Les placements face à la crise

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La covid a renforcé la prudence des Français·es, mais aussi créé des opportunités d’investissement.

Les professionnel·les de l’épargne sont dépité·es. Aujourd’hui, le grand bénéficiaire de la crise sanitaire est… le Livret A. Liquide, sécurisé, ce support rassure plus que jamais et bat des records historiques de collecte : plus 25 milliards d’euros de janvier à août 2020, soit déjà deux fois plus qu’en 2019 ! Pourtant, avec une rémunération de 0,5 % par an, le Livret A est tout sauf un placement attractif. Pire, y laisser de l’argent conduit à un appauvrissement invisible et progressif en raison de l’inflation. En même temps, les Français·es, de nature prudente, sont dans l’impasse.

L’époque où l’on pouvait s’enrichir sans prendre de risques grâce à l’assurance vie est révolue. Les fonds en euros gorgés d’obligations souveraines ne rapportent plus rien en raison de taux d’intérêts historiquement faibles. Du côté de l’immobilier, la situation n’est pas plus reluisante. Pour la première fois depuis longtemps, le doute s’installe sur « la » valeur refuge tant le choc lié à la covid est violent. Le marché du résidentiel est atone tandis que certains pans du tertiaire risquent de souffrir durablement de la crise. 

Pour autant, faut-il garder son pécule sous le matelas ? Ce n’est pas la stratégie des Français·es les plus aisé·es. Selon le dernier baromètre Swiss Life Banque Privée, 78 % des « hauts patrimoines » considèrent que la conjoncture actuelle offre des opportunités d’investissement. L’immobilier pour 58 % des sondé·es, les actions (54 %) et les fonds en euros (35 %) occupent le trio de tête des placements préférés. Juste derrière, se classent les SCPI – Sociétés civiles de placement immobilier – (32 %) et les obligations (30 %). En somme, « les hauts patrimoines », comme d’ailleurs « les Français·es aisé·es » sondé·es par la banque privée privilégient la diversification. « L’environnement est avant tout marqué par des taux très bas, et ils vont sûrement le rester encore un certain temps. Dès lors le·la client·e est impacté·e sur ses comptes à vue, mais aussi sur le fonds en euros de l’assurance vie. Il·elle doit choisir de prendre des risques. Lesquels ? Tout dépend de son aversion pour le risque et de son horizon de placement. La principale règle d’investissement est immuable : il faut diversifier. L’assurance vie reste le placement préféré des Français·es, mais il ne faut pas oublier les atouts du PEA, du PER (ndlr : Plan d’épargne en action et Plan d’épargne retraite) et du compte titre », confirme Guillaume Pietruschi, directeur de l’offre au sein de Bnp Paribas Banque Privée.

Le PER(in), un outil de défiscalisation

Né de la loi Pacte l’an dernier, le nouveau plan d’épargne retraite (PER) entend agréger les anciens contrats retraite comme le Perp, le Madelin mais aussi d’autres produits d’entreprise comme l’article 83 ou le Perco. Le principal atout du PER individuel est d’être un outil de défiscalisation puisque les versements peuvent être déduits du revenu imposable. Dès lors, il concerne principalement les revenus aisés comme l’explique Morgane Mathot, ingénieure patrimoniale à l’Institut du Patrimoine : « Le PER(in) s’adresse en particulier aux ménages affichant une tranche marginale d’imposition égale ou supérieure à 30%. Les versements viennent en effet se déduire du revenu imposable. Un ménage (2 parts fiscales) qui déclare 100 000 euros par an et qui verse 10 000 euros économisera 3 000 euros d’impôts. Pour cette raison, les ménages ont tendance à verser des fonds sur leur PER en fin d’année, lorsqu’ils ont une idée précise de leur montant à déclarer. » Dans ce cadre, il convient de regarder avec attention son niveau d’imposition. En effet, si le·la contribuable est à la limite basse de la tranche de 30 %, l’opération devient mécaniquement moins intéressante. « Un ménage qui déclare 60 000 euros va se voir appliquer l’économie d’impôts de 30 % sur la tranche allant de 51 318 à 60 000 euros, puis de seulement 11 % sur le solde (50 000 euros à 51 318 euros) », détaille l’ingénieure patrimoniale. Par ailleurs, l’argent est bloqué jusqu’à la retraite, et les sorties seront alors soumises à la tranche marginale d’imposition. « Le PER(in) est avantageux lorsque le taux marginal d’imposition à la sortie est inférieur à celui lors de sa constitution. En effet, le capital est taxé à la sortie au taux du moment », souligne Morgane Mathot. Selon elle, il peut être intéressant de transférer un vieux contrat d’assurance vie vers un PER. En cas de rachat sur un contrat d’assurance vie de plus de 8 ans, une exonération d’impôt sur le revenu, (autrement appelée abattement), s’applique sur les intérêts jusqu’à 4 600 euros pour une personne seule et 9 200 euros pour un couple. « Si la somme issue de ce contrat d’assurance vie est intégralement transférée vers le PER, l’abattement est doublé. Ainsi une personne seule sera exonérée d’impôt sur le revenu (ou de prélèvement forfaitaire) jusqu’à 9 200 euros d’intérêts au moment de son rachat. Une personne en couple bénéficiera quant à elle d’un abattement de 18 400 euros », précise l’ingénieure. Ceci étant dit, comment estimer son effort d’épargne en prévision des vieux jours ? Les outils de simulation proposés par Mes-Placements.fr permettent par exemple de s’en faire une bonne idée. Après, quel PER(in) choisir ? Le marché tend à devenir similaire à celui de l’assurance vie avec des supports ou profils plus ou moins risqués. On peut y mettre des fonds en euros, des unités de compte, mais aussi des SCPI, etc.

L’assurance vie, la valeur sûre

L’assurance vie, ce produit tant apprécié par les Français·es, fonctionne comme le PER(in), à l’exception qu’il est bien plus liquide puisque l’on peut sortir du capital à tout moment, pas seulement une fois à la retraite. De plus, son mécanisme de capitalisation le débarrasse de la problématique fiscale durant la vie du contrat. Enfin, l’assurance vie constitue un outil de transmission extrêmement efficace. Avec elle, les sommes transmises après un décès le sont en dehors des règles légales de succession. Ce placement permet donc de donner plus à ses enfants, sans alourdir leurs droits, ou transmettre à un tiers (un·e concubin·e notamment) qui paierait sinon 60 % de droits de donation. PER ou assurance vie, toute la subtilité est de savoir avec quoi les remplir. Selon le baromètre de Swiss Life, les actions et obligations restent privilégiées derrière l’immobilier.

Actions oui, mais à long terme

Pour obtenir du rendement en assurance vie, l’investisseur·se doit consacrer une part de son capital aux unités de compte, tout en restant en ligne avec sa tolérance au risque et son horizon d’investissement. « Je suis très favorable aux actions qui offrent le meilleur rendement à long terme. Chez Bnp Paribas, nous privilégions en ce moment des achats sur repli sur la zone euro et les États-Unis », révèle Guillaume Pietruschi. La grande majorité des professionnel·les partagent le point de vue de Bnp Paribas Banque Privée sur les actions. « Grâce à la crise, un·e épargnant·e peut devenir copropriétaire d’une entreprise solide aux perspectives robustes. À un horizon de long terme, soit entre 8 et 10 ans, cet·te épargnant·e a toutes les chances de dégager de belles plus-values. D’autant plus qu’en Europe, nous avons la chance d’avoir des marchés qui n’ont pas autant rebondi que Wall Street », souligne Guillaume Eyssette, directeur associé du cabinet de gestion de patrimoine de Gefinéo. À noter que le·la professionnel·le ne recommande pas tant des secteurs que des entreprises. « Je privilégie celles qui sont peu endettées, qui affichent des taux de croissance réguliers et qui, bien sûr, ne sont pas trop chères. Les valeurs industrielles, survendues pendant la crise, pourraient également tirer leur épingle du jeu quand la conjoncture se redressera », affirme-t-il.

Le vert est mis

Impossible de ne pas évoquer le thème de l’Investissement socialement responsable (ISR), désormais au cœur de toutes les stratégies d’allocation d’actifs. La crise sanitaire accélère la tendance lourde d’un besoin accru d’une économie responsable. En allouant un montant de plus de 600 milliards d’euros à des mesures de relance « verte », les gouvernements des grands pays témoignent de l’importance de reconstruire les économies autrement. Cet intérêt des investisseur·ses s’inscrit également dans un environnement réglementaire de plus en plus exigeant qui les incite à se tourner vers l’ISR. Par ailleurs, « la crise a jeté un coup de projecteur sur les dysfonctionnements d’une société plus fragile que nous le pensions et qui doit prendre en compte le « capital humain » en plus du capital financier », indique David Zylberberg, expert en investissement responsable chez UBS France. La banque suisse apprécie particulièrement les obligations vertes qui visent à financer la transition écologique, et les obligations de la Banque mondiale qui financent des projets publics, particulièrement dans les pays émergents, pour aider à financer des projets à vocation environnementale ou sociale. « Nous proposons également des fonds de dette d’entreprises bien notées, des fonds d’actions de sociétés leaders dans la thématique ISR ou challengers, c’est-à-dire qui font des efforts pour améliorer leur profil ISR. Enfin, les investisseur·ses peuvent simplement acquérir des fonds thématiques spécialisés », détaille David Zylberberg. D’un point de vue sectoriel, plusieurs thèmes, déjà porteurs, ont été propulsés sur le devant de la scène par la crise sanitaire, comme la transformation digitale ou l’automatisation. « Chez UBS, nous anticipons l’essor de la régionalisation de la production mondiale qui impliquera un besoin accru de machines-outils, etc. Nous attendons de même une révolution alimentaire, avec une industrie bien plus à l’écoute des préoccupations écologiques. Dans le même temps, il faudra produire toujours plus en raison de la démographie mondiale », conclut l’expert. 

Les SCPI n’ont pas rendu leur dernier souffle

Les épargnant·es peuvent également remplir leur PER ou leur assurance vie avec des SCPI. Après avoir eu le vent en poupe, la pierre-papier suscite désormais la défiance en raison de son exposition, plus ou moins élevée, à l’immobilier de bureau et aux commerces, deux marchés ébranlés par la crise sanitaire. « Les SCPI n’évoluent pas dans une bulle mais sont connectées à l’économie réelle. Si l’économie hiberne encore 6 mois, certain·es locataire·rices pourraient continuer à éprouver des difficultés pour payer leur loyer », confirme Frédéric Puzin, fondateur de Corum L’Épargne. Pour lui, il faut se méfier des modes. « Aujourd’hui, les expert·es vantent les mérites de la logistique en oubliant qu’il y a quinze ans les principaux·les acteur·rices de l’immobilier ignoraient cette classe d’actifs considérée comme peu noble sur le plan immobilier. Désormais, ces mêmes acteur·rices se détournent des bureaux et encensent la logistique qui est devenue la classe d’actifs à la mode, non sans raison. Mais l’afflux d’investisseur·ses va faire monter les prix et baisser la prime de risque. Cet afflux sur la logistique va créer des opportunités de cession sur secteur avec de belles plus-values à la clé et pourrait faire baisser les prix sur d’autres secteurs, tels que le bureau ou le commerce et créer de belles opportunités d’investissement. N’oublions pas qu’il y a un an à peine, le coworking était la star de l’investissement immobilier… Un an plus tard, ces espaces sont délaissés », observe le spécialiste. De son point de vue, il faut se méfier des SCPI hyper spécialisées et privilégier, comme toujours, la diversification. « De même, il faut être vigilant sur le taux d’occupation, qu’il soit le plus élevé possible, et sur la durée des baux. Plus le bail est long, plus l’investisseur·se est protégé·e », complète Frédéric Puzin.

L’immobilier, un marché de pénurie

L’immobilier, reste le placement préféré des « hauts patrimoines » en dépit des vents adverses. Certes, comme l’explique Christophe Bacqué, président d’Emerige Résidentiel, « la crise sanitaire a causé un léger ralentissement sur le marché de l’immobilier résidentiel, locatif ou non. Cela s’explique tout d’abord par une frilosité des acquéreur·ses qui ont du mal à se projeter dans un contexte d’incertitudes économiques et sanitaires. Ensuite, les conditions d’octroi des prêts bancaires ont été renforcées à la suite des recommandations du Haut comité de stabilité financière. Dès lors, certains profils, comme les jeunes actif·ves, peuvent avoir davantage de difficultés pour accéder à un financement », indique le spécialiste. Pour autant, il n’y a pas d’inquiétudes majeures à nourrir pour le secteur de l’immobilier résidentiel neuf qui reste en situation de pénurie. « En effet, sur les 500 000 logements supplémentaires nécessaires par an à peine la moitié est construite chaque année. » Pour Christophe Bacqué, « l’enjeu aujourd’hui est de trouver le bon équilibre entre extension de la construction en périphérie urbaine et construction en cœur de ville. L’une et l’autre sont nécessaires pour répondre à l’insuffisance de logements. Et les programmes des centres-villes le sont d’autant plus qu’ils concourent à une limitation de l’augmentation des prix déjà très élevés des loyers. Ce contexte nous impose donc d’être encore plus ambitieux en termes de qualité et de durabilité de nos constructions. Même si chaque projet peut susciter des recours, nous tentons à travers la concertation de trouver un compromis pour convenir à toutes les parties prenantes ».

Pierre-Jean Lepagnot

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