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Changer de braquet sans caler
Gérer une activité non linéaire peut parfois être problématique, en particulier pour une jeune entreprise. Gestion de la trésorerie, adaptation des stocks et de la main-d’œuvre, optimisation du temps du dirigeant…. Les points de vigilance sont nombreux et les erreurs peuvent coûter cher. Voici quatre conseils pour éviter les pièges.
«Il faut se préparer avant, s’adapter pendant, s’améliorer après », introduit Frédéric Howiller, le co-fondateur du centre national du coaching à Paris. Depuis 2012, il accompagne des dirigeants de TPE et de PME. Pour lui, les accélérations et ralentissements d’activité sont le lot de toute entreprise. Le jeune dirigeant doit donc apprendre à anticiper ces variations, à s’adapter face aux montées en charge imprévues, à optimiser son temps en cas de baisse soudaine d’activité et à travailler en permanence sur son organisation. « Le dirigeant doit savoir produire et investir en même temps. C’est-à-dire qu’il doit équilibrer la production et la prospection. Sinon, il risque d’enchaîner les périodes de sur et sous-activité », ajoute le coach. Qui temporise néanmoins : « Quoi qu’on fasse, un lissage parfait n’existe pas ». Sans compter qu’un certain nombre d’entreprises sont confrontées à la saisonnalité de leur activité. Meilleurs planificateurs que soient alors leurs pilotes, rien ne leur permettra jamais de lisser par exemple l’affluence touristique hivernale d’un restaurant de montagne. Dans ces conditions, les maîtres mots sont l’anticipation et la maîtrise de la situation.
Conseil n°1 : garder de la flexibilité dans sa main-d’œuvre et ses capacités de production
« La gestion des ressources humaines est un numéro d’équilibriste. En fonction du degré de fluctuation de son activité, il faut savoir bien placer le curseur entre les emplois stables qui garantissent la chaîne de valeurs et le recours à la variabilité », conseille Philippe Pauwels. Ce spécialiste RH et directeur associé chez Althéa, cabinet de conseil spécialisé dans l’accompagnement des fonctions transverses des entreprises, liste plusieurs solutions de « variabilité » en interne comme en externe : CDD, intérims, sous-traitance… « Un mix CDD et intérims permet un ajustement au plus près des besoins. Mais la flexibilité a un coût, ces contrats sont plus onéreux que des salariés en CDI, il faut l’anticiper », alerte le directeur associé de chez Althéa.
Recours aux contrats temporaires
Raymond Dorge, expert-comptable pour le cabinet parisien GMBA Baker Tilly, spécialiste des start-up et des débuts d’activité, abonde dans le même sens : « L’erreur à ne pas commettre, c’est celle de recruter uniquement des personnes en CDD. Paradoxalement, un CDI avec période d’essai longue peut s’avérer plus souple ». Philippe Pauwels propose une autre alternative : le recours à l’apprentissage et aux stages : « Lorsque les équipes doivent être renforcées temporairement mais sans avoir besoin d’experts, c’est une bonne solution pour l’entreprise tout en l’inscrivant dans une démarche d’engagement social ».
Cadeau Maestro, site web spécialisé dans le cadeau insolite et gadget, connaît bien la problématique de la saisonnalité puisqu’il réalise entre le 20 novembre et le 20 décembre la moitié de son chiffre d’affaires annuel (2,7 millions d’euros sur l’exercice 2016/2017). « Nous avons quatre préparateurs de commandes tout au long de l’année. On monte jusqu’à 50 en fin d’année. Il s’agit d’intérimaires et de CDD. Le coût humain est important, plus élevé que celui de mes salariés. Sans compter qu’il s’agit de personnes non formées à nos process, donc moins efficaces », explique Sylvain Bruyère, fondateur en 2009 de la PME. Pour remédier à cette problématique, Cadeau Maestro travaille, au fil des années, à la simplification des postes clés. L’objectif étant que les nouveaux arrivants puissent travailler immédiatement de façon efficace.
Appel à la sous-traitance
Autre solution pour faire face aux pics d’activité : le recours à des prestataires ou à des sous-traitants. Une solution plus onéreuse encore que les contrats temporaires, en général, mais qui a le mérite d’être particulièrement flexible. L’important, ici encore, étant d’anticiper au maximum, comme le précise Barbara Ezelis, à la tête d’une agence de conseil en organisation d’entreprise fondée en 2010 à Deuil-la-Barre dans le Val d’Oise. « La sous-traitance est une excellente option mais il ne faut pas le faire dans l’urgence. Il faut prendre le temps de s’entourer des bons partenaires en amont, pour être serein le jour où l’on nécessite d’y recourir… ».
Pour répondre à un important contrat du Crédit Agricole Loire Haute-Loire, la toute jeune entreprise de Grégory Durieu, Oxeo Marketing, créée en 2014, a fait appel à quelques intérimaires mais surtout à ses fournisseurs et à des prestataires. Spécialisée dans la conception et l’installation de signalétiques et enseignes, la TPE de neuf ETP a décroché fin 2016 la rénovation des 146 agences de la banque. Un contrat d’un million d’euros, gigantesque par rapport à son chiffre d’affaires de l’an dernier, 809000 euros. « Je ne me suis pas enflammé, je savais que c’était un one shot. Tout l’enjeu a donc été, cette année 2017, de répondre à la commande sans augmenter nos charges fixes. » L’entrepreneur a donc demandé à ses fournisseurs d’aller plus loin dans leurs prestations et a fait à appel à des partenaires extérieurs qu’il avait déjà identifiés auparavant.
Solutions de flexibilité interne
La législation offre également des possibilités internes de flexibilité, plus ou moins complexes à mettre en œuvre. Les services d’un expert sont alors presque indispensables. Parmi ces solutions : le recours aux heures supplémentaires ou encore l’annualisation du temps de travail permettant, dans le cadre d’un accord de branche ou d’entreprise, de fixer des durées hebdomadaires ou mensuelles de travail différentes au cours de l’année, en fonction de la charge d’activité, sans donner lieu au paiement d’heures supplémentaires. Les dernières ordonnances Macron renforcent ces possibilités en les simplifiant pour un accès plus facile notamment pour les petites entreprises. Clotilde Carecchio, avocate en Droit du travail et directrice associée EY précise : « L’objectif est de permettre aux entreprises d’anticiper et de s’adapter rapidement aux évolutions à la hausse ou à la baisse du marché par un accord majoritaire simplifié. Cet accord peut être signé en vue de préserver ou de développer l’emploi mais aussi pour répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise (Art L 2254-2 du Code du travail) ». Les nouvelles dispositions de la loi Travail doivent également favoriser le prêt de main d’œuvre, notamment entre grandes entreprises et start-up.
Conseil n°2 : anticiper la gestion de ses stocks selon la saisonnalité
Pour une jeune entreprise, difficile d’avoir suffisamment de recul pour adapter ses stocks à la saisonnalité. Pourtant, la problématique est cruciale. « Dans le cas d’une activité saisonnière, avoir les produits trop tôt (s’ils sont périssables) ou trop tard peut avoir des conséquences catastrophiques, prévient Cédric Guillouet, directeur associé, conseil Supply chain chez Althéa. Il faut donc parfaitement maîtriser la nomenclature de ses produits et leur composition. Et connaître les délais d’approvisionnement usuels des composants qui entrent dans la fabrication de ceux-ci. » Cédric Guillouet recommande de mettre en place des solutions de repli, avec des marchés à contre-saison, via des plateformes en ligne de destockage par exemple, pour écouler les invendus éventuels.
Tristan Thomas est au cœur de cette problématique. Depuis trois générations, sa famille tient une confiserie. Celle-ci enregistre des pics d’activité très marqués pour les fêtes de fin d’année et pour Pâques. Pour Noël, le commerçant commande au plus juste les produits très marketés « fin d’année » et préfère disposer de produits pouvant être vendus quelques semaines après. « Pour Pâques, c’est plus compliqué car les ventes sont volatiles et les produits très marqués. Il faut être vigilant car vendre une poule de Pâques au mois de mai ou juin, c’est impossible ! », sourit le jeune dirigeant. Alors il s’informe et écoute les analyses d’experts. Mais malgré les trois générations d’expérience et le suivi très précis du marché, il y a parfois des ratés.
Pascal Tardy est lui aussi à la tête d’une entreprise à l’activité cyclique, Sicam, avec un coefficient de 1 à 5. Mais il n’a pas la même problématique que le confiseur puisqu’il fabrique des produits non périssables : des climatiseurs et des pompes à chaleur. Pilier de ses arguments de vente : le surstockage permettant une forte réactivité. Une politique réglant en partie la problématique des pics d’activité. « Nous produisons toute l’année au maximum de nos capacités. Cela me permet de constituer un stock important pour les périodes de pointe et d’occuper mes salariés en permanence. Car si nous ralentissions la cadence pendant les périodes creuses, il serait difficile d’accélérer quand c’est nécessaire. La nature humaine est ainsi faite… » Une stratégie qu’il peut mettre en œuvre grâce à son niveau de fonds propres.
Conseil n° 3 : gérer sa trésorerie pour faire face aux imprévus
Affacturage, fonds propres, prêt bancaires… les conseils des experts divergent mais l’enjeu reste le même : la gestion de sa trésorerie est cruciale pour faire face aux pics et creux d’activité. « L’affacturage s’est démocratisé aujourd’hui. Il n’est plus considéré comme l’antichambre de la mort, comme il l’était autrefois, explique Pascal Rhoumy, associé EY responsable du segment des entreprises en croissance. C’est aujourd’hui une réponse usuelle de la plupart de nos clients. »
Sylvain Bruyere, de Cadeau Maestro, a choisi une autre option et fait appel chaque année à des prêts bancaires. Le dirigeant a également conclu des partenariats avec ses fournisseurs pour des paiements plus ou moins échelonnés en fonction de la remise accordée.
Conseil n°4 : maîtriser ses émotions et celles de son équipe
« En période de forte accélération, comme de ralentissement, le chef d’entreprise doit savoir tenir la barre. La violence émotionnelle est extrême avec, selon le contexte, de la peur, de la colère, ou au contraire de la surexcitation. Mais il doit faire face dans la tempête », note Frédéric Howiller, du centre national du coaching. Ce dernier est formel. Se laisser gagner par la panique est contreproductif. En cas de pic d’activité, il est temps de faire le ménage des mangeurs de temps, revoir son organisation personnelle et ne pas oublier de prendre du bon temps avec son équipe afin de créer une émulation collective. En cas de creux, « il faut mettre ce temps disponible à profit pour prospecter, ranger, se former, prendre un peu de repos, faire du sport. Sans culpabiliser ! », insiste Barbara Ezelis. « Car souvent s’il y a un creux, c’est qu’il y a eu un pic avant… »
BtoB
Factoriz : du business autour des variations d’activité
Créée en 2015 par Jean-Baptiste Guigonet (ex-ingénieur de Thales), rejoint depuis par deux associés, Antoine Pirio (ex-directeur industriel d’Aldes) et Ulrich Thomir (ex-délégué régional du cluster Alizée plasturgie), la start-up parisienne Factoriz prospère autour du thème de la variation d’activités. Le principe : une plateforme web permettant aux entreprises adhérentes de mutualiser leurs ressources humaines et leurs moyens de production. Le service digital est doublé de trois agences physiques : à Paris, Angers et Lyon. « Une entreprise qui connaît un creux d’activité va pouvoir mettre à disposition du matériel dont elle n’a pas besoin temporairement et amortir ainsi ses investissements. Idem pour le personnel », explique Antoine Pirio. Le service est facturé directement par l’entreprise prêteuse, à l’euro près. Les contrats de prêt, et les clauses réglementaires sont rédigés par Factoriz, dans le cadre de la loi Cherpion.
Factoriz compte déjà 300 adhérents, elle prépare une levée de fonds d’un million d’euros pour porter le nombre de ses agences à 40 sous trois ans, pour un chiffre d’affaires de 20 à 25 millions d’euros.
Stéphanie Gallo