques tels que l’équipement et le management et tout ce qui concerne les supports d’organisation. Ce qui reste primordial lorsqu’un projet nécessite l’aide d’un tiers ou la solidarité des équipes », regrette Jean-Marie Peretti.

L’assaut des start-up sur l’expérience candidat

Dans le créneau de l’expérience collaborateur se sont immiscées les start-up. Deux exemples pour illustrer notre propos. Yaggo, qui propose de faire le retour candidat à la place de l’entreprise et qui offre du coaching au candidat pour lui permettre de se mobiliser malgré un retour négatif. « Notre solution intervient à trois niveaux. L’équipe de consultants RH apporte sous trois jours une réponse personnalisée et bienveillante aux personnes dont la candidature a été écartée en leur donnant notamment des conseils pour optimiser leur CV. Ensuite, notre technologie analyse chaque candidature afin de déterminer celles potentiellement intéressantes à long terme et les fidélise en leur envoyant régulièrement des mails dédiés avec les actualités et les nouvelles offres d’emploi correspondant à leur profil et enfin, Yaggo reprend contact avec les anciens dès que de nouvelles opportunités apparaissent », décrit Mathieu Penet, son fondateur.

Sur un autre créneau, Welcome to the Jungle permet aux 20-35 ans de se projeter dans l’entreprise via un média dynamique et créatif qui fournit des informations et une expérience qualitative avant même de postuler. Jérémy Clédat et Bertrand Uzeel ont ainsi créé une plateforme visitée un de demi-million de fois par mois et qui compte parmi ses clients LVMH, Saint-Gobain, MylittleParis, Leboncoin, BNP Paribas, ou encore Accor Hotels. Le pitch ? Proposer un média print, Web et vidéo qui parle des entreprises comme aucun autre. Pour cela, les deux compères ont développé interviews, portraits et reportages dans les entreprises. Et aujourd’hui, la start-up lance une websérie avec en guest Joey Starr, Mélanie Doutey, Richard Gasquet… « Avec Bertrand recrute, la première série originale produite par Welcome to the Jungle, nous souhaitons proposer une série inattendue pour décomplexer le sujet du recrutement et continuer à parler du travail avec un ADN nouveau », explique Jéremy Clédat.

Trouble transparence : prudence reste mère de sureté

Et la partie d’ombre dans tout cela ? La marque employeur se dégrade quand l’expérience vécue avec les récents collaborateurs est en décalage par rapport à l’expérience de recrutement. Et il n’est pas rare que certains stagiaires ou jeunes embauchés découvrent une réalité perçue de l’entreprise en interne différente de son image extérieure. « Les études montrent à ce sujet que les réseaux sociaux sont de véritables contre-pouvoirs aux entreprises qui manqueraient de sincérité ou qui auraient délivré un message loin de décrire ce qui se passe dans les bureaux », complète l’enseignant de l’Essec. Pas la peine de mettre un baby-foot dans la salle de pause si une personne pleure et craque dans l’open space. « Et les entreprises font de plus en plus attention au home boarding », ajoute Jean-Marie Peretti. Entendez par la locution anglaise l’accueil qui est fait aux primo-embauchés. L’exigence de transparence est forte. Mais ne vous attendez pas non plus à voir les entreprises communiquer sur les dividendes versés en fin d’exercice comptable, la politique salariale homme/femme, le fait religieux en entreprise. Trop touchy pour communiquer sur ces sujets ! En termes de marketing RH, les entreprises sont donc prudentes et cultivent la crainte de ne pas tenir la promesse envoyée par leur direction de la communication et des RH aux candidats.

« Des entreprises plus prudentes vont passer par des labels », souligne Jean-Marie Peretti. Le label Top Employeur a aujourd’hui dix ans et 80 entreprises l’ont reçu l’année dernière, preuve que la demande est encore plus forte. De même avec les études relatant le bonheur au travail et les classements qui en découlent comme le fameux Great place to Work ou encore le ranking Happy at Work. Une course effrénée qui oblige à un effort d’objectivité sur ces classements qui sont en général payants pour les participants… Quid des CHO (Chief Happiness Officer), ces marchands de bonheur qui se substituent parfois aux RH dans les start-up de moins de 50 salariés ? Sommes-nous en train d’entrer dans une nouvelle matrice qui nous fait croire que s’épanouir professionnellement est exempt de labeur, de discipline et parfois de sacrifice ?

Geoffroy Framery

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