La réindustrialisation : nouveau terrain de jeu des consultants ?

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Le 31 mars 2020, au beau milieu de la pandémie de coronavirus, Emmanuel Macron a déclaré : « Notre priorité est de produire davantage en France et en Europe. » La France et d’autres pays européens étaient effectivement confrontés à d’importantes pénuries dans la production de masques et de combinaisons de protection.

Ces dernières années, nous avons beaucoup entendu parler de réindustrialisation, présentée comme une réponse au chômage ou aux préoccupations environnementales. Mais elle est vraiment devenue une question fondamentale depuis la crise de la covid-19. Dorénavant, le gouvernement semble réellement revoir sa stratégie industrielle.

Compte tenu de la croissance rapide de l’affiliation entre les États et les sociétés de conseil (d’après la Cour des comptes en 20141, le gouvernement français dépenserait environ 150 millions d’euros chaque année dans des missions de conseil), comment ces sociétés peuvent-elles contribuer aux défis de la relocalisation et de la réindustrialisation ? Peuvent-elles représenter une solution face à ces énormes enjeux ? Jean-Baptiste Louis, directeur de projet chez LHH et consultant dans le domaine de la réindustrialisation, propose des clés pour répondre à ces questions.

Le mythe de la réindustrialisation

La relocalisation et la réindustrialisation sont souvent considérées comme des synonymes. Cependant, Jean-Baptiste démontre que ce n’est pas nécessairement le cas. D’après lui, la réindustrialisation dont nous entendons parler dans les médias représente une tendance fondamentale par laquelle les pays souhaitent reprendre le contrôle de leur industrie. Mais en tant que consultant, son rôle consiste concrètement à soutenir de grands groupes dans leurs projets de restructuration, plus particulièrement dans la reconversion de sites industriels et la recherche d’acheteurs pour les sites dont la fermeture est prévue.

En outre, toujours selon lui, le phénomène de relocalisation dont nous entendons tellement parler ne semble pas si présent ces dernières années. Il va s’agir d’un processus à long terme et nous devrons nous montrer patients. « Nous attendons toujours ce grand élan qui devait voir les principaux groupes industriels rapatrier leur production ». Même observation du côté d’Anais Voy-Gillis (docteure en géographie et consultante sur les sujets industriels), qui considère que la relocalisation telle que nous la comprenons aujourd’hui – faire revenir la production qui était partie à l’étranger – est un mythe2.

L’industrie n’est donc pas encore de retour, ce qui soulève des questions de souveraineté nationale et suscite des préoccupations en ce qui concerne notre autosuffisance. Malgré l’utilisation par le gouvernement de leviers d’intervention économique (d’après France Stratégie3, la France est championne lorsqu’il s’agit de maintenir d’importantes participations dans le capital d’entreprises industrielles), il n’existe pas de véritable stratégie à long terme pour le moment. Faut-il y voir une niche pour les cabinets de conseil ? Quel pourrait être leur rôle ? Intervenir à la place de l’État ou collaborer avec lui ?

L’influence des sociétés de conseil sur la relocalisation et la réindustrialisation

Contre toute attente, Jean-Baptiste a vu son nombre de missions réussies augmenter avec la crise sanitaire. Selon lui, dans ce contexte particulier et étant donné le prix des terrains, les acteurs économiques privilégient l’achat de sites existants, ce qui fait de la conversion de sites industriels un levier important pour atteindre ces objectifs.

Les consultants offrent des services qui s’étendent bien au-delà de la vente de bâtiments. Ils interviennent le plus tôt possible afin de faire partie intégrante du projet de restructuration. « Ce n’est pas seulement une affaire de communication. » Jean-Baptiste est convaincu que les sites industriels sont destinés à un nouvel avenir. « Tôt ou tard, ce site finira par être utilisé par une nouvelle entreprise. » Et c’est en cela que consiste sa mission : accélérer le processus de reconversion de sites. Plus ce processus est rapide, moins le territoire en souffre, plus les opportunités d’emploi seront nombreuses et plus l’image de la marque s’en trouvera valorisée.

L’une des réalisations dont Jean-Baptiste est le plus fier a trait à un projet monté avec la société Friesland Campana, une coopérative laitière qui avait décidé de fermer ses unités de production. Les consultants de LHH ont convaincu la société de vendre le site à un prix réduit à Lactips, un fabricant de plastique biodégradable produit à partir de caséine de lait. Sur le plan de la revitalisation du territoire, 50 emplois ont été créés. C’est un bon exemple de ce que peut apporter une société de conseil.

Les sociétés de conseil au secours de l’industrie nationale ?

Si des sociétés de conseil telles que LHH peuvent jouer un rôle seules, elles peuvent également s’associer aux gouvernements. Jean-Baptiste Louis cite l’exemple du récent marché public lancé par Bercy4, le ministère français de l’Économie, concernant la recherche d’un acheteur pour plusieurs sites industriels. L’État a mobilisé des ressources pour aider les entreprises et pour que les sociétés de conseil puissent les aider à court terme. Et comme les sociétés de conseil possèdent leurs propres outils et méthodes internes, « pourquoi ne pas en faire profiter les acteurs nationaux et publics ? » fait remarquer Jean-Baptiste.

Mais le lien entre les sociétés de conseil et l’État risque parfois se révéler problématique. L’exemple récent du cabinet McKinsey & Co, qui a aidé le gouvernement français à définir sa stratégie de vaccination, a fait beaucoup parler de lui, même si cette coopération s’est révélée utile pour obtenir des « résultats rapides et efficaces, ce que l’État n’est pas toujours en mesure de faire pour des raisons structurelles ». Mais des résultats rapides et efficaces constituent une politique à court terme pour répondre à la crise, alors que Jean-Baptiste Louis insiste sur le fait qu’une réindustrialisation exige une stratégie à long terme.

Les sociétés de conseil ont certainement un rôle important à jouer en ce qui concerne la relocalisation et la réindustrialisation. Cependant, il semble que l’instrument le plus puissant pour avancer sur ces questions demeure une forte volonté politique. Peut-être est-il temps de penser à renverser une tendance fondamentale dont les effets ont porté préjudice à nos pays. Car ces défis ne sont pas propres à la France. Next Generation EU, le plan de relance approuvé en juillet 2020, a prouvé que des décisions pouvaient être prises à l’échelon européen. Ce plan vise notamment à promouvoir la transition écologique et, par conséquent, à dynamiser l’industrie écologique. Aussi, le moment n’est-il pas venu d’anticiper et de mettre en œuvre des mesures durables en développant des usines plus vertes à l’échelle européenne ?

Notes

  1. Cour des comptes, Le recours par l’État aux conseils extérieurs, mars 2015.
  2. Conférence sur le sujet : Réindustrialiser la France : espoirs ou déboires ? 15 février 2021.
  3. France Stratégie, Les politiques industrielles en France : Évolutions et comparaisons internationales, décembre 2020.
  4. Voir également l’Accord-cadre relatif à des prestations d’appui à l’administration dans le cas de restructurations et/ou de transformation d’entreprises.

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