La gestion de patrimoine ? Dans la tourmente

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«Entre traumas économique, sanitaire et climatique, et banques centrales de plus en plus convaincues de l’insuffisance de leur action, la rentrée s’ouvre décidément sous le signe d’une incertitude sans égale. » L’économiste indépendante Véronique Riches-Flores ne pourra pas se voir taxée d’excès d’optimisme, mais il semble difficile de contester son analyse. L’ambiance du salon Patrimonia, organisé les 1er et 2 octobre à Lyon, risque ainsi de se montrer particulière, au-delà des mesures de sécurité exceptionnelles mises en place pour protéger ses participants de la covid. Sur quoi porteront principalement les échanges entre les conseillers en gestion de patrimoine, sociétés de gestions, banquiers et assureurs ? Cette crise, comme celle de 2008, touche pratiquement toutes les classes d’actifs, sauf l’or et sans doute certains segments du private equity. Naviguer dans un tel environnement réclame plus que jamais la vision à 360 degrés de spécialistes, encore faut-il savoir de quoi ils parlent. Nous avons tenté d’identifier et d’expliquer les principaux thèmes susceptibles d’animer les discussions autour des stands du Centre de Congrès de Lyon en ce début d’automne baigné d’inquiétudes.

L’ISR en vedette

Si la crise doit retenir un mérite, c’est sans doute d’accélérer la prise de conscience des acteurs de l’asset management sur l’importance de l’investissement responsable et/ou solidaire (ISR). Lors d’un entretien publié sur le site du salon Patrimonia, Vincent Auriac, fondateur d’Axylia, cabinet de conseil en investissements financiers confirme : « Pendant la récente crise, les placements ISR ont montré qu’ils pouvaient offrir davantage de sécurité et de rendement que les produits classiques. Pour mieux appréhender ce phénomène, nous avons analysé les performances des valeurs du CAC 40 en fonction des notes ESG attribuées par MSCI et les résultats sont probants. La crise de covid-19 semble d’ailleurs marquer l’enclenchement d’une spirale vertueuse. » L’explication est simple. De plus en plus d’investisseurs ciblent des entreprises de bonne notation ESG. Ces flux acheteurs font monter les cours et installent la surperformance des entreprises les mieux notées. Dans une étude récente, BlackRock souligne toutefois qu’un long chemin reste encore à parcourir. Selon le premier gestionnaire d’actifs au monde, les risques climatiques – notamment le risque hydrique – continuent de se voir sous-estimés dans les portefeuilles. « Nous observons une transformation des investissements vers toujours plus de durabilité, mouvement amplifié par la crise sanitaire actuelle. Comme le démontrent de récentes études, nous sommes convaincus que les actifs durables seraient plus résilients et performants au cours de la longue transition vers un monde à faible émission carbone », explique le géant américain. Pour répondre à l’intérêt croissant des épargnants vis-à-vis des placements responsables, les conseillers en gestion de patrimoine peuvent compter sur les efforts significatifs fournis ces toutes dernières années par les sociétés de gestion sur le sujet. De plus en plus de produits sont libellés ISR. Si les fonds actions sont très majoritaires, les sociétés de gestion poussent les feux sur d’autres produits. Par exemple, La Française a déposé cet été le dossier de candidature de son premier fonds collectif en immobilier. À l’obtention du label, le gérant disposera d’une gamme complète de fonds, en valeurs mobilières et immobilières, bénéficiaires du Label ISR. Les assureurs aussi se penchent sur l’investissement responsable. De plus en plus de contrats d’assurance vie se présentent comme « solidaires ». Certes, rares sont encore ceux qui sont investis à 100 % en ISR. Mais beaucoup proposent une offre composée de fonds durables. Cette tendance devrait se renforcer avec la loi Pacte qui contraint depuis cette année tous les assureurs à intégrer dans leur catalogue au moins un fonds labellisé ISR ou bien un fonds de label Greenfin, qui distingue les produits d’investissement dotés d’un objectif environnemental direct.

L’importance de la proximité

La crise de la Covid-19 a également eu pour conséquence de rappeler à quel point la relation client était cruciale dans l’univers de la gestion. Forts de leur taille « humaine », des établissements comme Cholet Dupont ou encore la Banque Delubac ont répondu immédiatement aux inquiétudes de leurs clients. Alors que banques de détail ont industrialisé le métier afin de soutenir une rentabilité affectée par la baisse des taux et le durcissement de la réglementation, les acteurs de la banque privée, centré sur le service, ont clairement tiré leur épingle du jeu.

L’immobilier continue de séduire

La pandémie et le confinement ont également confirmé l’importante de l’immobilier pour les Français.es. En mai, un sondage réalisé pour les notaires bretons auprès de 571 études et cité par Les Échos montrait une hausse de 45 % des consultations en vue d’un achat par rapport à mai 2019. Un quart des demandes concerne l’achat d’une résidence secondaire Au-delà même de l’achat d’une résidence principale, l’immobilier est sollicité par de nombreux investisseurs, car il représente un bien tangible, sécurisé et pérenne. En ce qui concerne l’immobilier physique, les experts affichent ainsi globalement une certaine confiance, même si tout dépend, c’est une règle d’or scandée par tout agent immobilier, de l’emplacement. En tout état de cause, les dispositifs Pinel, Malraux et LMNP (résidences services) devraient continuer de susciter l’intérêt. « L’atout de l’immobilier physique est d’être assez liquide. Son inconvénient, se concentrer sur un ou deux biens. En outre, il souffre de droits de mutation qui n’incitent guère à multiplier les achats-ventes », rappelle Éric Fransceschini, banquier privé, gérant de portefeuilles et codirecteur de la gestion chez Bordier & Cie (France). Raison pour laquelle les SCPI – la fameuse « pierre-papier » – ont le vent en poupe ces dernières années. Avec un ticket d’entrée de 1 000 euros, n’importe quel épargnant devient propriétaire d’une part d’une société détenant des dizaines, voire des centaines de lots. D’autant que ce placement a longtemps offert des rendements supérieurs à 5 % par an. Aujourd’hui pourtant, de nombreux observateurs s’inquiètent. L’effondrement de la conjoncture, conjugué à l’essor du télétravail, pourrait casser la martingale.

Les SCPI, du papier solide comme de la pierre

Une crainte que tient à relativiser Christian Cacciuttolo, président de l’Unep – Union nationale d’épargne et de prévoyance. Selon lui, en cas de crise majeure, la SCPI devrait, tout comme l’or, jouer son rôle de valeur refuge avec la certitude qu’il s’agit de l’une des seules classes d’actifs à distribuer des dividendes. « Prenons par exemple, la principale SCPI de Sofidy, Immorente : les défauts n’ont finalement représenté que 7 % des loyers. Résultat, la performance globale de la SCPI pourrait se situer entre 4,1 et 4,25 % cette année après 4,5 % en 2019 », révèle Christian Cacciuttolo. Il faut savoir que le taux d’occupation des lots d’une SCPI se situe traditionnellement entre 85 et 88 %. Dès lors, l’impact de quelques défauts sur ce taux est négligeable. « Le taux de récupération des loyers atteint une moyenne de 78 % au second trimestre. Ce résultat est finalement très positif : les sociétés de gestion avaient envisagé des scénarios plus pessimistes face à la crise. L’hôtellerie et le commerce sont les classes d’actifs les plus affectées alors que la santé, la logistique et le résidentiel connaissent des taux de recouvrement proches de 100 % », constate Pierre Garin, directeur du pôle immobilier de Linxea, qui publie un observatoire des SCPI qui analyse les résultats de 61 d’entre elles sur la centaine commercialisée. Autre point positif, les SCPI n’ont pour l’instant constaté aucune baisse de la valeur des actifs qu’elles détiennent. La société de gestion Primonial, un acteur majeur du secteur, a fait expertiser son parc immobilier au 30 juin. Ces expertises n’ont indiqué aucune baisse par rapport aux expertises de la fin 2019, elles ont même révélé des valeurs en hausse sur les actifs de santé et résidentiels. Bien sûr, si la crise venait à perdurer plusieurs années, la performance de ces SCPI s’en trouverait immanquablement dégradée. « Toutefois, assure Christian Cacciuttolo, l’immobilier est un objet de consommation qui s’adapte à la demande et un bien correctement placé trouve toujours un locataire dans un marché de l’immobilier marqué dans les grandes villes par une insuffisance structurelle d’offre. Le marché du bureau va sans doute évoluer, mais pas autant que certains le prédisent avec l’essor supposé du télétravail. Certes, ils vont être réaménagés, avec des zones plus conviviales, des salles de réunion plus spacieuses et davantage de bureaux fermés, mais ils ne disparaîtront pas. Les sociétés auront plutôt tendance à chercher davantage de mètres carrés », juge le professionnel. L’Unep privilégie, schématiquement, une allocation de portefeuille avec 60 % en immobilier (aux trois quarts de SCPI) et 40 % en actifs financiers (15 % en fonds en euros et 25 % en OPCVM). « Nous conseillons, ajoute Cacciuttolo, d’intégrer des SCPI dans un contrat d’assurance vie afin de sécuriser la performance et la régularité, mais attention aux frais, tous les contrats ne se valent pas ! »

Avant de clore le chapitre immobilier, il est pertinent d’évoquer d’autres produits, même s’ils ne sont pas accessibles à toutes les bourses. D’abord, le « club deal ». Il s’agit de plusieurs investisseurs qui se réunissent pour acquérir ensemble un bien de valeur. L’idée est d’investir dans un bien qui demande beaucoup de travaux, de le réhabiliter selon les tendances du marché avant de le revendre avec une confortable plus-value. Autre produit, les fonds concentrés sur peu d’actifs et dont le rendement est alléchant. « Chez Bordier & Cie, nous nous sommes spécialisés dans ces fonds réservés en principe aux grands institutionnels et dont la perspective de rendement est susceptible d’atteindre deux chiffres. La part se chiffre en effet à plusieurs millions d’euros. Nous fractionnons chaque part avant de permettre à nos clients d’y entrer pour 200 000 euros », explique Éric Franceschini.

Le private equity encore difficilement accessible

Les investisseurs prêts encore une fois à sacrifier leur liquidité pendant quelques années miseront entre autres sur le private equity, un marché malheureusement encore difficilement accessible pour le commun des mortels, au grand dam de Michael Sfez, président de Kermony Capital : « L’enjeu est de proposer aux professionnels du patrimoine pour leurs clients des solutions jusque-là réservées aux grands fonds et aux investisseurs institutionnels. Cette mission est difficile. Le ticket d’entrée dans le non coté est élevé, 100 000 euros minimum, et la progressivité des appels de fonds complexifie encore la donne. Pour autant, le non coté bénéficie de beaucoup de catalyseurs. De nombreuses entreprises ont besoin de capitaux pour se financer alors que les banques, pour des raisons réglementaires et stratégiques, se montrent de plus en plus timorées. À cet égard, une grande partie de la croissance future se situe selon moi sur le non coté. C’est clairement un segment attractif qui peut dégager une rentabilité à deux chiffres. Les family offices ne s’y trompent pas, avec une exposition de 20 % en moyenne. » Au sein du private equity, le capital-risque apparaît un segment attractif. « La covid-19 est en train de mettre en place de nouveaux usages : la livraison de repas, la mobilité individuelle, l’alimentation plus saine. Il faut jouer sur ces thèmes de croissance », conclut Éric Franceschini qui commercialise auprès de ses clients un fonds star réservé généralement aux grands de ce monde : le fonds White Star. Mise d’entrée : 250 000 euros, tout de même.

Pierre-Jean Lepagnot

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