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Par les membres du collectif Entreprendre la Ruralité
TRIBUNE. Entreprendre en milieu rural, une évidence… sur le papier. Manque de réseaux, financements rares, isolement : les freins sont bien réels. Pour y répondre, il faut repenser l’accompagnement, au plus près des territoires et de leurs habitants.
Même lorsqu’il est communément acquis que l’entrepreneuriat constitue, pour nos territoires ruraux, un formidable levier de revitalisation économique, il demeure une réalité, encore aujourd’hui, assez peu prompte à l’encourager. Tout d’abord un chiffre, éloquent : selon l’étude menée par YouGov pour la start-up Legalstart, en région parisienne 32 % des personnes interrogées se sentent dans de bonnes dispositions pour entreprendre, ce chiffre tombe à 19 % pour les personnes vivant en zones rurales. Outre les freins classiques à l’entrepreneuriat auxquels sont soumis les porteurs de projets, l’émergence et le déploiement d’initiatives issues de territoires ruraux se heurtent à des difficultés qui leur sont propres.
Une meilleure connaissance des freins
En premier lieu, citons la moindre solvabilité des marchés en ruralité. La faible densité de population au sein des territoires ruraux rend en effet plus difficile l’atteinte d’une rentabilité financière. Ces enjeux de taille de marché rendent d’autant plus nécessaire la réalisation d’une étude de marché rigoureuse et l’implication des habitants dès la conception du projet. Ce qui ne semble pas toujours aisé à mettre en œuvre… En second lieu, impossible de ne pas mentionner l’isolement et le manque de réseaux, moins nombreux et moins denses que dans les métropoles. Puis, viennent les difficultés d’accès aux financements. Malgré des évolutions importantes et encourageantes ces dernières années, les possibilités de financements publics et privés restent encore largement concentrées dans les grands centres urbains ou à l’échelle nationale. Les collectivités rurales, de taille plus réduite ont de fait des budgets plus faibles.
Ces difficultés sont encore plus marquées pour les phases d’amorçage, en raison des risques associés à l’expérimentation. Par ailleurs, il existe encore des freins matériels liés aux problématiques de mobilité. Celles-ci sont renforcées dans le cas de contraintes liées aux gardes d’enfants ou à la morphologie du territoire (reliefs montagneux). Et enfin, il demeure des enjeux de posture entrepreneuriale. Une grande majorité des entrepreneurs de territoire dans les zones rurales sont en effet en situation de reconversion professionnelle. D’autres peuvent être des acteurs publics, notamment des maires. Il en découle des sujets de postures, vis-à-vis de leur projet, des acteurs locaux, ainsi que de familiarité avec le langage entrepreneurial et économique. Le terme même d’entrepreneur peut éveiller des craintes chez certains et, lorsque la dimension sociale du projet est fortement valorisée, les aspects liés aux modèles économiques et à la rentabilité financière sont abordés plus difficilement.
La nécessité de créer un « circuit-court » de l’accompagnement
Si la terminologie se démocratise de plus en plus, il convient ici d’en appliquer toutes les composantes en faveur de l’entrepreneuriat dit « de territoire ». Le circuit court de l’accompagnement tient à trois priorités : susciter la mobilisation citoyenne et entrepreneuriale, engager des démarches d’« aller-vers », et renforcer l’ingénierie locale d’accompagnement. En effet, les entrepreneurs en ruralité ne peuvent pas se contenter de dupliquer des activités économiques « standardisées » qui ne tiennent pas compte des habitants, de l’histoire et des cultures des territoires. Les consulter devient une nécessité dans un premier temps.
Les impliquer dans un second temps peut même conditionner l’adoption d’une offre ou d’un service et de fait la réussite d’un projet. Il est par ailleurs essentiel que les accompagnateurs aillent plus souvent à la rencontre des entrepreneurs, au plus près de leur lieu de vie et de travail, afin d’atteindre celles et ceux que les institutions n’arrivent pas à toucher, qui ne poussent pas la porte des chambres consulaires pour être accompagné.e.s. Sans oublier toutes celles et ceux à qui les contacts et les réseaux de proximité manquent pour pouvoir bénéficier d’outils et de conseils, voire pour imaginer l’entrepreneuriat comme une possibilité.
Enfin, force est de constater que les acteurs institutionnels présents et bien qu’indispensables, ne sont pas toujours en capacité d’accompagner les entrepreneurs lorsque ceux-ci s’investissent dans des activités hybrides ou collectives, à fort impact social et/ou environnemental. Alors que des acteurs associatifs ancrés territorialement peuvent avoir plus de capacité et d’expertise pour le faire. Il y a donc un enjeu à appuyer plus fortement un déploiement de proximité du secteur associatif de l’accompagnement entrepreneurial.
En ruralité, le défi n’est donc plus seulement d’accompagner des porteurs de projet à « amorcer », mais aussi d’encourager des dynamiques au long-cours de changement d’échelle et de coopération territoriale, qui favorisent l’émergence de solutions viables et pertinentes ! Le point de départ peut ainsi être également l’accompagnement d’une collectivité locale pour révéler, grâce à la mobilisation des citoyens et des entrepreneurs existants, les besoins précis et opportunités de développement d’un territoire.
Les signataires de la tribune :
Eric d’Engenières, directeur des Programmes de la Fondation Entreprendre
Cécile Daclin, déléguée générale Fondation RTE pour les ruralités
Laure Lignon, directrice Terre & Fils
Elise Depecker directrice d’ATIS
Elise Picon, co-directrice d’Airelle
Alexia Noyon, directrice générale la Chartreuse de Neuville
Josepha Poret, directrice générale de Ronalpia
Sébastien Lévrier, cofondateur et directeur associé de Les Petites Rivières
Emmanuel Rivat, cofondateur et directeur de l’Agence Phare
Ricardo Scacchetti, directeur général d’Impact Track.