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Elle rêvait de devenir professeur de français. Mais entre le goût des mots et celui des autres, la frontière est parfois fine. Depuis 2017, Fabienne Arata-Camps est Country Manager France du plus grand réseau professionnel au monde, LinkedIn – 1 milliard de membres, dont 30 millions en France. Son but ? Favoriser la rencontre entre des femmes et des hommes aux intérêts communs, et qui ne se seraient peut-être jamais rencontrés autrement. Fabienne Arata-Camps en est convaincue, LinkedIn s’avance comme un véritable accélérateur de carrière. Le réseau de tous les possibles, où personne ne doit se sentir exclu. Avant de se hisser au sommet, la cheffe d’entreprise a dû affronter nombre d’obstacles. Son passage en classe prépa scientifique a été vécu comme une épreuve, d’autant plus quand vous excellez dans les matières littéraires. Un sentiment de ne pas avoir emprunté le bon chemin, le sien. S’ensuit une école de commerce, Skema. Puis IBM en 1989, une entreprise « sérieuse » selon les dires de son père. Elle y restera vingt ans, grâce aux valeurs, à l’éthique, et aux mobilités internes successives qui lui ont toujours permis de garder sa flamme allumée. Avant LinkedIn, Fabienne Arata-Camps travaillera pour Columbus IT et Manpower Group. Une réussite remarquable, qui pourrait bien inspirer nombre de femmes à briser le plafond de verre. « Tous les chemins, aussi sinueux soient-ils, mènent à bon port », dixit Taha-Hassine Ferhat, ingénieur, entrepreneur et amoureux de philosophie. Entretien.
Comment avez-vous rejoint LinkedIn en 2017 ?
Figurez-vous que je suis un pur produit de LinkedIn ! Avec une de mes connaissances professionnelles, que j’ai rencontrée lors de mes passages à IBM puis Manpower, nous n’avions jamais cessé de nous « suivre » sur LinkedIn. Et puis un jour elle m’appelle pour m’informer de la création d’un poste au sein de LinkedIn, celui de Country Manager France. « Je donne ton nom ? », m’a-t-elle proposé. J’ai accepté. C’est comme cela que j’ai rejoint, à 51 ans, la filiale française de LinkedIn en janvier 2017.
Aujourd’hui LinkedIn apparaît comme un réseau professionnel où l’on tisse et entretient des relations, mais avant cela, c’était avant tout une plate-forme de recrutement ?
Absolument, le recrutement était la pierre angulaire du réseau à ses débuts. Avec d’un côté des candidats qui s’inscrivaient sur LinkedIn parce qu’ils recherchaient un emploi, et de l’autre des entreprises en quête de talents. Mais il se trouve que LinkedIn a suivi les évolutions du marché de l’emploi où trouver des compétences, les bonnes personnes ou la bonne structure, se construit sur un temps long. D’où le passage d’une plate-forme de recrutement à un réseau professionnel. Dit autrement, la proposition de valeur de LinkedIn s’est enrichie.
Concrètement aujourd’hui, à quoi sert un réseau professionnel comme le vôtre ?
Vous allez aujourd’hui sur LinkedIn pour trois motifs. Trouver un emploi, que vous soyez en recherche active ou simplement à l’écoute d’opportunités éventuelles. Construire un réseau, via les relations que vous tissez et entretenez. Et enfin pour accéder à l’information et au contenu, à la fois éditorial ou de formation. Si on la résume, notre ambition vise à offrir des opportunités économiques à chaque membre de la population active mondiale. Et le terme qui compte le plus pour nous dans cette ambition : « chaque » ! Personne ne doit se sentir exclu. Non LinkedIn France n’est pas un réseau qui s’adresse uniquement aux cadres supérieurs puisque nous comptons cinq millions de professionnels qui exercent un métier non-télétravaillable. Ce n’est pas non plus un réseau pour les seniors dans la mesure où 2,5 millions d’étudiants sont inscrits sur la plateforme. Et pour ce qui est de Paris… 75 % des utilisateurs vivent hors Île-de-France. L’enjeu étant de battre en brèche un certain nombre de fantasmes. Chacun peut y trouver sa place et s’y sentir légitime.
Vous avez parlé de contenus de formation, n’est-ce pas ce que propose LinkedIn Learning ?
Oui, il s’agit d’une plate-forme de cours en ligne à la demande. Les utilisateurs peuvent accéder à des cours vidéo, plusieurs milliers sont disponibles, pour se former sur certaines compétences afin de rendre leur profil plus attractif sur le marché du travail. Les cours permettent aussi aux entreprises de former en interne leurs collaborateurs. C’est ce que nous avons fait notamment avec le Crédit Agricole. Entre mai et décembre 2024, les 75 000 collaborateurs de Crédit Agricole S.A. et ses filiales, en France et à l’international, ont pu accéder de façon illimitée à des dispositifs de formation et de mobilité. C’est simple, la moitié des acteurs du CAC40 recourent à l’offre de formation de LinkedIn.
Quelles sont les compétences les plus recherchées sur le marché du travail ?
Les compétences vertes ! Nous avons d’ailleurs publié un rapport sur le sujet fin 2024. Les candidats dotés de compétences vertes liées à la transition écologique sont recrutés à un taux 1,5 fois plus élevé que le reste des actifs dans l’hexagone. Bien sûr toutes les compétences en matière d’intelligence artificielle (IA) sont également très recherchées. Et enfin, de plus en plus, des compétences comportementales, comme l’esprit critique, la créativité, la collaboration. Ces compétences s’apprennent, se développent et s’entretiennent. L’École a aussi un rôle à jouer, et ce dès les petites classes où favoriser les travaux en groupe, les présentations orales, contribuera à une meilleure intégration sur le marché du travail, parce qu’en lien avec les attentes des entreprises.
Si l’on revient à LinkedIn, quelle en est votre utilisation personnelle ?
Plutôt classique. Je recours à LinkedIn pour m’informer, sur des industries, des secteurs, les sujets qui montent, les tendances… Pour découvrir un maximum de choses tout simplement. J’utilise la plate-forme aussi pour cultiver mon réseau, rester en relation avec certaines personnes. Aujourd’hui LinkedIn fait vraiment partie de mon quotidien, c’est devenu un réflexe lorsque j’attends l’avion ou le train.
Est-ce aussi facile de publier sur LinkedIn lorsque l’on est une femme ? Certaines concèdent ressentir un manque de légitimité lorsqu’il s’agit de prendre la parole en public, sur un réseau.
Notre leitmotiv, je le rappelle, est d’offrir à chaque membre un accès équitable à l’emploi, au réseau, et à l’information. Nous travaillons comme des horlogers de précision, des artisans, pour lesquels le moindre détail compte. LinkedIn fait tout pour que chacun, femme ou homme, puisse se sentir libre de prendre la parole comme elle ou il l’entend. En revanche, que poster soit perçu comme aussi facile par les femmes… Voilà un tout autre débat ! Les croyances limitantes restent encore prégnantes. Une femme hésitera peut-être davantage qu’un homme à se connecter avec vous si elle ne vous connait pas. Et une femme renoncera peut-être plus qu’un homme à candidater à telle offre d’emploi parce qu’elle ne maîtrise pas 100 % des compétences requises pour le poste.
Vous par exemple, doutez-vous de vos compétences ?
Disons que je m’interroge beaucoup. Le doute a quelque chose de salutaire. Si l’on ne se pose pas de questions… la vie n’a-t-elle pas tout de suite moins de sens ? Je suis construite sur le questionnement. Quelqu’un qui ne doute jamais, enfermé dans ses certitudes, ne pourra jamais avancer. Pire, il commettra forcément des erreurs. À l’inverse, quelqu’un qui doute trop et qui peine à prendre la moindre décision sera freiné dans sa carrière. Il est essentiel de trouver le juste équilibre.
On parle beaucoup du syndrome de l’imposteur, avez-vous déjà ressenti ce phénomène ?
Parfois. Lors d’un conseil d’administration je me suis déjà retrouvée à la table d’hommes qui avaient tous fréquenté l’ENA et l’Inspection des Finances. Diplômée d’une école de commerce, qui ne figure ni dans le top 3 ni dans le top 5, je me suis déjà demandée : suis-je vraiment à ma place ? Personne ne me l’a fait ressentir, c’était très personnel. Je ne me sentais pas à l’aise. Le complexe du diplôme reste très puissant en France, bien plus que dans d’autres pays. Combien de fois dans ma carrière j’ai lancé une idée, spontanément, à une table sans que personne ne la reprenne ni n’en débatte. Cette même idée qui, reprise par un homme quelques minutes plus tard, devient le centre de l’attention ! Ne suis-je pas assez claire, assertive ? En échangeant avec d’autres femmes, j’ai fini par comprendre : c’est un problème global ! Progressivement j’ai appris à m’affirmer. Notamment chez LinkedIn, là où les personnes qui m’ont recrutée m’ont poussée à arrêter de trop douter. « Si tu doutes de toi, c’est que tu doutes de moi, des gens qui ont cru en tes compétences, et ce n’est pas possible », ai-je entendu à mon arrivée. Ces paroles m’ont aidée à avancer avec plus de confiance.
Avez-vous subi des échecs jusqu’à maintenant ?
Je parlerais plutôt de difficultés que de véritables échecs. L’une d’elles est survenue pendant ma jeunesse, lorsque fraîchement bachelière je me suis retrouvée dans une filière qui ne me correspondait pas : la classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE, ndlr). Mon père m’avait poussée dans cette voie, perçue comme sérieuse, rigoureuse, et qui mène à tout ou presque. J’ai subi pendant deux ans en prépa scientifique, moi qui avais récolté la note de 5/20 en mathématiques au bac… ! C’était d’autant plus frustrant que je me situais dans le dernier quart de classe alors que j’excellais dans les disciplines littéraires.
Quel manager pensez-vous être ?
Il faudrait demander à mes équipes (rires). On m’a souvent dit que j’étais dure mais juste. Mon entourage professionnel de longue date invoque plutôt l’équité et la droiture. Les nouveaux collaborateurs, eux, perçoivent d’abord chez moi l’exigence. Aujourd’hui, nous devons relever ce défi de la bonne entente entre les quatre générations qui se côtoient dans le monde du travail. Il n’y a pas de conflit entre les plus anciens et les plus jeunes. Encore moins de violence. Simplement un grand malentendu qu’il convient d’éclairer et de résoudre. Et qui passera, entre autres, par le management.
Quand vous ne travaillez pas, qu’est-ce qui vous fait vibrer ?
Je suis passionnée de ventes aux enchères. Notamment parce que je m’intéresse au design. En ce moment, le design post-Seconde Guerre mondiale m’occupe l’esprit. En visite récente au Havre (Normandie, ndlr), l’architecture d’Auguste Perret m’a fascinée. Le mobilier Pierre Paulin aussi, je trouve cela magnifique. Et évidemment, en parallèle de mes loisirs, je m’occupe et profite de mes enfants, mes proches.
PROPOS RECUEILLIS PAR GEOFFREY WETZEL ET JEAN-BAPTISTE LEPRINCE