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Tout augmente, sauf les salaires. Voilà le ressenti – pas forcément vérifié dans les chiffres selon les situations de chacun·e – qui domine actuellement en France. Face à une inflation galopante, les ménages français s’inquiètent de leur pouvoir d’achat. Un des leviers pour inverser la tendance : une hausse des salaires enclenchée non pas par l’État mais par… les entreprises ! Pas si simple.
En termes de pouvoir d’achat, ce ne sont pas forcément les chiffres, bruts et objectifs, qui apaiseront celles et ceux qui, ou bien ne parviennent pas à épargner, soit n’arrivent plus à joindre les deux bouts. Allez dire aux gilets jaunes que leur pouvoir d’achat a, en moyenne, augmenté de 0,9 % par unité de consommation sous le quinquennat Macron ! C’est pourtant bien ce qu’il ressort d’une étude menée par l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) en mars. Souci, « vous ne pouvez pas réparer en cinq ans les conséquences d’une dizaine d’années durant lesquelles nombre de Français·es n’ont pas vu augmenter leur pouvoir d’achat », nous confie Mathieu Plane, directeur adjoint au département analyse et prévision à l’OFCE. Sans oublier que le pouvoir d’achat, comme l’ont en tête les ménages – soit le reste à vivre une fois toutes les dépenses contraintes retranchées – ne rejoint pas forcément la définition des experts : l’évolution des revenus (salaire, patrimoine, etc.) rapportée à celle des prix. Les deux approches n’ont donc pas forcément la même vision des dépenses contraintes. Les transports, entre autres, ne sont pas forcément pris en compte par les spécialistes…
Hausse du Smic, fausse bonne idée ?
Le gouvernement a pris conscience de la hausse généralisée des prix et invite les entreprises à augmenter les salaires. C’est un souhait, pas une contrainte. L’État ne peut pas tout faire, hormis quelques pansements qui soulagent temporairement le porte-monnaie des plus démuni·es (chèque carburant, indemnité inflation…).
Donc, les entreprises ont aussi, surtout, leur rôle à jouer : « Il faut que le travail paie et paie bien […] Les entreprises qui peuvent augmenter les salaires doivent le faire », a insisté le ministre de l’Économie et des Finances reconduit, Bruno Le Maire, fin mai, lors de la réception à Bercy des organisations patronales et fédérations professionnelles. Là est toute la question. Toutes les entreprises, notamment les plus petites, ne reverront pas les salaires à la hausse. « Seules les entreprises qui affichent des gains de productivité vont peut-être augmenter les salaires durablement, car dans le cas contraire, cette mesure aura un impact négatif sur la compétitivité des entreprises », défend Mathieu Plane.
Une entreprise qui augmente les salaires a tendance à répercuter cette hausse à travers ses prix – inflation par les coûts. « Elles les répercuteront sur leurs prix, en les augmentant, synonyme d’une spirale inflationniste », comprenez le serpent qui se mord la queue, « soit elles accepteront de rogner sur leurs marges et profits », explique l’économiste. Mais « la responsabilité sociale de l’entreprise consiste à accroître ses profits », lançait il y a 50 ans Milton Friedman. Alors, pour augmenter les salaires et ne pas répercuter totalement cette mesure sur une hausse des prix, faudra-t-il rompre avec ce principe cher à l’économiste américain ?
L’État, lui, a la main sur la revalorisation ou non du Smic, reliquat de l’époque où ce même État indexait les salaires sur l’inflation à deux chiffres jusqu’en 1982 – tous les salaires et pas uniquement le salaire minimum. Conserver ce mécanisme uniquement pour le Smic devait éviter justement les spirales inflationnistes. Pour Mathieu Plane, le défi aujourd’hui n’est pas la hauteur du salaire minimum : « Avec 1 300 euros net par mois, quand vous ajoutez la prime d’activité pour une personne seule à 200 euros, vous arrivez à 1 500 euros net chaque mois », illustre-t-il. Un salaire qui n’a rien à envier à celui pratiqué par nos voisins européens ! L’économiste rompt donc avec certaines propositions des candidats à l’élection présidentielle récente, comme Jean-Luc Mélenchon (LFI), partisan d’un Smic à 1 500 euros net par mois. « Augmenter très fortement le Smic risque de conduire à une forme de smicardisation de la société où les salaires les plus bas se rapprochent des salaires intermédiaires pour ne constituer plus qu’une catégorie avec de très faibles perspectives d’évolution au cours de la carrière, anticipe l’économiste. Le problème n’est pas tant ce jeune de 18 ans sans expérience ni formation qui perçoit un revenu à 1 500 euros net par mois, mais cette femme de 40 ans, diplômée et expérimentée, qui plafonne à 1 700 euros… », estime le spécialiste de l’OFCE. Ce sont les salaires intermédiaires sur lesquels il faut s’interroger, ceux de la classe moyenne.
Ce qui est rare est cher…
« Les salarié·es ont tendance à se tourner vers l’État pour voir leur pouvoir d’achat augmenter alors qu’ils et elles devraient aussi – voire avant tout – négocier avec les entreprises », enchaîne Plane. Aujourd’hui, avec un taux de chômage en baisse à près de 7 %, des difficultés de recrutement très importantes dans certains secteurs, le rapport de force est bien plus en faveur des salarié·es qu’il y a quelques années lorsque le taux de chômage avoisinait 10 %. Ce qui rappelait la fameuse armée de réserve développée par l’économiste, philosophe et sociologue Karl Marx. Un·e salarié·e mécontent·e était rapidement remplacé·e. Un peu moins vrai de nos jours…
Dans certaines filières où manque cruellement la main-d’œuvre, les entreprises ont tendance à augmenter les salaires pour attirer les talents et même les conserver. Ce qui est rare est cher. Autrement dit, la question de la hausse de tous les salaires se conçoit dans une économie de plein-emploi ; c’est-à-dire une économie qui témoigne d’un taux de chômage bas et incompressible, environ 5 %. Dès lors, les négociations se feront plus aisément entre entreprises et salarié·es – des coachings se mettent déjà en place dans les entreprises pour que les femmes, moins à l’aise pour demander une augmentation, parviennent à négocier leur salaire, nous a confié la déléguée générale de l’AFMD, Maya Hagege (lire ÉcoRéseau Business 89, p. 24). Motif d’espoir, « le plein-emploi est à portée de main », déclarait l’ancienne ministre du Travail et Première ministre Élisabeth Borne. Il le faudrait, car le quinquennat Macron II n’a plus le droit à l’erreur s’il veut éviter de nouvelles tensions sociales dans le pays.