La civic tech, un moyen de réconcilier les Français avec la politique ?
La civic tech, un moyen de réconcilier les Français avec la politique ?

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La démocratie 2.0 cherche encore son modèle économique

Alors que la défiance des citoyens envers la politique atteint des niveaux inédits, des start-up veulent les réconcilier avec leurs élus grâce aux technologies. Si elles ont obtenu de premières victoires, les jeunes pousses de la “civic tech” peinent à trouver leur modèle économique.

Si les élections présidentielles passionnent les Français, avec une participation régulièrement supérieure à 80%, il n’en va pas de même pour les autres scrutins. Le taux d’abstention a atteint 36% aux dernières municipales, et moins d’un électeur sur deux s’est déplacé en 2014 pour élire son député européen. En outre, le niveau de défiance des citoyens envers la politique atteint des niveaux préoccupants. Début 2016, le baromètre de la confiance politique du Cevipof montrait par exemple que 88% des Français pensent que les responsables politiques ne se préoccupent pas de leur avis, et 67% jugent que la démocratie ne fonctionne pas très bien en France.

« Il est nécessaire de refonder la démocratie pour l’adapter au 21ème siècle. On ne peut plus se contenter d’être dans une parole descendante alors que nous avons désormais tous les outils pour instaurer une parole qui aille de bas en haut », juge Bobby Demri, le fondateur de GOV, une plateforme où les citoyens peuvent exprimer leur opinion sur les hommes et femmes politiques et voter pour des idées soumises par la communauté. A l’instar de GOV, nombre de jeunes pousses veulent changer la politique grâce aux technologies, par exemple en aidant les citoyens à contrôler l’action publique, à dialoguer avec leurs élus, ou encore à voter en ligne. Parlement & Citoyens, Fluicity, La Primaire, Voxe, Stig, Curious… La liste de celles qu’on appelle les «civic tech» ne cesse de s’allonger. Elles ont même leur collectif de transition démocratique baptisé Démocratie Ouverte. Créé en janvier 2012 par Armel Le Coz et Cyril Lage – aussi à l’origine de la start-up Parlement & Citoyens –, il réunit une trentaine de projets. Le 6 décembre, il a ouvert dans le onzième arrondissement de Paris un incubateur dédié à la civic tech, présidé par Romain Slitine. Il lancera son appel à projets en février, pour recruter cinq start-up qui débuteront leur incubation au milieu de l’année. La promotion 2018 devrait ensuite compter dix projets. Le budget de l’incubateur, qui s’élève à 200000 euros, a été financé par la Caisse des dépôts et consignations, le groupe La Poste, la Mutuelle générale de l’éducation nationale (MGEN), le Crédit coopératif et la Fondation Accenture.

En octobre, l’incubateur Liberté Living Lab avait aussi ouvert ses portes à Paris pour accueillir sur 1600 mètres carrés quelques start-up du secteur, dont LaPrimaire.org et FluiCity, une application créée par Julie de Pimodan qui permet aux communes d’informer leurs administrés et de les consulter avant de prendre des décisions.

Premières victoires

A ceux qui douteraient de leur utilité, ces start-up répondent qu’elles ont déjà enregistré plusieurs victoires. La loi sur l’usage non-agricole des pesticides, portée par le sénateur Joël Labbé (EE-LV) et promulguée en février 2014, a par exemple été co-construite avec les internautes de la plateforme Parlement & Citoyens. « Les parlementaires prennent conscience que leurs textes ont plus de légitimité et d’efficacité lorsqu’ils mobilisent les citoyens pour les aider à les rédiger plutôt que les lobbies », explique Armel Le Coz, cofondateur de Parlement & Citoyens, dont l’outil a déjà été utilisé par plus d’une quarantaine de parlementaires. Pendant la primaire de la droite, GOV a été le premier institut d’écoute de l’opinion à avoir senti monter les intentions de vote pour François Fillon, deux mois avant le premier tour. « Les outils de la civic tech commencent à permettre aux citoyens d’exercer un vrai contre-pouvoir », s’enthousiasme Armel Le Coz.

Toutefois, ces services comptent encore peu d’utilisateurs. LaPrimaire.org n’en a par exemple que 50000 et GOV 120000. La compétition pour attirer les citoyens connectés sera donc rude. Pour y parvenir, tous espèrent profiter de cette année électorale en nouant des partenariats avec des médias. C’est par exemple le cas de Make.org, qui a lancé le programme de propositions Solutions 2017 avec BFMTV et RMC, et #Inventons2017 avec Les Echos Start, Facebook et Sciences Po. Cet automne, GOV était partenaire de TF1 et LCI pendant les débats de la primaire de la droite. Deux projets se démarquent cependant et montrent que la «démocratie 2.0» peut trouver un large écho auprès du public : le comparateur de programmes Voxe a été utilisé par 4,5 millions d’internautes depuis sa création, et le site de pétition Américain Change revendique 175 millions d’utilisateurs dans le monde, et 8 millions en France.

Modèle économique : entre dons et vente des données

Mais les start-up de la civic tech peinent à trouver leur modèle économique. « La plupart n’ont pas de business model. Faute d’en trouver, nombre d’entre elles n’existeront plus dans quelques années », redoute le fondateur de GOV Bobby Demri. « La question du modèle économique est particulièrement complexe pour les civic tech, car il doit à la fois garantir leur indépendance politique et leur stabilité économique », analyse Armel Le Coz.

Certaines se financent essentiellement grâce aux dons et aux subventions. L’association Voxe.org a par exemple reçu des fonds de la Mairie de Paris, la fondation Soros, ou encore la Banque publique d’investissement, et a reçu 200000 euros de Google dans le cadre d’un concours de projets sociétaux. La plateforme Make.org, destinée à la consultation publique et qui emploie depuis l’été 2016 une vingtaine de salariés, envisage de son côté de se positionner sur le marché des études d’opinion, avec pour clients les partis politiques et les instituts de sondage. Son concurrent GOV revendique près de 1 million d’euros de chiffre d’affaires en 2016 grâce à la vente d’analyses d’opinion, notamment. Les données recueillies auprès de leurs utilisateurs sont parfois au cœur du modèle économique des sociétés de la civic tech. Outre les dons de ses utilisateurs, la plateforme d’hébergement de pétitions en ligne Change.org s’appuie par exemple sur une base de données de plus de 160 millions d’internautes dans le monde pour vendre des campagnes publicitaires sponsorisées à des ONG, des entreprises et des partis politiques. Ceux-ci peuvent ainsi promouvoir leurs causes via un ciblage par centres d’intérêts et zone géographique, et nourrir leur base CRM. Loin de s’en cacher, Change.org présente clairement sur son site internet les bénéfices de cette pratique pour ses clients : nombre d’entre eux « collectent 100% de leur investissement en 18 mois ou moins ». WWF, l’Unicef, Amnesty International et Oxfam figurent parmi ses références.

Fracture numérique

Outre la fragilité de leur modèle économique, les acteurs de la civic tech font face à des critiques sur leur représentativité. Ne se font-ils pas seulement la voix des plus aisés, qui peuvent acheter les outils technologiques leur permettant d’exprimer leur opinion ? Car même si de plus en plus de Français ont un smartphone (leur taux d’équipement était de 81% en 2015 selon une étude de Deloitte et Yahoo) et se connectent à Internet (ils étaient 47,6 millions selon Médiamétrie en juin 2016), la fracture numérique recouvre encore souvent les fractures économiques et sociales. Selon une étude du Credoc, 90% des personnes déconnectées n’ont pas le Bac et ont généralement des revenus égaux ou inférieurs à 1500 euros par mois. En outre, 78% des déconnectés sont des séniors. Pour Armel Le Coz, de Démocratie Ouverte, « la fracture numérique n’est un problème que si les projets se concentrent entièrement sur le numérique. Mais c’est en fait assez rare, car la plupart des civic tech combinent la technologie avec une approche présentielle ». A l’occasion de la campagne présidentielle, Parlement & Citoyens lance par exemple le programme Territoire & Citoyens avec la région Centre Val de Loire : un «bus de la liberté» va sillonner les 23 principaux bassins de vie de la région afin d’expliquer directement aux administrés le fonctionnement de la plateforme.

Aymeric Marolleau

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