Le family office, des entreprises familiales gérées par un chef d’orchestre

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Vous avez gagné au Loto, revendu votre société à prix d’or, vous êtes millionaire, milliardaire par héritage ? À moins que vous ne soyez déçu par votre banque privée et cherchiez un gestionnaire plus attentif ? Le family office vous ouvre tout grand ses ressources ! Un mode de gestion bien plus global et plus attentif que celui d’un CGP, souvent monosecteur. Entre investisseurs de poids, la famille reste une valeur.

On l’a compris, le family office est « une organisation privée destinée à détenir et contrôler le patrimoine d’une ou de quelques familles », définit Wikipedia. Un mode de gestion délégué apparu aux États-Unis à la fin du xixe siècle sous l’impulsion des Rockefeller qui cherchaient des hommes de confiance pour gérer leur fortune.

La profession n’est née en France que dans les années 1970. Le « bureau » réunit des compétences, depuis la gestion d’actifs à la fiscalité, en passant par le juridique et la médiation familiale. « Comme les chefs d’orchestre, nous nous entourons des meilleurs solistes ‒ fiscalistes, notaires, avocats, conseillers financiers ‒ pour jouer le meilleur morceau. Nous ne nous substituons pas aux experts, nous sommes des agitateurs d’idées », s’engage résolument Marie Saltiel, associée et responsable du family office d’Amplegest. Un point de vue que partage Laurent De Swarte, cofondateur d’Agami, l’un des principaux family offices indépendants : « Notre objectif n’est pas d’investir les capitaux de nos clients puis de percevoir des commissions, mais de leur offrir une vision indépendante et à 360 degrés de leur patrimoine afin de le faire fructifier. »

Vision transgénérationnelle

L’Association française du family office (Affo) définit cette force de gestion comme une organisation de personnes au service d’une ou plusieurs familles, capable de produire un conseil au service exclusif de leurs intérêts patrimoniaux. Le family office suppose donc la préservation de la cohérence familiale dans une vision à long terme, transgénérationnelle. Il requiert des compétences larges, multidisciplinaires, développées en interne ou en externe, en fonction de la taille du patrimoine et de son degré de diversification ou de complexité.  Du reste, le métier en soi n’est pas réglementé. Il a été officiellement traduit par « gestionnaire de grande fortune », sur proposition de la commission de terminologie et de néologie économique et financière, validée au Journal officiel du 17 juin 2012. La définition française du family office est donc « un organisme spécialisé dans la gestion administrative et financière de patrimoines importants ». Belle litote.

« À la différence de la gestion privée, le family office ne se limite pas à la gestion financière. Il aborde d’autres thématiques spécifiques en fonction des besoins des familles : fiscalité, gouvernance, éducation, philanthropie… En relation très étroite avec la famille, il offre un rôle de conseil et suppose la préservation de la cohérence familiale dans une vision à long terme, transgénérationnelle. Un Family Office possède une structure à travers laquelle l’on réaliser de la gestion de fortune avec des degrés de compétences élevés et de toute nature. Son champ d’application est plus large que celui des conseillers en gestion de patrimoine qui répondent plus souvent à une demande plus ciblée pour des patrimoines de taille intermédiaire », souligne avec subtilité Christel Bapt, président et fondateur de Cedrus Partners, conseil en investissements financiers, notamment pour le compte de family office, sur plus de 17 milliards d’euros d’actifs. Il existe aujourd’hui deux types de family office : le canal « historique » (le mono-family office) et le canal « habituel » (le multi-family office). Le mono-family office est une structure généralement mise en place par les familles les plus fortunées. Elle est dédiée à la gestion exclusive du patrimoine d’une seule famille et lui consacre la totalité de son activité, comme les holdings des familles Dassault et Peugeot ou BMGI, la société qui gère la fortune du fondateur de Microsoft et de la Bill & Melinda Gates Foundation. Le multi-family office consacre, lui, son activité à plusieurs familles clientes. Deux types de multi-family office se développent actuellement, notamment en France : l’indépendant et le bancaire. Le premier tire son épingle du jeu grâce à la qualité de ses prestations. Il a pour actionnaires de multiplrs associés, personnes physiques.  Le second, offre une structure dédiée aux clients très fortunés de la banque à laquelle il est adossé.

Alors, mono ou multi ?

Le choix est vite fait. Par définition, la seule façon de profiter des services d’un mono-family office est d’en créer un vous-même ! « Dans ce cas, vous devez recruter votre propre personnel et assumer entièrement le risque opérationnel qui en découle. L’avantage de cette option est que vous allez pleinement contrôler votre family office qui fournira exactement les services adaptés aux besoins de votre famille », observe Christel Bapt. L’inconvénient est que les mono-family offices sont, dans la plupart des cas, créés par des familles dont la fortune globale sera d’au moins 400 millions d’euros ou dont le patrimoine se révélera particulièrement complexe, fort, par exemple, de plusieurs entreprises détenues par la famille concernée. « Certes, il ne semble absolument pas nécessaire de disposer d’un tel patrimoine, mais compte tenu des coûts liés à cette structure, il apparaît préférable de disposer d’une fortune supérieure à 200 millions d’euros pour envisager raisonnablement de créer son propre mono-family office » estime Bapt. En clair, cette structure est réservée à l’élite de l’élite financière, soit le top des personnes très fortunées au patrimoine supérieur à 30 millions de dollars (UHNWI pour Ultra High Net Worth Individuals).

Ces mono-family offices font de plus en plus appel à des « ultraspécialistes », qu’il s’agisse d’investissement financier, immobilier, etc., afin d’accompagner les équipes internes dans la recherche de solutions au-delà des frontières et de disposer d’un flux de dossiers d’investissement suffisamment étoffé pour répondre à leurs besoins grandissants tant en termes de quantité, que de qualité.

Si vous ne rentrez, pas encore, dans cette caste, il faudra vous rabattre sur le multi-family office, ce qui n’a rien d’infâmant ! Oui, mais alors viser un groupe indépendant ou non ? Le choix vous appartient. Les structures indépendantes érigent leur liberté en principal atout, arguant que contrairement au family office bancaire, elles ne seront jamais tentées par l’idée de placer certains produits maisons à leurs clients ou de « faire du copinage » en conseillant d’investir auprès de certaines banques dans l’attente d’un renvoi d’ascenseur.

Vive l’indépendance

Justement, parlons banques, quand elles revendiquent l’indépendance. La Banque Delubac & Cie, par exemple, rappelle que cette indépendance constitue l’un de ses principaux atouts. Elle est l’un des trois seuls établissements financiers organisés sous la forme d’une société en commandite simple. Avec son fils Joël-Alexis Bialkieiwcz et Jean-Michel Samuel, petit-fils du fondateur, Serge Bialkiewicz est l’un des trois associés. Chacun est responsable indéfiniment et solidairement des dettes de la société. L’établissement fonctionne en architecture ouverte, ce qui signifie que les gérants proposent à leurs clients les meilleurs fonds disponibles sur le marché. Les clients du reste apprécient l’esprit familial, la vision long terme et une véritable proximité avec leurs interlocuteurs. C’est donc du family office pur.

Les autres family offices, filiales de banques ou de sociétés de gestion, assurent elles aussi travailler en toute indépendance. « Contrairement aux banques privées, dans le cadre de nos missions de family office, nous ne gérons pas les comptes de nos clients, nous les accompagnons. Une famille nous mandate pour superviser son patrimoine, explique Marie Saltiel. Nous nous servons de notre ADN de gérants pour discuter avec les banques, sociétés de gestion de nos clients, sans jamais être juge et partie. Quand nous conseillons certains investissements, nous devons prouver que nous faisons le bon choix, en termes de rendements et de risques, et en en toute indépendance. »

De toute manière, assurent les professionnels du secteur, les clients ne sont pas dupes. « Le métier du family office repose sur la confiance, elle ne se décrète pas », rappelle Marie Saltiel. Pour laquelle la supervision est un moyen de rentrer progressivement dans la famille, de plus en plus sollicité sans jamais rentrer dans un conflit d’intérêts.

Quels placements privilégient les family offices ?

En 2018, les family offices qui ont répondu au baromètre Affo-Opinion Way affirment que les familles demeurent prudentes sur les investissements et qu’elles souhaitent continuer à allier performance et risque modéré. Comme pour les deux premières éditions, une grande majorité (66 %) présentent un profil d’investisseurs équilibrés. Toutefois, les family officers les perçoivent comme un peu moins prudentes sur leurs investissements que l’an dernier (14 %, – 7 points). Un plus grand nombre de familles ont, selon eux, un profil d’investisseur dynamique (11 %, + 4points). Les familles au profil d’investisseur offensif continuent, elles, de représenter une très faible minorité (1 %, – 1point).  Cette année, les placements dans les actions cotées (22 %) ressortent en tête et augmentent de 8 points par rapport à 2017. Ils sont suivis par le private equity (20 %, investissements directs 11 % et via des fonds 9 %), en augmentation de 6 % par rapport à 2017. L’investissement dans l’immobilier (18 %, 15 % pour le locatif et 3 % pour la pierre papier) se place en 3e position, équilibré par rapport à 2017. L’assurance vie en euros suit avec 13 %.

Du côté de l’allocation d’actifs, Christel Bapt observe un intérêt croissant des familles pour les non cotés de manière générale et, plus particulièrement, pour les projets d’infrastructures, soit à travers un fonds, soit une entreprise spécialisée. « Pour des raisons budgétaires, l’État finance de moins en moins les infrastructures, telles que des routes ou des réseaux télécoms, et laissent au secteur privé le soin d’investir à sa place. Or ces placements correspondent bien aux besoins des familles. Ils offrent un rendement indexé sur l’inflation, sont de long terme et font sens dans la mesure où ils servent à l’intérêt général. » Cette volonté de donner du sens à son argent s’illustre également dans l’engouement des familles pour « l’impact investing » en train de supplanter  l’investissement socialement responsable (ISR). « Alors que dans les placements ISR la priorité reste axée sur le rendement financier, dans l’impact investing l’objectif de performance est double. On recherche à la fois une performance sociétale, l’impact, et une performance financière caractérisée par une pérennité et une indépendance financière du projet », explique Christel Bapt. L’impact investing consiste donc à investir en donnant un impact sociétal à son épargne tout en voulant résoudre des problématiques de société cruciales grâce à une dynamique d’entreprise.

La philanthropie en plein essor

Si les banques privées peuvent, elles aussi, offrir leur savoir-faire en termes d’allocations d’actifs, elles ont rarement les compétences des family officers dans la philanthropie, une activité en plein essor grâce à un environnement juridique et fiscal attractif, notamment depuis la loi d’août 2003 sur le mécénat et les fondations. Aussi concret que durable, l’essor de la philanthropie traduit une évolution de la conception de l’intérêt général, à laquelle les acteurs privés (dont les entreprises familiales) apportent leur expertise, leur potentiel de mobilisation et d’influence, leurs réseaux, leur capacité d’innovation ainsi que leur contribution financière. « Si la philanthropie reste avant tout une affaire d’altruisme et de passion, elle s’intègre de plus en plus aux réflexions sur la gestion patrimoniale et la gouvernance familiale, dans une vision transgénérationnelle porteuse de valeurs et de sens. Elle exige ainsi une approche méthodique et professionnelle, tant vis-à-vis des philanthropes que des acteurs et des bénéficiaires de ces initiatives », explique François Mollat du Jourdin, secrétaire général de l’Affo. L’accompagnement des familles, de la définition à la mise en œuvre des projets philanthropiques, fait partie intégrante de la mission des family offices.

Pierre-Jean Lepagnot

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